INFOS-CLÉS | |
|---|---|
| Nom d’origine | Καλλιφῶν (Kalliphôn) |
| Nom anglais | Callipho |
| Origine | Grèce (cité d’origine inconnue) |
| Importance | ★ |
| Courants | École péripatéticienne probable |
| Thèmes | Éthique mixte, union vertu-plaisir, souverain bien, polémiques cicéroniennes |
Calliphon demeure l’un des philosophes grecs les plus énigmatiques de l’époque hellénistique, connu presque exclusivement par les critiques acerbes que lui adressa Cicéron au Iᵉʳ siècle av. J.-C.
En raccourci
Au IIe siècle av. J.-C., Calliphon développa une théorie éthique singulière qui tenta de réconcilier deux traditions philosophiques apparemment incompatibles : la vertu aristotélicienne et le plaisir hédoniste. Contre le rigorisme des stoïciens qui ne reconnaissaient de valeur qu’à la vertu, et contre les épicuriens qui faisaient du plaisir le bien suprême, il proposa que le bonheur humain résidait dans l’union harmonieuse de l’excellence morale et de la jouissance corporelle.
Cette synthèse audacieuse provoqua la condamnation virulente de Cicéron, qui y voyait un amalgame monstrueux, « l’union de l’humain avec la bête ». Malgré cette hostilité, sa doctrine suscita l’intérêt de Carnéade, chef de la Nouvelle Académie, qui la défendit avec tant de conviction que certains crurent qu’il l’adoptait pour lui-même. Figure mineure mais révélatrice des débats éthiques hellénistiques, Calliphon incarne les tentatives de synthèse philosophique qui caractérisèrent une époque marquée par la recherche du bonheur individuel.
Une figure insaisissable de la philosophie hellénistique
Sources fragmentaires et contextualisation
L’essentiel de nos connaissances sur Calliphon provient des écrits de Cicéron, qui le mentionne dans plusieurs œuvres majeures. Dans le De Finibus Bonorum et Malorum (45 av. J.-C.), traité systématique consacré aux fins ultimes de l’existence humaine, l’orateur romain présente Calliphon parmi les penseurs ayant proposé des définitions mixtes du souverain bien. Le De Officiis (44 av. J.-C.) et les Tusculanes confirment cette position philosophique tout en accentuant leur dimension polémique.
Rédigés près d’un siècle après l’activité probable de Calliphon, ces témoignages tardifs ne permettent malheureusement de reconstituer ni sa biographie personnelle, ni le contexte précis de son enseignement. Son appartenance à l’école péripatéticienne, bien que généralement admise par les historiens modernes, repose sur des indices indirects : sa tentative de concilier différentes traditions philosophiques correspond à l’éclectisme caractéristique des aristotéliciens hellénistiques, et sa position chronologique le situe dans la période où le Lycée connaissait un déclin relatif.
Chronologie et environnement intellectuel
Les spécialistes situent Calliphon au IIe siècle av. J.-C., probablement dans sa seconde moitié, en se fondant sur une remarque de Cicéron selon laquelle il aurait vécu après Ariston de Chios et Hiéronymus de Rhodes, deux philosophes actifs vers 250 av. J.-C. Cette datation le place dans un contexte intellectuel marqué par l’affaiblissement des grandes écoles philosophiques athéniennes et par l’émergence de tendances syncrétistes.
Athènes demeurait un centre philosophique important, mais Rhodes, avec ses écoles de rhétorique et de philosophie, attirait désormais maints penseurs. Rome elle-même commençait à s’ouvrir à la culture grecque. Dans ce paysage recomposé, les frontières entre écoles devenaient plus poreuses, favorisant les tentatives de synthèse doctrinale dont Calliphon offre un exemple significatif.
La doctrine éthique de Calliphon
Le principe de synthèse : vertu et plaisir
La théorie distinctive de Calliphon résidait dans sa définition du souverain bien comme union de la vertu (honestas en latin, kalon en grec) et du plaisir corporel (voluptas, hēdonē). Refusant de choisir entre l’idéal moral aristotélicien et la recherche hédoniste du plaisir, il affirma que le bonheur authentique requérait la présence conjointe de ces deux éléments.
Refusant de choisir entre l’idéal moral aristotélicien et la recherche hédoniste du plaisir, cette position le distinguait nettement des principales écoles de son temps. Les stoïciens, héritiers de Zénon de Kition, soutenaient que la vertu constituait le seul bien véritable, les autres choses étant moralement indifférentes. Les épicuriens faisaient du plaisir le critère unique du bonheur, même s’ils redéfinissaient celui-ci comme absence de trouble. Calliphon refusait ces exclusivismes, considérant qu’une vie véritablement accomplie devait satisfaire simultanément les exigences de l’excellence morale et celles de la nature corporelle.
Compagnons de synthèse : Dinomachus et Diodore
Cicéron mentionne Calliphon aux côtés de Dinomachus, philosophe également péripatéticien qui partageait sa conception du souverain bien. Cette convergence de vues suggère l’existence d’un courant de pensée, peut-être éphémère, au sein du Lycée. Un troisième penseur, Diodore (distinct du célèbre Diodore Cronos), proposait une variante légèrement différente en combinant la vertu avec l’absence de douleur plutôt qu’avec le plaisir positif.
Témoins d’une recherche philosophique intense autour de la définition du bonheur, ces théories mixtes reflètent aussi les tensions inhérentes à l’héritage aristotélicien : Aristote lui-même, dans l’Éthique à Nicomaque, avait accordé une certaine place aux biens extérieurs et au plaisir, tout en plaçant la vertu au sommet de la hiérarchie éthique. Ses successeurs s’efforçaient de préciser ces relations complexes.
L’argumentation probable
Bien que nous ne possédions aucun fragment direct des écrits de Calliphon, nous pouvons reconstituer hypothétiquement les lignes de son raisonnement. Il devait probablement argumenter que l’être humain, composé d’âme et de corps, possède une double nature dont chaque aspect mérite considération. Négliger le plaisir corporel reviendrait à mutiler l’humanité ; faire abstraction de la vertu, à la réduire à l’animalité. Le bonheur authentique devait donc honorer cette dualité constitutive.
L’argumentation présentait l’avantage de la modération et du réalisme : elle reconnaissait la légitimité des aspirations corporelles sans abandonner l’exigence morale. Elle se heurtait toutefois à une difficulté majeure : comment concilier deux principes potentiellement contradictoires lorsque la vertu commande de renoncer au plaisir, ou inversement ?
La réception polémique chez Cicéron
Une condamnation sans appel
Cicéron réserva à Calliphon et à ses émules un traitement particulièrement sévère. Dans le De Officiis, il déclare que leur tentative d’unir le plaisir à l’honnêteté mérite « une condamnation d’autant plus grande » qu’elle revient à « accoupler un homme avec une bête ». Cette métaphore frappante exprime le dégoût de l’orateur romain devant ce qu’il considérait comme un compromis intellectuel inacceptable.
Cicéron, influencé par le stoïcisme et l’Académie, défendait une conception rigoriste de la morale. À ses yeux, la vertu possédait une dignité intrinsèque qui ne tolérait aucun mélange avec des considérations hédonistes. Introduire le plaisir corporel dans la définition du souverain bien avilissait la noblesse de la conduite morale, en la réduisant à un simple moyen d’obtenir des satisfactions sensibles.
Arguments contre la synthèse
L’argumentaire cicéronien contre Calliphon reposait sur plusieurs axes. D’abord, l’impossibilité logique : le souverain bien, fin ultime de toute action, devait être simple et non composé de principes hétérogènes. Ensuite, l’incompatibilité pratique : vertu et plaisir peuvent entrer en conflit, et une théorie qui les place sur le même plan ne fournit aucun critère pour trancher. Enfin, la cohérence systématique : accepter le plaisir comme composante du bien suprême menaçait l’édifice entier de l’éthique, notamment les doctrines de l’amitié et du devoir.
Ces critiques révèlent aussi les présupposés philosophiques de Cicéron. En refusant toute légitimité au plaisir dans la définition du bonheur, il adoptait une position plus proche du stoïcisme ancien que de l’aristotélisme dont il se réclamait parfois. Aristote lui-même avait reconnu que le plaisir accompagne naturellement l’activité vertueuse, même s’il ne constitue pas le but premier de celle-ci.
L’intérêt de Carnéade
Un défenseur inattendu
L’aspect le plus intrigant de la postérité de Calliphon concerne l’intérêt que lui porta Carnéade de Cyrène (214-129 av. J.-C.), scholarque de la Nouvelle Académie et figure majeure du scepticisme antique. Cicéron rapporte que Carnéade défendit la position de Calliphon avec tant de conviction et d’habileté dialectique que beaucoup crurent qu’il l’approuvait réellement. Clitomachus, principal disciple de Carnéade, affirma cependant n’avoir jamais pu déterminer les véritables convictions de son maître sur cette question.
Cette défense s’inscrivait dans la méthode académique consistant à argumenter pour et contre toute thèse philosophique. Carnéade excellait dans l’art de présenter des positions contraires avec une égale force persuasive, illustrant ainsi l’impossibilité d’atteindre une certitude définitive en philosophie. Son intérêt pour la doctrine de Calliphon témoignait probablement de la subtilité dialectique de cette théorie, qui permettait d’interroger les fondements des morales dogmatiques.
Signification philosophique
L’attention portée par Carnéade à Calliphon confère à ce dernier une importance qui dépasse largement le caractère fragmentaire de nos sources. Elle signale que sa tentative de synthèse soulevait des questions philosophiques profondes : quelle place accorder à la dimension corporelle de l’existence humaine ? Comment articuler nature et culture, nécessité biologique et exigence morale ? Ces interrogations traversaient toute la philosophie hellénistique et recevaient des réponses contrastées selon les écoles.
Postérité et signification historique
Une voix dans les débats éthiques hellénistiques
Malgré l’obscurité biographique qui l’entoure et la perte de ses écrits, Calliphon occupe une place significative dans l’histoire des idées morales antiques. Il incarne une tendance caractéristique de la période hellénistique : la recherche de synthèses entre traditions philosophiques héritées de l’époque classique. Face à la diversité des doctrines et à l’absence d’autorité philosophique universellement reconnue, nombreux furent les penseurs qui tentèrent de combiner des éléments empruntés à différentes écoles.
Cette démarche syncrétiste culminera au Iᵉʳ siècle av. J.-C. avec des figures comme Antiochus d’Ascalon, qui s’efforcera de montrer l’unité fondamentale du platonisme, de l’aristotélisme et du stoïcisme. Calliphon apparaît ainsi comme un précurseur de ces tentatives d’harmonisation doctrinale, même si sa synthèse particulière ne rencontra qu’un succès limité.
Actualité d’une question ancienne
La problématique soulevée par Calliphon conserve une pertinence philosophique. La tension entre exigences morales et aspirations au bonheur, entre le devoir et le désir, constitue une donnée permanente de l’existence humaine. Les solutions rigoristes qui privilégient exclusivement la vertu peuvent sembler désincarnées ; les positions hédonistes qui négligent la dimension éthique paraissent insuffisantes. Trouver un équilibre satisfaisant demeure un défi pour toute réflexion morale.
Les utilitaristes modernes, en cherchant à maximiser le bien-être général tout en maintenant certains principes éthiques inviolables, affrontent des difficultés analogues à celles que rencontrait Calliphon. La question de savoir si le bonheur doit inclure des satisfactions corporelles ou se limiter à l’excellence morale traverse également les débats contemporains en philosophie pratique.
Une tentative philosophique au destin contrasté
Calliphon reste un philosophe mineur, à peine connu par quelques mentions polémiques dans l’œuvre de Cicéron. Son projet de concilier vertu et plaisir, bien qu’il n’ait pas connu de postérité durable, mérite attention comme symptôme d’une époque philosophique foisonnante. Entre le rigorisme stoïcien et l’hédonisme épicurien, il chercha une voie médiane qui reconnaissait la complexité de la nature humaine. Cette tentative, même condamnée, témoigne de la vitalité des débats éthiques hellénistiques et de la permanence des questions qu’ils soulevaient autour de la définition du bonheur et de la vie accomplie.










