Définition et Étymologie
Le terme Zoe provient du grec ancien et signifie la vie. Cependant, la langue grecque possédait deux mots distincts pour exprimer ce que nous regroupons sous un seul terme : Zoe et Bios. La distinction entre ces deux termes est fondamentale pour comprendre l’usage philosophique du concept.
Zoe désigne le fait simple de vivre, la vie au sens biologique et impersonnel. C’est le principe vital, la vie nue, l’existence animée commune à tous les êtres vivants, qu’il s’agisse des animaux, des êtres humains ou même des dieux, qui sont qualifiés d’êtres à la zoe éternelle. La Zoe est le processus naturel de la naissance, de la croissance et de la mort.
Bios en revanche, ne désigne pas la vie en général, mais une forme de vie, une manière de vivre spécifique et qualifiée. Le Bios est la vie d’un individu ou d’un groupe, avec son caractère, ses actions et son histoire. C’est le terme qui nous a donné « biographie ». Quand les Grecs parlaient des différentes « vies », ils utilisaient Bios : la vie de plaisir, la vie de l’homme politique, la vie du philosophe.
En résumé, la Zoe est la vie en tant que fait biologique, tandis que le Bios est la vie en tant que construction éthique, politique ou narrative.
Usage en Philosophie
Cette distinction entre Zoe et Bios n’est pas une simple nuance de vocabulaire ; elle est au fondement de la philosophie politique et éthique, de l’Antiquité jusqu’à nos jours.
L’Exclusion Politique chez Aristote
C’est Aristote qui, le premier, a articulé politiquement cette distinction, notamment dans Les Politiques. Pour lui, l’être humain est un zōon politikon, un « animal politique ». Cette définition même est un paradoxe : l’homme est à la fois zōon (un être vivant, doté de Zoe) et politikon (un être dont la nature s’accomplit dans la polis, la cité, lieu du Bios).
Aristote explique que la cité se forme « en vue du simple fait de vivre » (zēn), c’est-à-dire pour assurer la survie, la reproduction et la sécurité, qui sont des fonctions de la Zoe. Mais, une fois formée, la cité existe « en vue du bien-vivre » (eu zēn), de la vie bonne, qui est le domaine du Bios.
Aristote opère ainsi une séparation radicale. La Zoe, la vie biologique, est reléguée à la sphère privée de la famille, l’oikos. C’est le lieu de la nécessité, de la reproduction et de l’économie domestique, un domaine partagé avec les femmes, les esclaves et les animaux. La polis, au contraire, est la sphère publique, le lieu de la liberté, de l’action (praxis) et de la parole, où les citoyens peuvent réaliser une vie proprement humaine, un Bios politique.
Pour les Grecs, la Zoe est donc ce qui doit être exclu de la politique pour que la politique puisse exister. La « vie nue » est un fondement pré-politique, mais elle n’a pas, en elle-même, de dignité politique.
La Biopolitique : Foucault et Agamben
Cette distinction antique a été radicalement réinterrogée par la philosophie contemporaine pour expliquer la nature du pouvoir moderne.
Michel Foucault a forgé le concept de biopolitique (ou biopouvoir). Selon lui, le pouvoir souverain de l’Ancien Régime était un droit de « faire mourir et laisser vivre ». Le souverain exerçait son pouvoir sur ses sujets en menaçant leur Bios ou en s’emparant de leurs biens. La Zoe, la vie biologique, restait en dehors de son champ d’action.
À l’inverse, le pouvoir moderne, à partir du dix-huitième siècle, est un pouvoir qui « fait vivre et laisse mourir ». Il s’inverse. L’État ne se contente plus de menacer la vie, il se met à la gérer, à l’administrer, à l’optimiser. La Zoe devient l’objet central du pouvoir. La biopolitique s’occupe de la santé publique, de l’hygiène, des taux de natalité, de la démographie, de la sexualité de la population. La vie biologique « nue » des individus entre de plain-pied dans le champ politique.
Le philosophe italien Giorgio Agamben, poussant l’analyse de Foucault, a fait de la Zoe le concept central de sa critique. Dans son œuvre majeure, Homo Sacer, Agamben soutient que la politique occidentale s’est fondée non pas sur la promotion du Bios, mais sur l’exclusion constitutive de la Zoe.
Agamben analyse la figure de l’Homo Sacer du droit romain : un individu qui pouvait être tué par quiconque sans que cela soit considéré comme un meurtre, mais qui ne pouvait pas être sacrifié selon les rites. Cet individu était réduit à sa « vie nue » (Zoe), exclu de la communauté politique (Bios) mais capturé par le pouvoir souverain, qui s’exerce sur lui sans médiation.
Pour Agamben, l’horreur des camps de concentration modernes n’est pas un accident de l’histoire, mais l’aboutissement de cette logique biopolitique. Le camp est le lieu où des êtres humains sont systématiquement dépouillés de tout statut politique, de tout Bios (citoyenneté, droits, identité), pour être réduits à leur pure Zoe, leur simple corps vivant, que le pouvoir peut administrer et détruire à volonté. La Zoe devient ainsi la figure ultime de la vulnérabilité politique.