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Structure
  1. En raccourci
  2. Origines et formation intellectuelle
    1. Jeunesse dans le Massachusetts
    2. Harvard et la découverte de la philosophie
    3. Années de formation doctorale
  3. Carrière atypique et double vie intellectuelle
    1. Philosophe et marchand d’art
    2. Enseignement et développement théorique
  4. Le paradoxe de l’induction et la nouvelle énigme
    1. Formulation du paradoxe « grue-vleu »
    2. Implications épistémologiques radicales
    3. Débats et réactions philosophiques
    4. Révolution dans l’esthétique analytique
    5. Dénotation, exemplification et expression
    6. Authenticité et identité des œuvres
    7. La pluralité des mondes
    8. Critères de construction mondiale
    9. Réactions et controverses
  5. Retour à Harvard et influence institutionnelle
    1. Professeur et administrateur
    2. Le « Harvard Project » et l’éducation artistique
  6. Dernières œuvres et synthèses
  7. Mort et héritage immédiat
    1. Les dernières années
    2. Influence sur la philosophie analytique
    3. Développements contemporains
  8. Pertinence philosophique contemporaine
    1. Le débat réalisme-antiréalisme
    2. Philosophie de l’art et esthétique cognitive
    3. Intelligence artificielle et cognition
  9. Un philosophe pour le XXIe siècle
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Portrait imaginaire de Nelson Goodman, philosophe américain du XXe siècle - cette représentation fictive ne correspond pas à l'apparence réelle du penseur
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Nelson Goodman (1906-1998) : La construction des mondes et le paradoxe de l’induction

  • 16/10/2025
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OrigineÉtats-Unis (Massachusetts)
Importance★★★★
CourantsPhilosophie analytique, nominalisme, constructivisme, esthétique analytique
ThèmesParadoxe de « grue » et « vleu », théorie des symboles, nominalisme radical, constructionnisme, philosophie de l’art

Nelson Goodman demeure l’une des figures les plus originales et provocantes de la philosophie analytique américaine, célèbre pour ses paradoxes déroutants et sa théorie radicale de la construction des mondes.

En raccourci

Nelson Goodman transforme radicalement notre compréhension de la connaissance et de l’art à travers une philosophie nominaliste rigoureuse. Formé en philosophie à Harvard dans les années 1920-1930, il développe des arguments qui ébranlent les fondements de l’épistémologie traditionnelle.

Son paradoxe de l’induction, introduisant les prédicats « grue » et « vleu », démontre l’impossibilité de justifier rationnellement nos pratiques inductives les plus élémentaires. Cette découverte le conduit à développer une théorie constructiviste selon laquelle nous créons littéralement des mondes multiples à travers nos systèmes symboliques.

Directeur de galerie d’art pendant quinze ans parallèlement à sa carrière philosophique, Goodman révolutionne également l’esthétique analytique. Sa théorie des symboles unifie art et science comme différents modes de construction et de compréhension des mondes, abolissant la distinction traditionnelle entre représentation littérale et métaphorique.

Origines et formation intellectuelle

Jeunesse dans le Massachusetts

Henry Nelson Goodman naît le 7 août 1906 à Somerville, Massachusetts, dans une famille juive de la classe moyenne. Son père, Henry Lewis Goodman, dirige une entreprise manufacturière, tandis que sa mère, Sarah Elizabeth Woodbury Goodman, cultive des intérêts artistiques qui influenceront profondément son fils. L’environnement familial combine pragmatisme entrepreneurial et sensibilité esthétique, dualité qui caractérisera toute la carrière de Goodman.

L’éducation reçue dans les écoles publiques de Somerville révèle précocement ses capacités intellectuelles exceptionnelles. Passionné de littérature et de mathématiques, le jeune Goodman développe également un intérêt précoce pour les arts visuels, fréquentant assidûment les musées de Boston. Cette formation éclectique nourrit sa conviction future que science et art participent d’une même entreprise cognitive.

Harvard et la découverte de la philosophie

Entré à Harvard en 1924, Goodman étudie initialement la philosophie comme matière secondaire, se concentrant sur la littérature. La rencontre avec C.I. Lewis, philosophe pragmatiste et logicien, réoriente définitivement son parcours intellectuel. Lewis, développant une théorie pragmatiste de la connaissance et une logique modale, devient son mentor et influence durablement sa pensée.

Durant ses années de bachelor (1924-1928), Goodman suit également les cours de Alfred North Whitehead et Ralph Barton Perry. L’atmosphère intellectuelle de Harvard, mélange unique de pragmatisme américain et de rigueur logique importée d’Europe, façonne son approche philosophique distinctive. Il obtient son B.A. magna cum laude en 1928, avec une thèse sur les paradoxes de la confirmation.

Années de formation doctorale

La crise économique de 1929 interrompt temporairement le parcours académique de Goodman. Contraint de travailler pour financer ses études, il enseigne dans diverses institutions tout en poursuivant ses recherches doctorales à temps partiel. Cette expérience de la précarité économique renforce son approche pragmatique de la philosophie.

Sa dissertation doctorale, A Study of Qualities (1940), développe un système nominaliste radical en collaboration avec W.V.O. Quine. Ce travail pionnier tente de construire un langage philosophique évitant toute référence aux entités abstraites, n’admettant que les individus concrets. Bien que le projet s’avère ultimement irréalisable dans sa forme pure, il établit Goodman comme l’un des nominalistes les plus rigoureux du XXe siècle.

Carrière atypique et double vie intellectuelle

Philosophe et marchand d’art

De 1929 à 1944, Goodman mène une double vie remarquable. Tout en poursuivant ses recherches philosophiques, il dirige la Walker-Goodman Art Gallery à Boston, spécialisée dans l’art moderne européen et américain. Cette expérience pratique du monde de l’art nourrit ses réflexions esthétiques futures et lui donne une compréhension intime des mécanismes de création et de réception artistiques.

La galerie devient un lieu de rencontre entre artistes, collectionneurs et intellectuels. Goodman y expose des œuvres de Klee, Kandinsky et Miró, contribuant à introduire l’art moderne européen en Nouvelle-Angleterre. Cette activité commerciale, loin de le détourner de la philosophie, enrichit sa compréhension des systèmes symboliques et de la nature de la représentation.

Enseignement et développement théorique

Après la fermeture de la galerie en 1944, Goodman se consacre entièrement à l’enseignement et à la recherche philosophiques. Instructeur à Tufts University (1945-1946), puis professeur à l’University of Pennsylvania (1946-1964), il développe les idées qui feront sa réputation internationale. Ces années voient la maturation de sa pensée sur l’induction, le langage et la représentation.

L’environnement intellectuel de Pennsylvanie, avec des collègues comme Ernest Nagel et Sidney Morgenbesser, stimule sa créativité philosophique. Les séminaires qu’il anime deviennent légendaires pour leur rigueur et leur inventivité. Goodman y teste ses idées les plus audacieuses, confrontant constamment théorie abstraite et exemples concrets tirés de l’art et de la science.

Le paradoxe de l’induction et la nouvelle énigme

Formulation du paradoxe « grue-vleu »

Dans Fact, Fiction, and Forecast (1954), Goodman présente ce qui devient l’un des paradoxes les plus célèbres de la philosophie contemporaine. Il introduit les prédicats « grue » (vert jusqu’à un temps t, puis bleu) et « vleu » (bleu jusqu’à t, puis vert) pour démontrer l’arbitraire de nos catégories inductives. Toutes les émeraudes observées jusqu’à présent sont à la fois vertes et grues, rendant les deux généralisations inductives également justifiées.

Ce paradoxe révèle que le problème de l’induction ne concerne pas seulement la justification du passage du particulier au général, mais plus fondamentalement le choix des catégories utilisées pour décrire l’expérience. La solution humienne classique, invoquant l’habitude, s’effondre face à la multiplicité infinie des habitudes possibles mais non actualisées.

Implications épistémologiques radicales

Le paradoxe goodmanien bouleverse l’épistémologie traditionnelle en montrant que nos pratiques inductives dépendent de choix linguistiques et conceptuels qui ne peuvent être justifiés par l’expérience seule. La distinction entre prédicats « projectibles » (comme vert) et « non-projectibles » (comme grue) ne peut être fondée sur des critères purement logiques ou empiriques.

Goodman propose une solution pragmatique : les prédicats projectibles sont ceux qui sont « bien implantés » (entrenched) dans notre pratique linguistique et scientifique. Cette implantation résulte d’une histoire contingente d’usage réussi plutôt que d’une correspondance métaphysique avec la structure du monde. L’induction devient ainsi inséparable de nos conventions linguistiques et de notre histoire cognitive.

Débats et réactions philosophiques

Le paradoxe de Goodman génère une littérature philosophique immense. Rudolf Carnap tente de le résoudre par des considérations de simplicité, tandis que Quine invoque des contraintes naturelles sur les genres naturels. David Lewis développe une théorie des propriétés naturelles pour distinguer les prédicats projectibles. Chaque tentative de solution révèle de nouvelles difficultés, témoignant de la profondeur du problème soulevé.

Les implications s’étendent bien au-delà de l’épistémologie technique. Le paradoxe questionne la possibilité même d’une science purement objective, suggérant que nos théories scientifiques incorporent nécessairement des éléments conventionnels irréductibles. Cette conclusion influence profondément la philosophie des sciences post-positiviste.

## La théorie des symboles et Languages of Art

Révolution dans l’esthétique analytique

Languages of Art (1968) marque un tournant dans la philosophie de l’art anglo-saxonne. Goodman y développe une théorie générale des symboles qui traite art et science comme différents modes de symbolisation plutôt que comme domaines ontologiquement distincts. La représentation picturale, la notation musicale, la description verbale et la formalisation scientifique deviennent des cas particuliers d’une théorie symbolique unifiée.

Contrairement aux approches traditionnelles centrées sur la beauté ou l’expression, Goodman analyse l’art en termes de fonctionnement symbolique. Un tableau ne représente pas en vertu d’une ressemblance avec son objet, mais par sa participation à un système symbolique conventionnel. La ressemblance elle-même devient relative à un système de représentation.

Dénotation, exemplification et expression

Goodman distingue plusieurs modes de référence symbolique. La dénotation (un portrait dénote son modèle) n’épuise pas la signification artistique. L’exemplification (un échantillon de tissu exemplifie certaines propriétés) et l’expression métaphorique (une musique triste exprime la tristesse sans la dénoter) enrichissent considérablement les possibilités sémantiques de l’art.

Cette analyse permet de comprendre l’art abstrait et la musique instrumentale sans recourir à des notions mystérieuses d’expression pure ou de signification ineffable. Un tableau de Mondrian exemplifie des propriétés géométriques et chromatiques ; une sonate exprime métaphoriquement des propriétés émotionnelles. L’art devient cognitif sans être nécessairement représentationnel.

Authenticité et identité des œuvres

L’analyse goodmanienne de l’authenticité artistique produit des conclusions surprenantes. Pour les arts « autographiques » (peinture, sculpture), l’histoire de production détermine l’identité de l’œuvre ; pour les arts « allographiques » (musique, littérature), l’identité réside dans la structure notationnelle. Cette distinction explique pourquoi la contrefaçon menace la peinture mais pas la musique.

Les conditions strictes que Goodman impose aux systèmes notationnels (disjonction et différenciation syntaxique et sémantique) excluent les langues naturelles et limitent la notation aux arts comme la musique classique occidentale. Cette rigueur technique, parfois critiquée comme excessive, révèle la complexité des problèmes d’identité et de reproduction dans les arts.

## Ways of Worldmaking et le constructivisme radical

La pluralité des mondes

Ways of Worldmaking (1978) radicalise les intuitions développées dans les œuvres antérieures. Goodman y défend un constructivisme radical selon lequel nous ne découvrons pas le monde mais construisons littéralement des mondes multiples à travers nos systèmes symboliques. Ces mondes ne sont pas de simples perspectives sur une réalité unique mais des mondes véritablement distincts.

La physique newtonienne et la physique einsteinienne ne décrivent pas le même monde différemment ; elles construisent des mondes différents avec des objets et des relations différents. Un monde où le soleil tourne autour de la terre et un monde où la terre tourne autour du soleil sont également réels si les systèmes qui les construisent sont cohérents et utiles.

Critères de construction mondiale

Goodman identifie plusieurs processus de construction mondiale : composition et décomposition, pondération, ordonnancement, suppression et supplémentation, déformation. Ces processus opèrent dans l’art comme dans la science, confirmant l’unité fondamentale des entreprises cognitives humaines. Un roman de Dickens construit un monde victorien ; une théorie physique construit un monde de particules et de forces.

Les mondes construits ne sont pas arbitraires. Ils doivent satisfaire des critères de correction : justesse d’ajustement, efficacité, cohérence, simplicité. Ces critères, cependant, sont eux-mêmes relatifs aux objectifs et aux contextes. Un monde mythologique peut être correct pour certains buts rituels ou esthétiques sans l’être pour des buts scientifiques.

Réactions et controverses

Le constructivisme goodmanien suscite des réactions passionnées. Les réalistes l’accusent de relativisme nihiliste, tandis que les postmodernes saluent sa déconstruction de l’objectivité scientifique. Hilary Putnam, initialement sympathique, développe un « réalisme interne » plus modéré. Richard Rorty invoque Goodman pour son néo-pragmatisme anti-fondationaliste.

Israel Scheffler, élève et collègue de Goodman, tente de modérer le constructivisme radical de son mentor en distinguant les aspects conventionnels et factuels de la connaissance. Les débats révèlent les tensions entre l’intuition réaliste du sens commun et les arguments goodmaniens sur la nature symbolique de toute appréhension du monde.

Retour à Harvard et influence institutionnelle

Professeur et administrateur

En 1968, Goodman retourne à Harvard comme professeur de philosophie, poste qu’il occupe jusqu’à sa retraite en 1977. Il y fonde le Project Zero, centre de recherche sur la cognition artistique et l’éducation esthétique, qui devient un laboratoire interdisciplinaire influent. Cette initiative institutionnelle traduit sa conviction que l’étude de l’art requiert la collaboration entre philosophes, psychologues et éducateurs.

Son enseignement à Harvard attire des étudiants brillants qui perpétuent et transforment son héritage : Catherine Elgin développe sa théorie de la compréhension ; Israel Scheffler applique ses idées à la philosophie de l’éducation ; Jerry Fodor, bien que critique, incorpore des éléments goodmaniens dans sa philosophie de l’esprit.

Le « Harvard Project » et l’éducation artistique

Le Project Zero, dirigé successivement par Goodman puis par Howard Gardner, révolutionne l’approche de l’éducation artistique. Les recherches empiriques sur la perception et la production artistiques confirment et raffinent les intuitions philosophiques de Goodman. Le projet démontre que les capacités artistiques constituent des formes authentiques d’intelligence, non réductibles aux compétences logico-mathématiques.

L’influence s’étend au-delà du monde académique. Les programmes éducatifs inspirés par le Project Zero transforment l’enseignement artistique dans de nombreuses écoles américaines. La théorie des intelligences multiples de Gardner, directement influencée par Goodman, modifie profondément les conceptions de l’intelligence et de l’apprentissage.

Dernières œuvres et synthèses

### Of Mind and Other Matters

Of Mind and Other Matters (1984) rassemble les essais tardifs de Goodman sur des sujets variés. L’ouvrage révèle l’ampleur de ses intérêts : philosophie de l’esprit, épistémologie, esthétique, mais aussi réflexions sur l’architecture et la danse. Le nominalisme radical des premières œuvres s’assouplit sans disparaître, intégrant des considérations pragmatiques.

L’essai « On Starmaking » répond aux critiques de son constructivisme en précisant que faire des mondes n’est pas arbitraire mais contraint par les mondes disponibles et les systèmes symboliques hérités. Nous ne créons pas ex nihilo mais transformons et reconfigurons des matériaux symboliques préexistants.

### Reconceptions in Philosophy

Coécrit avec Catherine Elgin, Reconceptions in Philosophy and Other Arts and Sciences (1988) représente la dernière synthèse majeure de la pensée goodmanienne. L’ouvrage développe la notion de « compréhension » comme alternative à la connaissance traditionnelle. Comprendre ne requiert pas la vérité mais la justesse et l’efficacité cognitive.

Cette reconception permet d’intégrer pleinement l’art dans l’épistémologie. Les fictions littéraires, les modèles scientifiques idéalisés, les métaphores philosophiques deviennent des instruments de compréhension même s’ils ne sont pas littéralement vrais. La cognition s’élargit pour inclure tous les modes de structuration symbolique de l’expérience.

Mort et héritage immédiat

Les dernières années

Goodman reste intellectuellement actif jusqu’à la fin de sa vie, publiant des articles et participant à des conférences malgré sa santé déclinante. Il meurt le 25 novembre 1998 à Needham, Massachusetts, laissant une œuvre philosophique d’une originalité et d’une rigueur exceptionnelles. Ses derniers mots publics réaffirment sa conviction que philosophie, art et science participent d’une même entreprise de construction et de compréhension des mondes.

Les nécrologies soulignent unanimement son influence transformatrice sur la philosophie analytique. Hilary Putnam le décrit comme « l’un des géants de la philosophie du XXe siècle ». Noam Chomsky, pourtant philosophiquement distant, salue sa rigueur intellectuelle et son originalité. Le monde de l’art pleure également la perte d’un théoricien qui a renouvelé la compréhension philosophique de la création artistique.

Influence sur la philosophie analytique

L’impact de Goodman sur la philosophie analytique reste considérable et multiforme. En épistémologie, le paradoxe de l’induction continue de générer recherches et débats. Les approches bayésiennes tentent de le résoudre par des considérations probabilistes ; les naturalisistes invoquent l’évolution cognitive ; les pragmatistes embrassent ses implications conventionnalistes.

En philosophie de l’art, Languages of Art demeure une référence incontournable. Les théories institutionnelles de l’art (Dickie, Danto) dialoguent avec l’approche symbolique goodmanienne. Les recherches en cognition artistique confirment empiriquement plusieurs de ses intuitions sur la perception et la représentation.

Développements contemporains

Les héritiers intellectuels de Goodman développent ses idées dans des directions nouvelles. Catherine Elgin applique la théorie de la compréhension à l’épistémologie des sciences. Alessandro Giovannelli explore les implications de la théorie goodmanienne pour la musique contemporaine. Amie Thomasson utilise des outils goodmaniens en métaphysique de l’art.

Le constructivisme goodmanien influence également des domaines inattendus. Les science studies invoquent Goodman pour analyser la construction sociale des faits scientifiques. L’informatique théorique utilise ses analyses des systèmes symboliques pour comprendre la représentation computationnelle. L’architecture post-moderne trouve dans sa théorie des symboles des outils pour penser l’espace construit.

Pertinence philosophique contemporaine

Le débat réalisme-antiréalisme

Les arguments goodmaniens restent centraux dans les débats contemporains sur le réalisme. Son constructivisme radical offre une alternative au réalisme métaphysique sans tomber dans le relativisme nihiliste. La notion de « mondes multiples » influence les interprétations de la mécanique quantique et les théories du multivers.

Les nouveaux réalistes (Markus Gabriel, Maurizio Ferraris) dialoguent critiquement avec Goodman, cherchant à préserver la pluralité des mondes sans abandonner toute notion de réalité indépendante. Le réalisme structural, dominant en philosophie des sciences, incorpore des éléments goodmaniens sur la nature symbolique de la représentation scientifique.

Philosophie de l’art et esthétique cognitive

L’approche cognitive de l’art initiée par Goodman transforme durablement l’esthétique philosophique. Les recherches en neuroesthétique confirment que la perception artistique implique des processus cognitifs complexes, non réductibles à la simple appréciation émotionnelle. L’art apparaît comme une forme de pensée incarnée dans des médiums symboliques spécifiques.

Les théories contemporaines de la fiction s’appuient sur les analyses goodmaniennes de la référence métaphorique et de l’exemplification. Les mondes fictionnels ne sont plus conçus comme de pâles reflets du monde réel mais comme des constructions symboliques autonomes avec leur propre cohérence et leur propre pouvoir cognitif.

Intelligence artificielle et cognition

Les travaux de Goodman sur les systèmes symboliques influencent la recherche en intelligence artificielle. La distinction entre systèmes analogiques et digitaux, l’analyse des conditions de notation, la théorie de la représentation informent la conception des systèmes computationnels. Les débats sur la représentation mentale en sciences cognitives mobilisent des concepts goodmaniens.

L’apprentissage automatique confronte directement le paradoxe de l’induction : comment une machine peut-elle apprendre les bonnes catégories ? Les solutions proposées, impliquant des biais inductifs programmés ou appris, confirment l’intuition goodmanienne que l’induction requiert des choix catégoriels préalables non justifiables empiriquement.

Un philosophe pour le XXIe siècle

L’œuvre de Nelson Goodman acquiert une pertinence renouvelée à l’ère de la post-vérité et de la multiplication des réalités virtuelles. Sa théorie de la construction des mondes offre des outils pour comprendre comment différentes communautés construisent des réalités incompatibles à partir des mêmes données. Le problème n’est plus de déterminer quel monde est vrai mais comment différents mondes peuvent coexister et interagir.

La dissolution goodmanienne de la frontière entre art et science résonne avec les pratiques contemporaines de visualisation scientifique et d’art numérique. Les data artists créent des mondes à partir d’informations ; les scientifiques utilisent des représentations esthétiquement codées. La cognition devient intrinsèquement multimodale et symbolique.

Son nominalisme et son constructivisme offrent également des ressources pour penser l’ontologie du numérique. Les objets virtuels ne sont ni de pures fictions ni des réalités physiques mais des constructions symboliques avec leurs propres critères d’existence et d’identité. Les mondes virtuels des jeux vidéo et des métavers réalisent littéralement la théorie goodmanienne de la construction mondiale.

Nelson Goodman laisse ainsi un héritage philosophique d’une richesse exceptionnelle. Ni empiriste naïf ni idéaliste métaphysique, il développe une philosophie rigoureuse qui embrasse la complexité et la pluralité de nos constructions cognitives. Son œuvre démontre que la précision analytique n’exclut pas l’imagination créatrice, que la rigueur logique peut coexister avec la sensibilité esthétique. Dans un monde confronté à la multiplication des systèmes symboliques et des réalités construites, sa pensée offre des outils indispensables pour naviguer dans la pluralité sans sombrer dans le chaos relativiste.

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