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Table of Contents
  1. Définition et étymologie
  2. L’épochè dans le scepticisme antique
    1. Pyrrhon et le scepticisme pyrrhonien
    2. Sextus Empiricus et la systématisation
  3. L’épochè cartésienne
  4. L’épochè phénoménologique de Husserl
    1. La révolution husserlienne
    2. Attitude naturelle et attitude phénoménologique
    3. L’épochè universelle et ses degrés
  5. Les développements post-husserliens
    1. Martin Heidegger
    2. Maurice Merleau-Ponty
  6. Critiques et limites
  7. Influence contemporaine
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Épochè

  • 24/09/2025
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Définition et étymologie

L’épochè (du grec ancien ἐποχή, « epokhe ») signifie littéralement « arrêt », « suspension » ou « retenue ». Le terme dérive du verbe grec « epechein » (ἐπέχειν) qui signifie « s’arrêter », « s’abstenir » ou « suspendre son jugement ». Dans son usage philosophique, l’épochè désigne une attitude méthodique de suspension du jugement concernant l’existence du monde extérieur ou la validité de nos croyances naturelles.

Cette notion traverse l’histoire de la philosophie depuis l’Antiquité jusqu’à la phénoménologie contemporaine, mais elle acquiert des significations distinctes selon les contextes doctrinaux dans lesquels elle s’inscrit.

L’épochè dans le scepticisme antique

Pyrrhon et le scepticisme pyrrhonien

L’épochè trouve ses origines dans le scepticisme grec, particulièrement chez Pyrrhon d’Élis (vers 360-270 av. J.-C.), considéré comme le fondateur du scepticisme antique. Selon la tradition rapportée par Sextus Empiricus, Pyrrhon prônait une suspension générale du jugement (épochè) face à l’impossibilité de déterminer la vérité avec certitude.

Pour les pyrrhoniens, l’épochè constitue une réponse à l’isosthénie (égale force des arguments opposés). Confrontés à des thèses contradictoires également plausibles, les sceptiques choisissent de suspendre leur assentiment plutôt que de se prononcer témérairement. Cette suspension vise l’ataraxie (absence de trouble), état de tranquillité qui résulte de l’abandon de la recherche dogmatique de la vérité.

Sextus Empiricus et la systématisation

Sextus Empiricus (IIe-IIIe siècle) systématise la doctrine pyrrhonienne et précise le sens de l’épochè. Dans ses « Hypotyposes pyrrhoniennes », il présente l’épochè comme l’aboutissement naturel de l’enquête sceptique : après avoir examiné les arguments pour et contre une proposition, le sceptique découvre leur équivalence et suspend son jugement.

Cette épochè n’est pas un refus dogmatique de connaître, mais une attitude prudente et méthodique. Le sceptique continue de vivre selon les apparences (phainomena) et les coutumes, sans pour autant leur accorder une validité ontologique absolue.

L’épochè cartésienne

René Descartes (1596-1650) développe une forme d’épochè dans ses « Méditations métaphysiques » (1641), bien qu’il n’utilise pas explicitement ce terme. Le doute méthodique cartésien consiste à suspendre provisoirement l’assentiment à toutes les croyances qui peuvent être révoquées en doute, même de façon hyperbolique.

Cette épochè cartésienne diffère fondamentalement de l’épochè sceptique : elle n’est pas définitive mais méthodique, visant non l’ataraxie mais la découverte de vérités indubitables. Le doute cartésien est un instrument au service de la certitude, là où l’épochè pyrrhonienne était une fin en soi.

L’épochè phénoménologique de Husserl

La révolution husserlienne

Edmund Husserl (1859-1938) redécouvre et transforme radicalement la notion d’épochè dans le cadre de sa phénoménologie transcendantale. Dans les « Idées directrices pour une phénoménologie » (1913), il développe le concept de « réduction phénoménologique » dont l’épochè constitue le moment initial.

L’épochè husserlienne consiste à « mettre entre parenthèses » ou « mettre hors circuit » la thèse générale de l’attitude naturelle. Cette thèse, que Husserl appelle la « thèse générale du monde », pose l’existence effective du monde comme évidente et non problématique. L’épochè suspend cette croyance spontanée sans pour autant la nier.

Attitude naturelle et attitude phénoménologique

Dans l’attitude naturelle, nous vivons « naïvement » dans le monde, tenant pour acquise l’existence des objets qui nous entourent. Cette attitude guide notre vie quotidienne et même nos sciences positives. L’épochè nous fait passer de cette attitude naturelle à l’attitude phénoménologique, où nous considérons le monde non plus comme réalité effective mais comme phénomène pour une conscience.

Cette transformation d’attitude ne supprime pas le monde mais le révèle sous un jour nouveau : comme corrélat intentionnel de la conscience transcendantale. L’épochè dévoile ainsi le domaine d’investigation proprement phénoménologique.

L’épochè universelle et ses degrés

Husserl distingue plusieurs niveaux d’épochè. L’épochè peut d’abord porter sur les sciences naturelles et leurs objectivations, puis s’étendre à l’attitude naturelle dans son ensemble. Dans les textes tardifs, Husserl évoque même une « épochè universelle » qui inclut la logique et les mathématiques.

Cette radicalisation progressive de l’épochè reflète l’approfondissement de la réflexion phénoménologique et sa visée d’atteindre la subjectivité transcendantale pure, source ultime de toute constitution de sens.

Les développements post-husserliens

Martin Heidegger

Heidegger, tout en reconnaissant l’importance de la découverte husserlienne, critique l’orientation théorique de l’épochè phénoménologique. Dans « Être et Temps » (1927), il lui oppose l’analytique existentiale du Dasein, qui part de notre être-au-monde originaire plutôt que de le suspendre.

Pour Heidegger, l’épochè husserlienne reste prisonnière de l’attitude théorique traditionnelle et manque la dimension existentiale fondamentale de l’être humain comme être-jeté (Geworfenheit) dans le monde.

Maurice Merleau-Ponty

Merleau-Ponty développe une conception nuancée de l’épochè dans la « Phénoménologie de la perception » (1945). Il souligne le caractère paradoxal de l’épochè : elle vise à retrouver notre contact naïf avec le monde en prenant distance avec cette naïveté même.

Pour Merleau-Ponty, l’épochè révèle notre enracinement corporel dans le monde plutôt que notre statut de pure conscience transcendantale. Cette interprétation « incarnée » de l’épochè influence considérablement la phénoménologie française contemporaine.

Critiques et limites

L’épochè fait l’objet de diverses critiques. Les philosophes analytiques questionnent sa faisabilité réelle : est-il vraiment possible de suspendre nos croyances naturelles les plus fondamentales ? Cette objection touche particulièrement l’épochè universelle husserlienne.

D’autres critiques portent sur les présupposés de l’épochè : sa pratique n’implique-t-elle pas déjà certaines thèses ontologiques sur la nature de la conscience et de l’intentionnalité ? Les herméneutiques contemporains soulignent également l’impossibilité d’échapper complètement à notre situatedness historique et culturelle.

Influence contemporaine

Malgré ces critiques, l’épochè continue d’exercer une influence importante dans la philosophie contemporaine. Elle inspire diverses formes de « déconstruction » et de « mise à distance critique » des évidences naturelles. Des philosophes comme Jacques Derrida ou Emmanuel Levinas, tout en transformant l’héritage phénoménologique, conservent quelque chose de la radicalité critique de l’épochè husserlienne.

L’épochè demeure ainsi un outil conceptuel précieux pour toute philosophie qui cherche à questionner nos évidences les plus tenaces et à ouvrir de nouveaux champs d’investigation philosophique.

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