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  1. En raccourci…
  2. La révolution conceptuelle : de l’élément matériel au principe métaphysique
  3. L’héritage cosmologique : cycles, justice et harmonie universelle
  4. Héraclite et la transformation de l’héritage anaximandrien
  5. Empédocle et la systématisation pluraliste
  6. Anaxagore et l’intellectualisation du principe anaximandrien
  7. L’atomisme et la matérialisation de l’apeiron
  8. Parménide et la critique de l’héritage anaximandrien
  9. L’héritage pythagoricien : l’apeiron et le nombre
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L’héritage d’Anaximandre dans la philosophie présocratique

  • 24/01/2025
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L’influence d’Anaximandre sur ses successeurs présocratiques révèle comment ses innovations conceptuelles transforment durablement la manière de penser l’origine du monde et la nature du changement cosmique.

En raccourci…

Anaximandre occupe une position charnière dans l’histoire de la philosophie grecque. Disciple de Thalès mais penseur autonome, il transforme radicalement l’approche de ses prédécesseurs et ouvre des voies nouvelles qui marqueront profondément tous les philosophes présocratiques qui lui succéderont.

Sa contribution la plus décisive réside dans l’invention du concept d’apeiron – l’infini, l’indéterminé. Là où Thalès voyait dans l’eau le principe de toute chose, Anaximandre ose postuler une réalité qui échappe à toute détermination sensible. Cette audace conceptuelle libère la pensée philosophique de ses attaches matérielles immédiates pour l’ouvrir à l’abstraction métaphysique.

Cette innovation ne reste pas isolée : elle essaime et se transforme chez tous ses successeurs. Héraclite reprend l’idée d’un principe unique mais l’identifie au Feu cosmique et au Logos. Empédocle développe une cosmologie des quatre éléments qui conserve l’inspiration anaximandrienne tout en la complexifiant. Même les atomistes Leucippe et Démocrite, avec leur concept de vide infini, prolongent à leur manière l’intuition de l’apeiron.

L’influence d’Anaximandre se manifeste également dans sa conception du temps et du devenir. Son idée d’un cosmos soumis à des cycles de génération et de corruption, gouverné par une « justice » immanente qui rétablit l’équilibre entre les contraires, traverse toute la pensée présocratique. Cette vision d’un ordre cosmique auto-régulateur inspire aussi bien la physique héraclitéenne des tensions opposées que la cosmologie empédocléenne de l’Amour et de la Haine.

Plus subtil mais non moins important, Anaximandre inaugure une méthode de pensée qui caractérisera toute la philosophie présocratique : l’articulation entre observation empirique et spéculation rationnelle. Il ne se contente pas d’imaginer des principes abstraits ; il s’appuie sur ses observations astronomiques et géographiques pour construire ses théories. Cette démarche scientifique avant la lettre influence directement des penseurs comme Anaxagore ou les premiers atomistes.

Son héritage se perçoit enfin dans la manière dont il pose les grandes questions philosophiques. En s’interrogeant sur l’origine première, la nature du changement, l’ordre du cosmos, il délimite le territoire d’investigation de tous ses successeurs. Chaque philosophe présocratique reprendra ces questions fondamentales en les reformulant selon sa perspective propre.

Cette influence n’est jamais passive : elle suscite autant d’adhésions que d’oppositions créatrices. Parménide développe sa métaphysique de l’Être éternel en partie contre la physique du devenir anaximandrienne. Les Pythagoriciens transforment l’apeiron indéterminé en infini mathématique structuré par le nombre.

Ainsi, Anaximandre ne se contente pas de transmettre des doctrines : il crée les conditions d’un débat philosophique fécond qui traverse toute la période présocratique. Sa véritable grandeur réside dans cette capacité à ouvrir des problèmes plutôt qu’à proposer des solutions définitives, stimulant ainsi la créativité de tous ceux qui viennent après lui.

La révolution conceptuelle : de l’élément matériel au principe métaphysique

L’innovation la plus décisive d’Anaximandre dans l’histoire de la pensée présocratique consiste en l’invention d’un type nouveau de principe explicatif qui rompt avec les approches matérialistes immédiates de ses prédécesseurs. Cette rupture ne constitue pas seulement un changement de doctrine mais une transformation radicale de la méthode philosophique elle-même.

Thalès avait identifié l’eau comme archè (principe premier) de toutes choses, s’appuyant vraisemblablement sur l’observation du rôle vital de cet élément dans les phénomènes biologiques et météorologiques. Cette hypothèse présentait l’avantage de la simplicité et de la vérifiabilité : nous observons effectivement les transformations de l’eau en vapeur, en glace, son rôle dans la croissance des plantes et la constitution des corps vivants.

Anaximandre perçoit les limites théoriques de cette approche. Si l’eau est vraiment le principe de toutes choses, comment peut-elle donner naissance à son contraire, le feu ? Comment expliquer que le principe humide génère la sécheresse, le principe froid la chaleur ? Cette objection révèle une intelligence dialectique précoce qui saisit les apories inhérentes à l’explication par un élément déterminé.

Sa solution révèle une audace conceptuelle remarquable : plutôt que de choisir arbitrairement entre les éléments observables, il postule un principe qui les transcende tous et peut les engendrer sans contradiction. L’apeiron échappe aux déterminations qualitatives précisément parce qu’il constitue la condition de possibilité de toute détermination.

Cette innovation transforme la nature même du questionnement philosophique. Là où Thalès cherchait encore dans le monde sensible la clé de l’explication cosmologique, Anaximandre inaugure la démarche métaphysique qui postule des réalités suprasensibles pour rendre compte des phénomènes observables. Cette démarche influencera profondément tous ses successeurs, même ceux qui critiqueront ses conclusions particulières.

L’impact de cette révolution conceptuelle se mesure à sa fécondité dans les systèmes ultérieurs. Héraclite conserve l’idée d’un principe unique mais lui redonne une détermination sensible (le Feu) tout en lui attribuant une fonction rationnelle (le Logos). Anaxagore développe le concept de Nous (Intelligence) comme principe ordonnateur qui présente des analogies frappantes avec la fonction démiurgique de l’apeiron.

L’héritage cosmologique : cycles, justice et harmonie universelle

La cosmologie anaximandrienne inaugure une conception du cosmos comme système auto-régulateur soumis à des lois immanentes qui gouvernent les processus de génération et de corruption. Cette vision d’un ordre cosmique autonome, libéré de l’arbitraire divin, traverse toute la pensée présocratique en se modifiant selon les perspectives particulières de chaque penseur.

Le fragment conservé d’Anaximandre exprime cette intuition dans un langage saisissant : « C’est à partir de là [l’apeiron] que naissent les êtres, et c’est vers là aussi qu’ils retournent sous l’effet de la destruction, selon la nécessité ; car ils se rendent mutuellement justice et réparation de leur injustice selon l’ordre du temps. » Cette formulation révèle une conception éthique du cosmos où l’individuation constitue une forme d’injustice cosmique qui appelle compensation.

Cette idée de justice immanente au processus cosmique influence directement Héraclite qui développe sa théorie des contraires en tension permanente. Pour Héraclite, la « guerre » entre opposés ne détruit pas l’harmonie mais la constitue, reprenant à sa façon l’intuition anaximandrienne d’un équilibre dynamique entre forces antagonistes.

Empédocle transpose cette structure dans sa cosmologie dualiste où l’Amour (Philotès) et la Haine (Neikos) alternent cycliquement dans leur domination du cosmos. Ses quatre périodes cosmiques – règne de l’Amour, séparation progressive, règne de la Haine, réunification progressive – reproduisent la cyclicité anaximandrienne tout en la complexifiant par l’introduction de deux principes moteurs opposés.

L’influence anaximandrienne se perçoit également chez Anaxagore, malgré les différences doctrinales considérables. Son état initial où « toutes choses étaient ensemble » évoque l’indifférenciation de l’apeiron, tandis que l’intervention du Nous pour séparer et ordonner les éléments rappelle la fonction démiurgique du principe anaximandrien.

Même les atomistes conservent cette structure cyclique dans leur théorie des mondes innombrables qui naissent et périssent éternellement par agrégation et désagrégation atomique. Le vide infini de Démocrite fonctionne comme un apeiron matérialisé qui contient la possibilité de toutes les configurations atomiques.

Cette permanence structurelle révèle la profondeur de l’innovation anaximandrienne. Il ne propose pas seulement une théorie cosmologique parmi d’autres mais invente un schème explicatif – unité primordiale, différenciation, retour à l’unité – qui s’avère suffisamment fécond pour nourrir des siècles de spéculation philosophique.

Héraclite et la transformation de l’héritage anaximandrien

L’influence d’Anaximandre sur Héraclite illustre parfaitement comment un héritage philosophique se transforme en se transmettant. Héraclite reprend les intuitions fondamentales de son prédécesseur tout en les reformulant de manière si originale qu’il semble parfois s’y opposer radicalement.

La critique héraclitéenne de l’apeiron révèle d’abord une compréhension profonde de ses enjeux théoriques. Si le principe premier doit vraiment expliquer la génération de tous les êtres, il ne peut rester complètement indéterminé. Il faut qu’il possède en lui la rationalité qui se manifeste dans l’ordre cosmique, d’où l’identification héraclitéenne du principe au Logos.

Cette transformation préserve l’essentiel de l’inspiration anaximandrienne : l’unité du principe, sa transcendance par rapport aux éléments particuliers, sa fonction génératrice universelle. Mais elle lui ajoute une détermination nouvelle – le Feu – qui permet de concevoir concrètement les processus de transformation cosmique.

Le Feu héraclitéen fonctionne comme un apeiron déterminé : il constitue l’élément le plus mobile et transformateur, capable de se muer en tous les autres tout en conservant son identité rationnelle. Cette solution élégante évite l’aporie anaximandrienne du passage de l’indéterminé au déterminé sans renoncer à l’exigence d’un principe unique.

La théorie héraclitéenne des contraires développe également l’intuition anaximandrienne de la justice cosmique. Mais là où Anaximandre concevait l’opposition comme une injustice temporaire appelant réparation, Héraclite y voit la structure permanente et positive de la réalité. La « guerre » entre contraires ne détruit pas l’harmonie mais la constitue selon l’adage célèbre : « Ce qui s’oppose s’accorde, et de sons différents naît la plus belle harmonie. »

Cette transformation révèle la fécondité critique de l’héritage anaximandrien. Héraclite ne se contente pas de reprendre les solutions de son prédécesseur : il identifie leurs difficultés et les résout par des innovations conceptuelles qui enrichissent considérablement la philosophie présocratique.

Empédocle et la systématisation pluraliste

L’influence d’Anaximandre sur Empédocle s’exerce selon des modalités plus complexes qui révèlent comment un héritage philosophique peut inspirer des développements apparemment contradictoires. Empédocle semble rejeter l’idée anaximandrienne d’un principe unique tout en conservant ses intuitions les plus profondes sur la cyclicité cosmique et la justice immanente.

La théorie empédocléenne des quatre « racines » (rhizômata) – terre, eau, air, feu – répond explicitement aux difficultés soulevées par les monismes antérieurs. Si aucun élément particulier ne peut à lui seul expliquer la génération de son contraire, alors il faut postuler la coexistence originelle de tous les éléments fondamentaux. Cette solution évite l’indétermination de l’apeiron tout en préservant sa fonction génératrice universelle.

Mais cette pluralisation des principes matériels s’accompagne d’une reprise remarquable de la structure cosmologique anaximandrienne. Les deux forces motrices – Amour et Haine – reproduisent à un niveau supérieur l’alternance cyclique entre unité et multiplicité que décrivait déjà Anaximandre. Sous le règne de l’Amour, tous les éléments se mélangent dans l’unité du Sphairos ; sous l’empire de la Haine, ils se séparent selon leurs affinités naturelles.

Cette cyclicité cosmique empédocléenne développe l’intuition anaximandrienne d’une justice immanente qui rétablit périodiquement l’équilibre cosmique. Mais elle la complexifie en distinguant deux types d’ordre légitime : l’ordre de l’union (Amour) et l’ordre de la séparation (Haine), chacun ayant sa perfection propre et ses droits temporels.

L’originalité d’Empédocle réside dans cette capacité à préserver les insights structurels d’Anaximandre tout en résolvant ses difficultés conceptuelles par une sophistication théorique remarquable. Il montre ainsi comment l’héritage présocratique se constitue moins par transmission passive que par réélaboration créatrice des problèmes fondamentaux.

Anaxagore et l’intellectualisation du principe anaximandrien

L’influence d’Anaximandre sur Anaxagore illustre une autre modalité de transmission créatrice qui transforme l’apeiron physique en Intelligence cosmique. Cette intellectualisation du principe premier révèle comment l’héritage anaximandrien peut inspirer des développements qui semblent s’éloigner de sa lettre tout en approfondissant son esprit.

La théorie anaxagoréenne de l’état initial – « toutes choses étaient ensemble » – évoque directement l’indifférenciation de l’apeiron anaximandrien. Mais cette similitude masque une transformation conceptuelle profonde : le mélange primitif d’Anaxagore contient déjà toutes les qualités déterminées, contrairement à l’apeiron qui les transcende dans l’indétermination.

Cette différence révèle une stratégie théorique nouvelle pour résoudre les apories anaximandriennes. Plutôt que de faire naître la détermination de l’indéterminé, Anaxagore postule que toute détermination préexiste dans le mélange primitif et que la cosmogenèse consiste seulement en leur séparation progressive.

L’introduction du Nous (Intelligence) comme principe moteur développe l’aspect « démiurgique » de l’apeiron tout en lui conférant une détermination nouvelle. Cette Intelligence n’est plus seulement la source matérielle des êtres mais leur organisateur rationnel, anticipant ainsi les développements ultérieurs de la téléologie platonicienne et aristotélicienne.

La cosmologie anaxagoréenne préserve également la cyclicité anaximandrienne mais la transforme en processus linéaire orienté par l’Intelligence. Le mouvement tourbillonnaire initié par le Nous sépare progressivement les éléments mélangés selon un ordre rationnel qui révèle la finalité de l’ensemble.

Cette transformation témoigne de la fécondité continue de l’héritage anaximandrien. Même radicalement reformulées, ses intuitions fondamentales – principe transcendant, processus cosmologique, ordre immanent – continuent d’inspirer des développements théoriques novateurs qui enrichissent le patrimoine conceptuel de la philosophie présocratique.

L’atomisme et la matérialisation de l’apeiron

L’influence d’Anaximandre sur l’atomisme de Leucippe et Démocrite révèle une dernière modalité de transmission créatrice qui matérialise radicalement l’héritage anaximandrien tout en préservant ses structures fondamentales. Cette matérialisation systématique témoigne de la plasticité conceptuelle de l’apeiron qui peut inspirer les développements théoriques les plus divers.

Le vide infini des atomistes fonctionne comme un apeiron matérialisé qui conserve les propriétés essentielles du principe anaximandrien : infinité, indétermination qualitative, fonction génératrice universelle. Mais cette transposition élimine les aspects « mystiques » de l’apeiron en lui substituant une réalité purement physique accessible à la pensée rationnelle.

Les atomes eux-mêmes perpétuent l’inspiration anaximandrienne d’une autre manière : leur nombre infini et leurs combinaisons illimitées reproduisent la fécondité inépuisable de l’apeiron. Chaque monde particulier naît de l’agrégation atomique comme les êtres anaximandriens naissaient de l’apeiron, et retourne au vide par désagrégation comme ils retournaient au principe originel.

La cyclicité cosmique anaximandrienne se trouve ainsi préservée sous une forme mécaniste : les mondes innombrables naissent et périssent éternellement sans qu’aucune finalité transcendante ne gouverne ce processus. Cette « déthéologisation » de la cosmologie anaximandrienne révèle comment ses structures peuvent être réinterprétées dans des cadres métaphysiques totalement différents.

L’atomisme développe également l’aspect « démocratique » implicite dans l’apeiron : si tout procède du même principe indifférencié, alors aucun être ne peut prétendre à une supériorité ontologique définitive. Cette égalité ontologique se radicalise chez les atomistes en égalité physique : tous les phénomènes, même les plus nobles, résultent des mêmes processus mécaniques élémentaires.

Parménide et la critique de l’héritage anaximandrien

L’influence d’Anaximandre sur Parménide s’exerce paradoxalement par voie de négation critique qui révèle, en creux, la portée des innovations anaximandriennes. Cette critique radicale témoigne de l’importance théorique de l’héritage anaximandrien en même temps qu’elle ouvre des perspectives nouvelles pour la métaphysique présocratique.

La critique parménidienne vise d’abord le processus cosmogonique anaximandrien qui fait naître les êtres déterminés de l’apeiron indéterminé. Parménide identifie dans cette génération une contradiction logique insoluble : comment l’être peut-il naître du non-être, le déterminé de l’indéterminé ? Cette objection révèle les présupposés ontologiques implicites de la physique anaximandrienne.

Mais cette critique ne disqualifie pas simplement l’héritage anaximandrien : elle le transforme en révélant ses implications métaphysiques ultimes. Si l’apeiron est vraiment le principe de tout être, alors il faut penser son infinité et son indétermination comme des déterminations positives plutôt que comme des négations de la finitude et de la détermination.

Cette transformation conceptuelle aboutit à l’Être parménidien qui conserve l’infinité de l’apeiron (dans l’ordre temporel) et son unité (dans l’ordre ontologique) tout en rejetant sa fonction cosmogonique. L’Être parménidien réalise la promesse métaphysique de l’apeiron en l’immobilisant dans l’éternité de la perfection logique.

L’influence souterraine d’Anaximandre se perçoit également dans la structure dualiste du poème parménidien qui distingue la « voie de la vérité » de la « voie de l’opinion ». Cette distinction prolonge la tension anaximandrienne entre principe transcendant et phénomènes sensibles, mais elle la radicalise en opposition absolue plutôt qu’en relation génétique.

L’héritage pythagoricien : l’apeiron et le nombre

L’influence d’Anaximandre sur le pythagorisme révèle une dernière modalité de transmission créatrice qui transforme l’apeiron physique en infini mathématique. Cette mathématisation de l’héritage anaximandrien ouvre des perspectives nouvelles qui influenceront profondément la métaphysique platonicienne ultérieure.

Les Pythagoriciens conservent le dualisme anaximandrien entre principe indéterminé (apeiron) et principe déterminant, mais ils l’interprètent comme opposition entre l’infini mathématique et le nombre qui lui impose sa limite. Cette transposition révèle comment les structures conceptuelles anaximandriennes peuvent être réinvesties dans des domaines théoriques nouveaux.

Le processus cosmogonique lui-même se trouve mathématisé : l’Un primordial « aspire » l’apeiron pour engendrer la série des nombres, puis les figures géométriques, puis les corps physiques. Cette genèse numérique du cosmos préserve la fonction génératrice de l’apeiron tout en lui conférant une rationalité mathématique qui évite les apories de l’indétermination absolue.

L’harmonie pythagoricienne développe également l’intuition anaximandrienne de la justice cosmique en la transposant dans l’ordre musical et mathématique. Les rapports numériques qui gouvernent les consonances musicales révèlent la rationalité cachée de l’ordre cosmique, permettant ainsi de concilier transcendance du principe et immanence de ses manifestations.

Cette synthèse pythagoricienne influencera directement Platon qui retrouvera dans l’apeiron anaximandrien, médiatisé par l’interprétation pythagoricienne, l’inspiration de sa « dyade indéfinie » et de sa théorie de la participation. Ainsi l’héritage anaximandrien continue-t-il de fructifier bien au-delà de la période présocratique proprement dite.

L’ensemble de ces transformations révèle la fécondité exceptionnelle de l’innovation anaximandrienne. Loin de proposer une doctrine figée, Anaximandre invente des structures conceptuelles suffisamment riches pour nourrir des siècles de développements philosophiques divergents tout en conservant leur inspiration fondamentale. Cette capacité à susciter la créativité théorique plutôt qu’à l’inhiber constitue peut-être la marque la plus sûre du génie philosophique véritable.

Pour approfondir

#FragmentsIoniennes
Anaximandre — Fragments et témoignages (PUF)

#NaissanceDeLaScience
Carlo Rovelli — La naissance de la pensée scientifique : Anaximandre de Milet (Dunod)

#PrésocratiquesGF
Jean-Paul Dumont (dir.) — Les écoles présocratiques (GF Flammarion)

#HistoireDeLaPhilosophie
G. W. F. Hegel — Leçons sur l’histoire de la philosophie, Tome I : La philosophie grecque (De Thalès à Anaxagore) (Vrin)

#AntiquitéPhilosophique
Bruno Grenet — Histoire de la pensée : Philosophies et philosophes. Tome 1 – Antiquité (Le Livre de Poche)

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