La République de Zénon de Citium constitue l’une des premières tentatives philosophiques d’élaborer une utopie cosmopolite radicale qui transcende les divisions politiques traditionnelles pour fonder une communauté universelle sur la vertu et la raison.
En raccourci…
Au IVe siècle avant notre ère, alors que les cités grecques s’entre-déchirent et que l’ordre politique traditionnel s’effrite, un jeune philosophe chypriote propose une vision révolutionnaire : et si nous abolissions toutes les frontières, toutes les lois, tous les temples, toute la monnaie pour créer une société où seules régneraient la vertu et la raison ?
Cette vision audacieuse, c’est celle de Zénon de Citium dans sa République, œuvre de jeunesse qui scandalise ses contemporains par sa radicalité. Contrairement à Platon qui garde les structures de la cité en les perfectionnant, Zénon propose une révolution totale : plus de mariage officiel, plus de tribunaux, plus de castes sociales.
Son idée centrale ? Les êtres humains sont tous citoyens du cosmos (kosmopolitês) en vertu de leur nature rationnelle commune. Les divisions entre Grecs et barbares, hommes libres et esclaves, hommes et femmes ne sont que des conventions arbitraires qui masquent notre unité fondamentale.
Dans cette république idéale, les sages gouvernent non par la force mais par l’exemple moral. L’éducation remplace la contrainte, la vertu remplace la loi écrite. Chacun contribue selon ses capacités à une communauté où l’amour de la sagesse unit tous les membres.
Zénon puise cette vision chez les cyniques ses maîtres, notamment Cratès, qui prônaient déjà un mode de vie « contre-nature » défiant les conventions. Mais là où les cyniques restaient des marginaux provocateurs, Zénon propose un projet politique constructif.
L’originalité ? Cette utopie n’est pas une évasion du monde mais un modèle régulateur qui oriente l’action dans le monde réel. Même si la république parfaite reste inaccessible, elle nous guide vers plus de justice et d’humanité.
Son héritage traverse les siècles : du cosmopolitisme romain aux droits de l’homme modernes, l’idée d’une citoyenneté universelle fondée sur notre humanité commune reste d’une actualité saisissante.
Contexte historique et genèse de l’œuvre
La crise du modèle politique grec
La République de Zénon naît dans un contexte de crise profonde du modèle politique grec traditionnel. Le IVe siècle avant notre ère voit l’effondrement de l’hégémonie athénienne, l’épuisement des cités dans des guerres fratricides, et l’émergence de la puissance macédonienne qui bouleverse l’équilibre traditionnel de la Grèce des poleis.
Cette crise ne concerne pas seulement les rapports de force géopolitiques mais touche aux fondements mêmes de la citoyenneté grecque. L’idéal de la cité autonome, creuset de la civilisation hellénique, se révèle inadapté face aux défis d’un monde qui s’élargit et se complexifie. Les conquêtes d’Alexandre révèlent l’existence d’autres formes de civilisation qui relativisent les prétentions grecques à l’universalité.
Cette relativisation s’accompagne d’une crise des valeurs traditionnelles qui fondaient la cohésion sociale. Les institutions religieuses, politiques et culturelles perdent leur évidence naturelle et apparaissent de plus en plus comme des conventions arbitraires susceptibles d’être remises en question.
C’est dans ce contexte de désenchantement et de recherche d’alternatives que s’inscrit la réflexion politique de Zénon. Sa République constitue une réponse philosophique à cette crise en proposant de refonder l’ordre social sur des bases entièrement nouvelles qui transcendent les particularismes locaux.
L’influence cynique : Cratès et la contestation des conventions
L’élaboration de la République de Zénon s’enracine dans sa formation cynique auprès de Cratès de Thèbes, disciple de Diogène de Sinope. Cette filiation cynique marque profondément l’orientation critique et anticonventionnelle de sa pensée politique primitive.
Les cyniques développaient une critique radicale des institutions sociales qu’ils considéraient comme autant d’entraves artificielles à la vie conforme à la nature. Diogène se proclamait « citoyen du monde » (kosmopolitês) pour signifier son refus des appartenances particulières et sa revendication d’une humanité universelle.
Cette contestation cynique s’exprimait par un mode de vie provocateur qui transgressait systématiquement les conventions morales et sociales : mépris des richesses, égalité des sexes, liberté sexuelle, cosmopolitisme pratique. Cette transgression visait à révéler l’arbitraire des normes sociales et à libérer l’humanité de ses aliénations conventionnelles.
Cependant, les cyniques restaient prisonniers d’une logique purement négative qui se contentait de critiquer l’existant sans proposer d’alternative constructive. Zénon hérite de leur radicalisme critique mais entreprend de le dépasser vers une reconstruction positive qui débouche sur l’utopie républicaine.
L’originalité de la démarche zénonienne
L’originalité de Zénon réside dans sa capacité à synthétiser l’héritage cynique de contestation radicale avec une ambition constructive qui vise l’élaboration d’un ordre social alternatif. Cette synthèse transforme la provocation cynique en projet politique cohérent.
Contrairement aux cyniques qui prônaient l’individualisme anarchique, Zénon conçoit la possibilité d’une communauté organisée qui concilierait liberté individuelle et harmonie collective. Cette communauté ne reposerait plus sur la contrainte externe des lois mais sur l’auto-régulation rationnelle des membres éduqués à la vertu.
Cette perspective révèle l’influence de la tradition socratique qui fait de l’éducation morale la clé de la réforme sociale. Mais Zénon radicalise cette intuition en l’étendant à l’ensemble de l’organisation sociale et en tirant toutes les conséquences de l’identification entre vertu et politique.
L’utopie zénonienne se distingue également des utopies purement spéculatives en maintenant un lien avec la pratique philosophique effective. La république idéale fonctionne comme un modèle régulateur qui oriente l’action du sage dans le monde empirique sans prétendre à une réalisation immédiate.
Les fondements théoriques de l’utopie
La nature rationnelle comme fondement de l’égalité
La République de Zénon repose sur le postulat fondamental de l’égalité ontologique de tous les êtres humains en vertu de leur participation commune à la raison universelle. Cette égalité ne constitue pas un idéal moral à réaliser mais une vérité métaphysique qui fonde la légitimité de l’ordre social juste.
Cette conception révolutionnaire s’oppose radicalement aux hiérarchies naturelles que postulaient les théories politiques grecques traditionnelles. Aristote justifiait l’esclavage par l’inégalité naturelle des capacités rationnelles, Platon fondait la division des classes sur la diversité des aptitudes innées. Zénon récuse ces justifications en affirmant l’universalité de la raison humaine.
Cette universalité de la raison implique que tous les hommes possèdent potentiellement la capacité d’accéder à la sagesse et à la vertu. Les différences empiriques observables entre les individus résultent de l’éducation et des circonstances, non de disparités naturelles insurmontables.
Cette égalité fondamentale transforme radicalement le statut des exclus de la citoyenneté grecque traditionnelle : femmes, esclaves, barbares. Si tous participent également de la raison universelle, aucune exclusion ne peut se justifier par des arguments de nature. Cette conclusion révolutionnaire fait de Zénon un précurseur des conceptions modernes de l’égalité des droits.
Le cosmopolitisme : De la cité au cosmos
Le cosmopolitisme zénonien constitue la conséquence logique de l’égalité rationnelle universelle. Si tous les hommes participent de la même raison, ils sont tous citoyens de la même communauté : le cosmos ordonné par la raison divine. Cette citoyenneté cosmique transcende et relativise toutes les appartenances particulières.
Cette conception transforme radicalement le concept même de citoyenneté. La citoyenneté ne résulte plus de l’appartenance à une communauté politique particulière définie par des critères ethniques, territoriaux ou culturels, mais de la dignité rationnelle qui caractérise universellement l’humanité.
Cette universalisation de la citoyenneté s’accompagne d’une critique des frontières politiques traditionnelles. Les divisions entre cités, nations ou peuples perdent leur légitimité face à l’unité fondamentale de l’espèce humaine. Cette critique anticipe les conceptions modernes du cosmopolitisme politique et juridique.
Cependant, le cosmopolitisme zénonien ne vise pas l’uniformisation culturelle mais la reconnaissance de l’unité dans la diversité. Les particularités locales peuvent subsister comme expressions diverses de l’unique rationalité humaine, à condition qu’elles ne prétendent pas à l’exclusivité ni à la supériorité.
La vertu comme principe d’organisation sociale
L’organisation de la république zénonienne repose entièrement sur la vertu comprise comme l’actualisation de la nature rationnelle humaine. Cette centralité de la vertu distingue radicalement l’utopie stoïcienne des autres projets politiques qui s’appuient sur l’intérêt, la force ou la tradition.
La vertu n’est pas conçue comme un ornement facultatif de la vie sociale mais comme son principe constitutif. Une société qui ne favorise pas le développement de la vertu chez ses membres trahit sa destination essentielle et se condamne à la décadence. Cette conception téléologique de la politique révèle l’influence platonicienne sur Zénon.
Cette primauté de la vertu implique une révolution des valeurs qui bouleverse les hiérarchies sociales traditionnelles. La noblesse ne résulte plus de la naissance, de la richesse ou du pouvoir, mais de l’excellence morale et intellectuelle. Cette méritocratie éthique transforme radicalement les critères de la légitimité sociale.
L’organisation vertueuse de la société ne peut résulter de la contrainte externe mais doit procéder de l’éducation interne qui développe chez chaque individu sa capacité de jugement moral. Cette éducation constitue donc l’activité politique fondamentale de la république idéale.
L’architecture de la société idéale
L’abolition des institutions conventionnelles
La République de Zénon propose l’abolition systématique de toutes les institutions que les cyniques dénonçaient comme conventionnelles et contraires à la nature. Cette abolition ne vise pas la destruction anarchique mais la purification qui permet l’émergence d’un ordre social authentiquement rationnel.
L’abolition du mariage institutionnel libère les relations amoureuses de leur codification juridique et sociale pour les fonder sur l’attraction naturelle et l’affinité spirituelle. Cette liberté ne conduit pas au libertinage mais à des unions plus authentiques fondées sur la reconnaissance mutuelle des qualités morales.
La suppression des tribunaux et des lois écrites élimine l’appareil coercitif qui maintient artificiellement l’ordre social. Dans la société des sages, la justice résulte de la sagesse pratique de chaque individu qui comprend spontanément ce qui convient à chaque situation particulière.
L’abolition de la monnaie supprime le medium qui permet l’accumulation privée et génère les inégalités économiques. L’économie de la république idéale repose sur la contribution volontaire de chacun selon ses capacités et la satisfaction des besoins de tous selon la justice distributive.
L’éducation comme politique fondamentale
Dans la république zénonienne, l’éducation remplace la législation comme activité politique fondamentale. Cette substitution révèle que l’ordre social authentique ne peut être imposé de l’extérieur mais doit surgir de la formation interne des consciences.
Cette éducation ne se limite pas à l’instruction technique mais vise la transformation globale de la personnalité par le développement harmonieux de toutes les facultés humaines. Elle intègre formation intellectuelle, exercice physique, éducation esthétique et apprentissage moral dans une pédagogie totale.
L’éducation républicaine privilégie l’exemple sur le précepte, l’expérience sur la théorie, la pratique sur la spéculation. Les éducateurs ne sont pas des professionnels spécialisés mais des sages qui incarnent les valeurs qu’ils transmettent et inspirent par leur vie même l’amour de la vertu.
Cette conception fait de chaque citoyen un éducateur potentiel qui contribue par sa conduite à l’amélioration générale des mœurs. L’éducation devient ainsi une responsabilité collective qui engage tous les membres de la communauté dans un processus de perfectionnement mutuel.
La communauté des biens et l’égalité économique
L’utopie zénonienne instaure une communauté des biens qui élimine la propriété privée et les inégalités économiques qui en résultent. Cette communauté ne procède pas de la contrainte collectiviste mais de la générosité spontanée des membres éduqués à la vertu.
Cette organisation économique repose sur le principe que les biens matériels ne constituent pas de véritables biens mais de simples moyens nécessaires à la réalisation des biens authentiques que sont les vertus. Cette hiérarchisation des valeurs transforme radicalement le rapport aux richesses matérielles.
La contribution productive de chaque membre s’effectue selon ses capacités naturelles et sa formation, sans contrainte ni compétition destructrice. Le travail devient l’expression de la créativité humaine au service de la communauté plutôt qu’un moyen d’accumulation privée.
Cette organisation suppose un niveau de développement moral qui rend superflues les incitations économiques traditionnelles. La motivation au travail résulte de la satisfaction intrinsèque de contribuer au bien commun plutôt que de la recherche de l’avantage personnel.
Le gouvernement des sages : Au-delà de la politique
La république zénonienne instaure le gouvernement des sages qui transcende l’opposition traditionnelle entre gouvernants et gouvernés. Dans une société où tous accèdent potentiellement à la sagesse, l’autorité politique perd son caractère contraignant pour devenir une fonction de coordination et d’inspiration.
Les sages ne gouvernent pas par la force ni même par la persuasion rhétorique mais par l’exemplarité de leur conduite qui inspire naturellement l’imitation. Cette autorité morale évite la corruption du pouvoir qui résulte de la séparation entre dirigeants et dirigés.
Cette conception révolutionnaire élimine les institutions représentatives traditionnelles qui présupposent l’incompétence politique du peuple. Dans la république des sages, tous les citoyens participent directement aux délibérations par leur sagesse pratique développée.
Cette participation universelle ne conduit pas au chaos mais à l’harmonie spontanée qui résulte de la convergence naturelle des jugements éclairés par la raison. Cette harmonie préfigure la paix perpétuelle qui caractérisera l’accomplissement de l’humanité rationnelle.
Critiques et limites de l’utopie zénonienne
L’objection réaliste : Utopie et nature humaine
La principale objection adressée à l’utopie zénonienne concerne son caractère prétendument irréaliste qui méconnaîtrait la nature véritable de l’humanité. Cette critique souligne que l’homme empirique reste dominé par les passions, l’égoïsme et l’irrationnalité qui rendent impraticable l’idéal de la société vertueuse.
Cette objection révèle une conception pessimiste de la nature humaine qui considère les vices comme indéracinables et les vertus comme des exceptions précaires. Cette anthropologie du péché originel, qu’on retrouve chez Hobbes ou les augustiniens, justifie la nécessité d’institutions coercitives pour contenir la méchanceté naturelle.
Zénon répondrait que cette objection confond la nature empirique déformée par l’éducation vicieuse avec la nature essentielle qui demeure intacte sous les corruptions accidentelles. L’homme véritable est rationnel et vertueux ; l’homme vicieux résulte de la perversion de cette nature par des institutions injustes.
Cette réponse révèle l’optimisme anthropologique qui fonde l’utopie stoïcienne. Si l’homme est essentiellement bon et rationnel, alors l’amélioration des conditions sociales doit permettre l’épanouissement de ces dispositions naturelles. Cette confiance dans la perfectibilité humaine inspire toutes les utopies progressistes ultérieures.
L’élitisme potentiel : La sagesse et l’exclusion
Une seconde critique dénonce l’élitisme latent de l’utopie zénonienne qui réserve la citoyenneté pleine aux seuls sages, excluant de fait la majorité de l’humanité qui n’atteint pas ce niveau de perfection morale et intellectuelle.
Cette critique souligne que la méritocratie éthique prônée par Zénon risque de reconstituer une hiérarchie sociale aussi rigide que celles qu’elle prétend abolir. La noblesse de vertu pourrait devenir aussi exclusive que la noblesse de sang, privant les « imparfaits » de leur dignité politique.
Cette objection révèle une tension fondamentale entre l’égalité ontologique postulée par Zénon (tous les hommes sont rationnels) et l’inégalité phénoménale qu’il constate (tous n’actualisent pas leur rationalité). Cette tension traverse toute la tradition démocratique qui oscille entre égalitarisme et méritocratie.
Zénon pourrait répondre que la sagesse ne constitue pas un privilège héréditaire mais un accomplissement ouvert à tous par l’éducation appropriée. L’élitisme éthique diffère de l’élitisme social en ce qu’il ne ferme aucune porte définitivement et encourage le progrès moral universel.
La question de la transition : Du réel à l’idéal
Une troisième difficulté concerne les modalités de transition entre l’ordre social empirique et l’utopie rationnelle. Zénon ne précise pas comment s’effectuerait pratiquement le passage de la société conventionnelle à la république des sages.
Cette lacune révèle une tension entre la logique utopique qui postule la possibilité d’un recommencement absolu et la logique historique qui révèle l’inertie des institutions et des mentalités. Comment transformer radicalement une société sans violence révolutionnaire qui contredise l’idéal de non-violence éthique ?
Cette difficulté explique pourquoi l’utopie zénonienne fonctionne plutôt comme modèle régulateur que comme programme politique immédiatement applicable. Elle oriente l’action du sage dans le monde empirique sans prétendre à une réalisation intégrale dans l’histoire.
Cette fonction régulatrice transforme l’utopie en critique permanente de l’existant qui révèle ses contradictions et ses injustices par contraste avec l’idéal rationnel. Cette critique inspire les réformes progressives qui rapprochent graduellement la réalité de l’idéal sans prétendre l’atteindre définitivement.
L’uniformisation culturelle : Universalisme et particularisme
Une dernière critique dénonce le risque d’uniformisation culturelle que pourrait engendrer l’universalisme cosmopolite zénonien. En valorisant exclusivement la rationalité universelle, cette utopie risquerait de nier la légitimité des particularités culturelles qui enrichissent l’humanité.
Cette critique révèle la tension moderne entre universalisme et multiculturalisme qui traverse tous les projets de gouvernance mondiale. L’unification politique de l’humanité implique-t-elle nécessairement l’homogénéisation culturelle qui appauvrirait la diversité humaine ?
Zénon pourrait répondre que l’universalisme rationnel n’exclut pas mais hiérarchise les particularités culturelles. Celles qui favorisent le développement de la rationalité et de la vertu conservent leur légitimité, celles qui les entravent doivent être dépassées.
Cette hiérarchisation évite le relativisme culturel qui considère toutes les pratiques comme équivalentes, mais elle risque d’imposer une norme particulière (grecque, masculine, intellectuelle) sous couvert d’universalité. Cette difficulté traverse toute la tradition cosmopolite jusqu’aux débats contemporains sur les droits de l’homme.
Résonances et actualisations contemporaines
L’héritage dans la pensée politique moderne
L’influence de l’utopie zénonienne sur la pensée politique moderne s’exerce principalement à travers la médiation stoïcienne romaine qui adapte et diffuse ses intuitions fondamentales. Cette transmission révèle la fécondité durable de certaines innovations conceptuelles du fondateur du Portique.
Le cosmopolitisme moderne, de Cicéron à Kant en passant par les stoïciens impériaux, reprend l’idée zénonienne d’une citoyenneté universelle fondée sur la dignité rationnelle commune. Cette filiation aboutit aux déclarations des droits de l’homme qui postulent l’existence de droits inaliénables antérieurs à toute appartenance politique particulière.
L’égalitarisme moderne puise également dans la critique zénonienne des hiérarchies conventionnelles pour fonder l’égalité de principe entre tous les êtres humains. Cette égalité ne résulte plus de la participation à la raison cosmique mais conserve la structure argumentative qui fonde l’universalité sur la nature commune.
L’idéal d’une gouvernance mondiale fondée sur la raison plutôt que sur la force trouve ses premières formulations dans l’utopie zénonienne avant d’inspirer les projets kantiens de paix perpétuelle et les institutions internationales contemporaines.
Les défis de la mondialisation contemporaine
La mondialisation contemporaine fait resurgir avec une acuité nouvelle les questions que posait déjà l’utopie zénonienne : comment articuler unité et diversité, universalisme et particularisme, justice globale et attachements locaux ?
Les crises globales (climatique, sanitaire, économique) révèlent l’interdépendance objective de l’humanité qui confirme intuitivement le cosmopolitisme zénonien. Ces défis ne peuvent être relevés que par une coopération internationale qui transcende les égoïsmes nationaux.
Cependant, cette mondialisation s’accompagne de résistances identitaires qui revendiquent la légitimité des appartenances particulières contre l’uniformisation cosmopolite. Ces résistances révèlent que l’universalisme ne peut plus s’imposer de manière hégémonique mais doit composer avec la diversité culturelle.
Cette tension actualise les difficultés de l’utopie zénonienne qui peinait déjà à articuler universalité rationnelle et particularités historiques. Les solutions contemporaines privilégient souvent le pluralisme qui reconnaît la légitimité de plusieurs modèles civilisationnels coexistants.
L’écologie politique : Extension du cercle moral
L’écologie politique contemporaine prolonge et radicalise l’extension du cercle moral amorcée par le cosmopolitisme zénonien. Cette extension inclut désormais les espèces non-humaines et les écosystèmes dans la communauté des êtres dignes de considération morale.
Cette évolution révèle que l’utopie cosmopolite reste ouverte à des élargissements qui en transforment la signification. Le cosmos zénonien se limitait à l’humanité rationnelle ; le cosmos écologique englobe l’ensemble du vivant voire de la nature physique.
Cette extension soulève des difficultés conceptuelles analogues à celles du cosmopolitisme anthropocentrique : comment fonder l’universalité de la considération morale, comment hiérarchiser les intérêts conflictuels, comment éviter l’uniformisation qui nierait la spécificité des différents types d’êtres ?
Ces défis révèlent la plasticité du cadre conceptuel élaboré par Zénon qui peut s’adapter à des enjeux inédits tout en conservant sa structure argumentative fondamentale. Cette adaptabilité explique la persistance de l’inspiration cosmopolite à travers les transformations historiques.
L’héritage de l’utopie zénonienne témoigne ainsi de sa capacité à articuler critique du présent et anticipation de l’avenir dans une synthèse qui nourrit l’imagination politique de chaque époque. Cette fécondité résulte de sa radicalité même qui refuse les compromis faciles pour maintenir la tension entre réel et idéal qui anime toute authentique réflexion politique.
Pour aller plus loin
- Suzanne Husson, Les trois Républiques : Platon, Diogène de Sinope et Zénon de Citium, Vrin










