Définition et Étymologie
Le terme Xénophobie est un néologisme moderne, construit à partir de deux mots du grec ancien : xenos ($\xi$ $\epsilon$ $\nu$ $\omicron$ $\varsigma$) et phobos ($\phi$ $\omicron$ $\beta$ $\omicron$ $\varsigma$). Le mot xenos est ambivalent, signifiant à la fois l’étranger, celui qui vient d’une autre communauté, et l’hôte. Le mot phobos signifie la peur, la crainte, et par extension, la haine ou l’aversion. La xénophobie est donc, littéralement, la peur ou l’hostilité envers l’étranger.
Plus précisément, la xénophobie désigne une attitude de méfiance, de rejet ou de haine à l’égard des individus ou des groupes perçus comme étrangers à sa propre communauté, à sa nation ou à sa culture. C’est une hostilité de principe envers ce qui est perçu comme « non-nous ».
Il est important de distinguer la xénophobie du racisme, bien que les deux phénomènes soient souvent liés. Le racisme est une idéologie qui postule une hiérarchie entre des « races » humaines, souvent fondée sur des critères biologiques ou essentialistes. La xénophobie, elle, se fonde sur le critère de l’extranéité. L’hostilité n’est pas dirigée contre une « race » prétendument inférieure, mais contre l’étranger en tant qu’étranger, en tant que personne venant d’ailleurs, porteuse d’autres mœurs, d’une autre langue ou d’une autre nationalité. La xénophobie se nourrit de la peur de l’inconnu, de la crainte de la perte d’identité culturelle ou de la compétition pour les ressources.
Ses manifestations sont variées, allant du préjugé et de la simple méfiance à la discrimination dans le logement ou l’emploi, jusqu’au discours de haine, à l’agression physique et aux politiques d’exclusion systématique.
Usage en Philosophie
La xénophobie n’est pas un concept technique développé par la philosophie classique, mais elle est un objet d’étude central pour la philosophie politique, l’éthique et la sociologie, car elle interroge la manière dont une communauté se définit par l’exclusion de l’Autre.
La pensée politique occidentale s’est en grande partie construite sur la distinction entre le citoyen et l’étranger. Dans la polis grecque, le xenos était privé de droits politiques. Cette distinction était un fait structurel. Le philosophe Carl Schmitt, au vingtième siècle, a radicalisé cette idée en affirmant que la catégorie fondamentale du politique est la distinction entre l’ami et l’ennemi (Freund-Feind). La xénophobie est la traduction affective et sociale de cette distinction, lorsque l’étranger n’est plus vu comme un hôte potentiel mais comme une menace pour l’existence du groupe. La cohésion du « nous » se cimente alors dans l’opposition au « eux ».
Les philosophies universalistes se sont construites en opposition à ce particularisme. Le stoïcisme, par exemple, en promouvant le cosmopolitisme, fut la première tentative radicale de dissoudre la xénophobie. En affirmant que tous les êtres humains sont citoyens du même Kosmos car ils partagent la raison, le Logos, les stoïciens rendaient la distinction entre citoyen et étranger moralement caduque.
De même, l’éthique d’Emmanuel Kant fonde le devoir moral sur l’humanité universelle. Son impératif catégorique exige de traiter l’humanité, en sa propre personne comme en celle de tout autre, toujours comme une fin et jamais simplement comme un moyen. La xénophobie est un échec moral fondamental au sens kantien, car elle refuse de reconnaître la dignité et la rationalité pleines et entières de l’étranger.
La philosophie contemporaine a exploré les racines psychologiques et linguistiques de ce rejet de l’Autre. Jean-Paul Sartre, dans sa Réflexion sur la question juive, analyse l’antisémitisme, une forme spécifique de xénophobie, non pas comme une opinion basée sur des faits, mais comme un « choix » existentiel. C’est une passion que l’individu choisit pour fuir sa propre liberté et son angoisse, en se constituant une identité rigide par la haine d’un « autre » qu’il a lui-même construit comme un objet.
Jacques Derrida, en revenant sur le mot xenos, a exploré les apories de l’hospitalité. Il montre que notre rapport à l’étranger est toujours pris dans une tension. Nous avons des « lois de l’hospitalité », qui sont une hospitalité conditionnelle : nous accueillons l’étranger à condition qu’il donne son nom, respecte nos lois, s’assimile. La xénophobie est le refus brutal de cette hospitalité conditionnelle. Mais Derrida oppose à cela une hospitalité inconditionnelle, éthique, qui serait l’accueil de l’autre absolu, sans condition. La xénophobie est le rejet de cette exigence éthique fondamentale d’ouverture à l’altérité.