Définition et Étymologie
Wille zur Macht est une expression allemande qui se traduit littéralement en français par Volonté de Puissance. Il s’agit du concept central et sans doute le plus complexe de la philosophie de Friedrich Nietzsche.
Le terme Wille signifie la volonté, et Macht signifie la puissance. Cette « puissance » ne doit pas être comprise d’emblée dans un sens politique, comme la domination sur les autres, bien qu’elle puisse inclure cet aspect. La Macht est d’abord une force créatrice, une capacité d’expansion, une puissance d’affirmation et d’auto-dépassement.
Pour Nietzsche, la Volonté de Puissance n’est pas simplement une pulsion psychologique parmi d’autres ; elle est le principe métaphysique fondamental qui anime la totalité du réel. C’est l’essence intime de l’être, le moteur du « devenir ». Tout ce qui existe, du plus petit organisme à la société humaine la plus complexe, est l’expression de cette Volonté de Puissance.
Ce concept s’oppose à deux idées dominantes de son temps. D’une part, il s’oppose au « vouloir-vivre » d’Arthur Schopenhauer. Pour Nietzsche, la vie ne cherche pas seulement à se conserver ou à survivre, ce qui serait une vision réactive et faible. La vie cherche à s’accroître, à se dépasser, à commander. La simple survie est une exception, le véritable élan vital est une expansion.
D’autre part, la Volonté de Puissance s’oppose au darwinisme social et à la « lutte pour l’existence ». Nietzsche considère que la lutte pour la vie n’est pas la règle ; la règle est la lutte pour la puissance. Les faibles ne périssent pas, ils tendent à s’agréger pour dominer les forts par le nombre et par la ruse, ce qu’il nommera la morale.
La Volonté de Puissance est donc cette pulsion primordiale de toute force qui cherche à aller jusqu’au bout de ses conséquences, à imposer sa perspective et à augmenter son quantum de force.
Usage en Philosophie
L’œuvre de Friedrich Nietzsche est l’unique lieu de déploiement de ce concept. Il l’utilise comme une clé d’interprétation universelle pour comprendre la morale, la connaissance, l’art et l’histoire.
La Volonté de Puissance comme Interprétation
Pour Nietzsche, le monde n’a pas de sens en soi. Il est un chaos de forces. La Volonté de Puissance est ce qui interprète ce chaos, ce qui lui donne une forme et un sens. La « vérité » n’existe pas de manière absolue ; ce que nous appelons « vrai » est simplement l’interprétation qui a triomphé, l’évaluation imposée par une Volonté de Puissance particulière qui s’est montrée la plus forte. Connaître n’est pas découvrir passivement le réel, c’est l’assimiler, l’organiser et se l’approprier.
Morale des Maîtres et Morale des Esclaves
Nietzsche utilise la Volonté de Puissance pour sa critique de la morale. Il distingue deux types de morales, qui sont deux expressions différentes de cette volonté.
La morale des maîtres, ou morale aristocratique, est l’expression d’une Volonté de Puissance forte, active et affirmative. L’individu fort pose ses propres valeurs à partir de sa propre plénitude. Il dit « oui » à la vie, à la force, à la hiérarchie. Le « bon » est ce qui est noble, fort, ce qui accroît la puissance.
La morale des esclaves, qu’il identifie à la morale judéo-chrétienne et à ses héritières modernes comme le socialisme ou la démocratie, est l’expression d’une Volonté de Puissance faible et réactive. Née du ressentiment des faibles, incapables de dominer par la force, cette morale opère un « renversement des valeurs ». Elle nomme « mal » ce que le maître nommait « bon » : la force, l’orgueil, la richesse. Elle valorise ce qui est utile aux faibles : la pitié, l’humilité, l’égalité, la patience. C’est, pour Nietzsche, une ruse de la Volonté de Puissance des faibles pour dominer les forts en les culpabilisant.
Le Surhomme et l’Éternel Retour
Le concept est indissociable des autres grandes idées nietzschéennes. Le Surhomme (Übermensch) est la figure de celui qui incarne la Volonté de Puissance affirmative. Il est celui qui se dépasse lui-même, qui « transvalue » les valeurs nihilistes de la morale d’esclave et qui devient créateur de nouvelles valeurs.
L’Éternel Retour est l’épreuve de pensée sélective pour cette Volonté de Puissance. Seule une volonté forte, qui dit « oui » à la vie dans son intégralité, peut supporter et même vouloir le retour éternel de chaque instant, y compris le plus douloureux.
Il est important de noter que Nietzsche n’a jamais publié de livre achevé intitulé La Volonté de Puissance. L’ouvrage portant ce titre est un recueil de fragments posthumes, souvent controversé, assemblé par sa sœur, Elisabeth Förster-Nietzsche, qui a pu orienter l’interprétation du concept vers une brutalité politique que Nietzsche lui-même ne visait pas. Les philosophes s’appuient donc sur l’usage du terme dans ses œuvres publiées, comme Par-delà bien et mal ou Ainsi parlait Zarathoustra.