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Structure
  1. En raccourci…
  2. Les fondements anthropologiques de l’oikeiôsis
    1. L’observation de la nature animale et humaine
    2. La structure rationnelle de l’appropriation
    3. L’universalité du processus d’appropriation
  3. L’extension progressive des cercles d’appartenance
    1. De l’ego à la famille : Premier élargissement
    2. De la famille à la communauté : L’apprentissage social
    3. De la communauté à l’humanité : Le cosmopolitisme stoïcien
    4. La technique des cercles concentriques : Hiéroclès
  4. L’oikeiôsis et la théorie de la vertu
    1. L’appropriation des vertus : Au-delà des biens extérieurs
    2. La formation du caractère par l’exercice
    3. L’unité des vertus et la cohérence de l’appropriation
  5. Critiques et développements de la théorie
    1. Les objections péripatéticiennes : Réalisme vs idéalisme
    2. Les réponses stoïciennes : Dialectique du particulier et de l’universel
    3. L’influence sur le droit et la politique : Du cosmopolitisme à l’universalisme
    4. Résonances contemporaines : Psychologie évolutive et éthique environnementale
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Le concept d’oikeiôsis dans la théorie morale de Zénon

  • 11/09/2025
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La théorie de l’oikeiôsis chez Zénon de Citium révèle l’un des concepts les plus originaux et influents du stoïcisme naissant, proposant une vision révolutionnaire de l’extension progressive de notre cercle de préoccupation morale, de soi-même à l’humanité entière.

En raccourci…

Voici une expérience de pensée simple : regardez un bébé qui vient de naître. Instinctivement, il cherche le lait maternel, évite la douleur, se blottit contre la chaleur. Personne ne lui a enseigné ces comportements – ils jaillissent spontanément de sa nature. Pour Zénon de Citium, fondateur du stoïcisme, cette observation recèle une vérité philosophique profonde.

Ce mécanisme naturel d’auto-préservation que Zénon appelle oikeiôsis (littéralement « appropriation » ou « familiarisation ») ne se limite pas aux besoins physiques. Il constitue le fondement de toute morale. Nous avons une tendance innée à reconnaître et à protéger ce qui nous est « propre », ce qui fait partie de notre identité.

Mais voici l’intuition révolutionnaire de Zénon : cette oikeiôsis s’étend naturellement. D’abord centrée sur soi, elle englobe progressivement la famille, puis les amis, la communauté locale, la patrie, et finalement l’humanité entière. Imaginez des cercles concentriques : vous êtes au centre, et votre préoccupation morale s’élargit par vagues successives.

Cette extension n’est pas un effort artificiel mais le développement naturel de notre rationalité. Plus nous comprenons notre vraie nature d’êtres rationnels, plus nous réalisons que tous les humains partagent cette même essence. La sagesse consiste à « tirer les cercles vers le centre » – à traiter un étranger avec la même bienveillance qu’un proche.

L’oikeiôsis explique pourquoi nous sommes spontanément émus par la souffrance d’autrui, même inconnu. Elle fonde le cosmopolitisme stoïcien : nous sommes tous citoyens du monde, membres d’une même famille humaine.

Sa leçon moderne ? Notre époque mondialisée redécouvre cette vérité : les défis écologiques, sanitaires, économiques nous rappellent que notre bien-être dépend de celui de l’humanité entière.


Les fondements anthropologiques de l’oikeiôsis

L’observation de la nature animale et humaine

Zénon de Citium fonde sa théorie de l’oikeiôsis sur une observation minutieuse des comportements naturels qui révèle une continuité fondamentale entre le monde animal et l’existence humaine. Cette approche empirique, remarquable pour son époque, anticipe certaines découvertes de l’éthologie moderne sur les comportements adaptatifs.

L’observation du comportement animal révèle que tout être vivant manifeste spontanément une tendance à préserver son intégrité physique et à rechercher ce qui favorise son développement. Cette inclination ne résulte pas d’un apprentissage mais constitue une disposition innée qui oriente l’organisme vers ce qui lui convient naturellement.

Chez l’être humain, cette même tendance se manifeste dès la naissance par la recherche instinctive de la nourriture, l’évitement de la douleur, et l’attraction vers ce qui procure bien-être et sécurité. Cette continuité comportementale révèle que l’oikeiôsis constitue un phénomène naturel universel qui transcende la distinction entre nature et culture.

Cependant, Zénon identifie une spécificité humaine fondamentale : chez l’homme, cette appropriation naturelle ne reste pas limitée aux besoins biologiques mais s’étend progressivement vers des objets de plus en plus complexes et abstraits, sous l’influence de la raison qui caractérise notre espèce.

La structure rationnelle de l’appropriation

La dimension rationnelle de l’oikeiôsis humaine transforme radicalement la simple tendance biologique en processus de développement moral et intellectuel. Cette transformation révèle que la raison ne s’oppose pas à la nature mais constitue son accomplissement le plus élevé chez l’être humain.

La raison permet à l’homme de comprendre les mécanismes de l’appropriation au lieu de les subir passivement. Cette compréhension réflexive ouvre la possibilité d’une appropriation consciente et délibérée qui peut corriger les déviations de l’instinct et orienter le développement personnel vers des fins véritablement conformes à la nature humaine.

Cette rationalisation de l’oikeiôsis explique pourquoi l’éducation et la philosophie jouent un rôle central dans l’éthique stoïcienne. Il ne suffit pas de suivre ses inclinations naturelles, encore faut-il comprendre ce qui est véritablement approprié à notre nature d’êtres rationnels et distinguer les véritables biens des faux biens qui peuvent séduire nos appétits immédiats.

La raison révèle ainsi que l’appropriation authentique vise non les objets extérieurs périssables (richesses, honneurs, plaisirs) mais les vertus qui constituent les seuls biens véritables car ils dépendent entièrement de nous et participent de notre nature rationnelle.

L’universalité du processus d’appropriation

L’universalité de l’oikeiôsis constitue un présupposé fondamental de la philosophie morale stoïcienne qui permet de fonder une éthique à vocation universelle. Cette universalité ne relève pas de l’observation empirique mais d’une déduction à partir de la nature rationnelle commune à tous les hommes.

Si tous les êtres humains partagent la même nature rationnelle, ils doivent également partager la même structure fondamentale d’appropriation. Cette communauté de nature explique pourquoi les principes moraux découverts par la philosophie stoïcienne prétendent à une validité universelle qui transcende les différences culturelles et historiques.

Cette universalité permet également d’expliquer les convergences morales observables entre cultures différentes : l’amour parental, le respect des promesses, la valorisation du courage révèlent l’existence d’une structure anthropologique commune qui oriente spontanément les hommes vers certaines valeurs.

Cependant, cette universalité de principe n’implique pas l’uniformité de fait. Les conditions historiques et culturelles particulières modulent l’expression concrète de l’oikeiôsis et expliquent la diversité des systèmes moraux et juridiques. Cette diversité ne contredit pas l’universalité mais révèle la richesse des actualisations possibles d’une même structure fondamentale.

L’extension progressive des cercles d’appartenance

De l’ego à la famille : Premier élargissement

Le premier élargissement de l’oikeiôsis s’effectue naturellement de l’individu vers sa famille immédiate, révélant que l’appropriation de soi ne peut rester purement égocentrique. Cette extension s’enracine dans l’expérience primordiale de la dépendance et de l’interdépendance qui caractérisent la condition humaine dès la naissance.

L’amour parental illustre exemplairement cette extension spontanée de l’appropriation. Les parents reconnaissent naturellement leurs enfants comme des extensions d’eux-mêmes et se préoccupent de leur bien-être avec la même intensité que de leur propre conservation. Cette identification ne résulte pas d’un calcul rationnel mais d’une évidence immédiate.

Réciproquement, l’attachement filial révèle que l’enfant étend naturellement son sentiment d’appropriation vers ceux qui prennent soin de lui. Cette réciprocité crée un cercle élargi d’identification mutuelle qui constitue la cellule de base de toute sociabilité humaine.

Cette extension familiale prépare et rend possible les élargissements ultérieurs en habituant l’individu à considérer le bien d’autrui comme partie intégrante de son propre bien. Elle révèle que l’égoïsme pur constitue une abstraction qui ne correspond pas à l’expérience concrète de la vie humaine.

De la famille à la communauté : L’apprentissage social

L’extension de l’oikeiôsis de la famille vers la communauté élargie s’effectue par l’apprentissage social qui révèle progressivement l’interdépendance des intérêts individuels et collectifs. Cette extension ne va plus de soi comme dans le cas familial mais requiert une éducation qui développe la compréhension de nos liens sociaux.

L’expérience de la coopération dans le travail, l’échange et la défense commune révèle que notre bien-être individuel dépend largement de la prospérité et de la sécurité de notre communauté. Cette découverte pratique prépare la reconnaissance théorique de notre nature sociale.

L’amitié joue un rôle particulier dans ce processus car elle révèle la possibilité d’une identification avec autrui qui ne repose ni sur la parenté biologique ni sur l’utilité immédiate. L’ami devient un « autre soi-même » selon la formule aristotélicienne que reprennent les stoïciens.

Cette extension communautaire développe les vertus sociales (justice, bienveillance, loyauté) qui constituent l’actualisation de notre nature rationnelle dans ses dimensions interpersonnelles. Ces vertus ne s’ajoutent pas artificiellement à notre nature mais en révèlent les implications sociales nécessaires.

De la communauté à l’humanité : Le cosmopolitisme stoïcien

L’extension ultime de l’oikeiôsis conduit au cosmopolitisme stoïcien qui reconnaît tous les êtres humains comme membres d’une même famille universelle. Cette extension révèle la portée révolutionnaire de la philosophie stoïcienne qui dépasse toutes les limitations particularistes de son époque.

Cette reconnaissance de l’humanité commune ne repose pas sur la sentimentalité mais sur la compréhension rationnelle de notre nature partagée d’êtres rationnels. Tous les hommes participent du même logos divin qui fait d’eux des concitoyens de la cité cosmique (kosmopolis).

Cette perspective transforme radicalement l’évaluation des divisions conventionnelles entre Grecs et barbares, citoyens et esclaves, hommes et femmes. Ces distinctions, sans être niées dans leur réalité sociale, perdent leur pertinence morale fondamentale face à la reconnaissance de la dignité humaine universelle.

Le cosmopolitisme stoïcien ne prône pas pour autant l’abolition immédiate de toutes les institutions particulières mais leur réinterprétation dans la perspective universelle. Le sage stoïcien peut accomplir loyalement ses devoirs de citoyen romain tout en gardant présente à l’esprit sa citoyenneté cosmique plus fondamentale.

La technique des cercles concentriques : Hiéroclès

Le stoïcien Hiéroclès (IIe siècle) développe une représentation pédagogique saisissante du processus d’extension de l’oikeiôsis à travers l’image des cercles concentriques. Cette représentation spatiale permet de visualiser la structure dynamique de l’appropriation morale et ses étapes de développement.

Au centre se trouve l’ego immédiat avec ses besoins et désirs particuliers. Le premier cercle englobe la famille nucléaire (parents, enfants, conjoint). Le deuxième cercle inclut la parenté élargie (grands-parents, oncles, cousins). Le troisième cercle comprend les amis et voisins.

Les cercles suivants s’étendent aux concitoyens, puis aux habitants de la même région, puis aux membres de la même nation, pour culminer dans le cercle le plus large qui englobe l’humanité entière. Cette progression révèle que l’extension de l’oikeiôsis suit un ordre naturel qui respecte les liens effectifs tout en les dépassant.

La technique spirituelle recommandée par Hiéroclès consiste à « tirer les cercles vers le centre », c’est-à-dire à traiter les membres des cercles extérieurs avec la même bienveillance que ceux des cercles intérieurs. Cette pratique développe progressivement l’identification universelle qui caractérise la sagesse stoïcienne.

L’oikeiôsis et la théorie de la vertu

L’appropriation des vertus : Au-delà des biens extérieurs

L’évolution de l’oikeiôsis conduit à la découverte que les véritables objets d’appropriation ne sont pas les biens extérieurs (richesses, honneurs, plaisirs) mais les vertus qui constituent les seuls biens authentiques selon la doctrine stoïcienne. Cette découverte transforme radicalement l’orientation de la vie humaine.

Les biens extérieurs présentent le défaut majeur de ne pas dépendre entièrement de nous et de pouvoir nous être retirés par les circonstances. Leur appropriation reste donc précaire et source d’angoisse permanente. De plus, leur possession par un individu peut empêcher leur possession par un autre, ce qui génère des conflits et contredit l’extension universelle de l’oikeiôsis.

Les vertus, au contraire, présentent l’avantage de dépendre entièrement de notre volonté rationnelle et de ne pouvoir nous être retirées par aucune force extérieure. Leur appropriation est donc stable et procure la sérénité qui caractérise la sagesse. De plus, les vertus peuvent être partagées par tous sans diminution, ce qui les rend compatibles avec l’extension universelle de l’appropriation.

Cette découverte révèle que l’oikeiôsis authentique vise ultimement l’appropriation de soi-même en tant qu’être rationnel et vertueux. Le sage s’approprie sa propre nature rationnelle en l’actualisant par la pratique des vertus, réalisant ainsi l’adéquation parfaite entre être et devoir-être.

La formation du caractère par l’exercice

La formation du caractère vertueux s’effectue par l’exercice répété d’actes conformes à la raison, révélant que l’appropriation des vertus ne peut rester purement théorique mais doit s’incarner dans des pratiques concrètes. Cette dimension pratique distingue l’éthique stoïcienne des morales purement intellectualistes.

L’habitude vertueuse ne résulte pas de la simple répétition mécanique d’actes conformes aux règles mais de la compréhension progressive des raisons qui fondent ces actes. Cette compréhension transforme l’obéissance externe en adhésion interne qui caractérise la vertu authentique.

Cette formation requiert une vigilance constante car les passions et les opinions fausses tendent spontanément à détourner l’âme de sa destination rationnelle. L’exercice spirituel (askesis) vise à fortifier la disposition vertueuse en la rendant stable et spontanée.

L’appropriation des vertus transforme progressivement l’économie psychique de l’individu en substituant la satisfaction rationnelle de la conscience droite aux plaisirs factices des passions. Cette transformation révèle que la vertu constitue non seulement un devoir mais aussi l’accomplissement de notre nature profonde.

L’unité des vertus et la cohérence de l’appropriation

La doctrine stoïcienne de l’unité des vertus révèle que l’appropriation morale vise une transformation globale de la personnalité plutôt qu’une acquisition partielle de qualités isolées. Cette unité explique pourquoi le progrès moral présente un caractère systématique et cohérent.

Les quatre vertus cardinales (prudence, justice, courage, tempérance) constituent des aspects différents d’une même disposition fondamentale : la conformité à la raison. Cette unité explique pourquoi la possession d’une vertu authentique implique logiquement la possession de toutes les autres.

Cette cohérence révèle que l’oikeiôsis vertueuse transforme la structure même de la subjectivité en substituant l’unité rationnelle à la dispersion passionnelle. Le sage atteint une harmonie interne qui se reflète dans la cohérence de ses jugements et de ses actions.

Cette unité des vertus explique également pourquoi l’extension de l’oikeiôsis ne peut s’arrêter à un cercle particulier mais doit culminer dans l’identification universelle. L’incohérence d’une appropriation limitée révèle son caractère encore passionnel et irrationnel.

Critiques et développements de la théorie

Les objections péripatéticiennes : Réalisme vs idéalisme

Les philosophes péripatéticiens, héritiers d’Aristote, développent plusieurs objections contre la théorie stoïcienne de l’oikeiôsis qui révèlent les tensions entre réalisme éthique et idéalisme moral. Ces critiques portent principalement sur le caractère prétendument artificiel de l’extension universelle de l’appropriation.

Les péripatéticiens soulignent que l’observation empirique révèle des limites naturelles à l’extension de l’appropriation. L’amour parental ne s’étend pas spontanément vers tous les enfants, l’amitié ne peut englober l’humanité entière, la justice ne peut traiter de manière strictement égale les proches et les étrangers.

Ces limites ne révèleraient pas une imperfection de la nature humaine mais sa structure réelle qui hiérarchise légitimement les objets d’appropriation selon leur proximité effective. Vouloir égaliser cette hiérarchie naturelle conduirait paradoxalement à affaiblir les liens authentiques au profit d’une bienveillance abstraite et ineffective.

Cette critique révèle une tension fondamentale entre l’éthique des vertus péripatéticienne qui valorise l’excellence dans l’accomplissement des rôles sociaux particuliers, et l’éthique universaliste stoïcienne qui relativise ces rôles au profit de l’identification cosmique.

Les réponses stoïciennes : Dialectique du particulier et de l’universel

Les stoïciens répondent à ces objections en développant une dialectique subtile entre particulier et universel qui évite l’opposition simpliste entre attachements naturels et identification universelle. Cette dialectique révèle que l’extension de l’oikeiôsis n’abolit pas les relations particulières mais les transfigure.

L’identification universelle ne supprime pas les devoirs particuliers mais les éclaire d’une lumière nouvelle qui en révèle la signification véritable. Le père de famille stoïcien accomplit ses devoirs paternels non par simple inclination naturelle mais par reconnaissance de sa place dans l’ordre cosmique.

Cette universalisation des motifs particuliers purifie les attachements naturels en les libérant de leur dimension passionnelle et possessive. L’amour parental du sage ne cherche pas à accaparer l’enfant mais à favoriser son développement vers l’autonomie rationnelle.

De plus, l’extension universelle de l’appropriation ne prétend pas à l’égalisation factuelle des attentions mais à l’universalisation du principe qui les guide. Le sage peut légitimement consacrer plus de temps à sa famille qu’aux étrangers tout en maintenant une bienveillance universelle qui exclut toute malveillance envers autrui.

L’influence sur le droit et la politique : Du cosmopolitisme à l’universalisme

L’influence de la théorie de l’oikeiôsis sur le développement du droit romain et de la pensée politique universaliste révèle la fécondité pratique de cette conception apparemment abstraite. Cette influence s’exerce particulièrement à travers la notion de jus gentium (droit des gens) qui transcende les particularismes juridiques locaux.

Le cosmopolitisme stoïcien inspire la conception d’un droit naturel universel qui fonde la dignité de tout être humain indépendamment de son statut social ou de sa nationalité. Cette conception révolutionnaire influence les juristes romains dans l’élaboration d’un droit qui s’étend progressivement à l’ensemble de l’Empire.

Cette universalisation juridique prépare l’émergence de la notion moderne de droits de l’homme qui postule l’existence de droits inaliénables fondés sur la nature humaine commune. Cette filiation révèle la modernité étonnante de la théorie stoïcienne de l’appropriation universelle.

Cependant, cette influence reste ambivalente car elle peut légitimer aussi bien l’extension démocratique des droits que l’impérialisme culturel qui impose un modèle particulier au nom de l’universalité. Cette ambivalence révèle les difficultés de l’application politique des principes moraux universels.

Résonances contemporaines : Psychologie évolutive et éthique environnementale

Les développements contemporains de la psychologie évolutive redécouvrent certaines intuitions de la théorie stoïcienne de l’oikeiôsis en révélant les bases biologiques de l’altruisme et de la coopération humaine. Ces recherches confirment l’existence de dispositions innées à l’identification avec autrui qui s’étendent naturellement au-delà de la parenté génétique.

L’étude de l’altruisme réciproque et de la sélection de groupe révèle que l’extension de l’appropriation au-delà de la famille immédiate présente des avantages adaptatifs qui expliquent son émergence évolutive. Cette confirmation scientifique ne valide pas automatiquement l’extension cosmique prônée par les stoïciens mais révèle ses bases naturelles.

L’éthique environnementale contemporaine développe une extension de l’oikeiôsis qui dépasse même le cosmopolitisme stoïcien en incluant les espèces non-humaines et les écosystèmes dans le cercle de l’appropriation morale. Cette extension révèle la plasticité du concept d’appropriation qui peut s’adapter aux défis éthiques inédits.

Cette évolution contemporaine révèle que la théorie stoïcienne de l’oikeiôsis conserve une fécondité conceptuelle qui permet de penser les défis moraux de la mondialisation et de la crise écologique. Elle offre un cadre théorique pour articuler attachements particuliers et responsabilités universelles dans un monde interdépendant.

L’héritage de la théorie de l’oikeiôsis témoigne ainsi de sa capacité à éclairer les enjeux moraux fondamentaux qui traversent l’histoire humaine : comment concilier l’amour de soi et l’ouverture à autrui, comment articuler appartenance particulière et citoyenneté universelle, comment étendre notre cercle de préoccupation morale sans perdre l’efficacité de l’action concrète. Ces questions, que Zénon formulait dans le contexte de la cité grecque, conservent toute leur actualité dans le contexte de la cité mondiale contemporaine.

Pour aller plus loin

  • Suzanne Husson, Les trois Républiques : Platon, Diogène de Sinope et Zénon de Citium, Vrin
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