Définition et Étymologie
L’utilitarisme est une doctrine philosophique, principalement éthique, qui fait de l’utilité le critère fondamental de la moralité. Le terme provient du latin utilitas, qui signifie « utilité », « avantage » ou « usage ».
Fondamentalement, l’utilitarisme est une forme de conséquentialisme. Cela signifie qu’une action n’est pas jugée morale ou immorale en fonction de l’intention de l’agent (comme chez Kant) ou de sa conformité à une loi divine, mais uniquement en fonction de ses conséquences.
Le principe central de l’utilitarisme, souvent appelé « principe d’utilité » ou « principe du plus grand bonheur », stipule que : l’action juste est celle qui produit le plus grand bonheur pour le plus grand nombre de personnes.
Dans cette perspective, l’« utilité » n’est pas comprise au sens étroit de « pratique » ou « fonctionnel », mais au sens hédoniste de bien-être ou de bonheur. Classiquement, le bonheur est défini comme la maximisation du plaisir et la minimisation de la douleur. La moralité devient alors une sorte de « calcul » (ce que Bentham appellera le « calcul félicifique ») visant à optimiser le bien-être collectif.
Usage en Philosophie
L’utilitarisme est né formellement à la fin du 18e siècle en Angleterre, en réaction aux morales fondées sur la tradition, la religion ou des principes abstraits (comme le droit naturel). Il se veut une morale rationnelle, laïque et pragmatique, visant à améliorer concrètement la société.
Jeremy Bentham : Le fondateur (L’utilitarisme quantitatif)
Jeremy Bentham (1748-1832) est considéré comme le père de l’utilitarisme. Dans son Introduction aux principes de la morale et de la législation (1789), il pose les bases de la doctrine.
Pour Bentham, la nature nous a placés sous l’empire de deux maîtres : le plaisir et la douleur. Ils déterminent ce que nous devons faire. La morale doit donc consister à calculer les effets d’une action sur la somme totale de plaisir et de douleur qu’elle engendre dans la société.
- Le calcul félicifique : Bentham propose un « calcul » quasi mathématique pour évaluer une action. Il faut prendre en compte plusieurs critères : l’intensité (le plaisir est-il fort ?), la durée (dure-t-il longtemps ?), la certitude (est-il sûr d’advenir ?), la proximité (est-il immédiat ?), etc.
- L’impartialité : Le bonheur de chaque individu compte pour un, et seulement pour un. Le bonheur d’un noble ne vaut pas plus que celui d’un paysan. C’est un principe radicalement égalitariste pour l’époque.
- La quantification des plaisirs : Pour Bentham, tous les plaisirs sont de même nature et ne diffèrent que par leur quantité. Sa formule célèbre est : « À quantité de plaisir égale, le jeu de la poussette [un jeu d’enfant] vaut la poésie. »
John Stuart Mill : Le réformateur (L’utilitarisme qualitatif)
John Stuart Mill (1806-1873), élevé par le père de Bentham et Bentham lui-même, a cherché à raffiner l’utilitarisme pour répondre aux critiques qui l’accusaient d’être une « morale de pourceaux » (une morale qui ne valorise que les plaisirs bas).
Dans L’Utilitarisme (1861), Mill introduit une distinction importante :
La qualité des plaisirs : Contrairement à Bentham, Mill affirme que certains plaisirs sont qualitativement supérieurs à d’autres. Les plaisirs de l’esprit, de l’intellect, de la sensibilité morale et de la culture sont intrinsèquement supérieurs aux plaisirs purement corporels.
Exemple célèbre : Mill déclare : « Il vaut mieux être un être humain insatisfait qu’un porc satisfait ; il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait. » L’imbécile et le porc ne connaissent que les plaisirs inférieurs ; Socrate, lui, connaît les deux types et préfère les plaisirs supérieurs, même s’ils s’accompagnent de frustrations.
L’Utilitarisme de l’acte vs. l’Utilitarisme de la règle
Au 20e siècle, la doctrine s’est scindée en deux branches principales pour répondre à certaines objections :
L’utilitarisme de l’acte (Bentham) : C’est l’application directe du principe. Pour chaque action, je dois me demander : « Cette action précise maximise-t-elle le bonheur global ? »
Problème : Cela pourrait justifier des actes moralement répugnants. Par exemple, torturer un innocent pour en sauver dix (10 vies valent plus que 1 vie).
L’utilitarisme de la règle (Mill) : On ne juge pas l’acte isolé, mais la règle sous-jacente. La question devient : « Que se passerait-il si tout le monde adoptait la règle de mon action ? »
Exemple : L’utilitariste de la règle dira qu’il ne faut pas torturer l’innocent, non pas parce que cet acte précis est mauvais, mais parce que la règle « Autoriser la torture d’innocents pour le bien commun » créerait, à long terme, une société de peur et d’insécurité, diminuant le bonheur global.
Exemples et Impact
L’utilitarisme est peut-être la philosophie morale qui a eu le plus d’impact sur le droit et les politiques publiques modernes.
Le dilemme du tramway : C’est l’exemple classique. Un tramway fou fonce vers 5 personnes. Vous pouvez actionner un levier pour le dévier sur une autre voie où se trouve 1 personne.
L’analyse utilitariste de l’acte : Il faut actionner le levier. Sacrifier une vie pour en sauver cinq est une maximisation du bien-être.
La politique publique : L’analyse « coût-bénéfice » utilisée par les gouvernements pour décider de construire un hôpital, une autoroute, ou d’appliquer une mesure sanitaire (comme un confinement) est une forme d’utilitarisme appliqué. On pèse les avantages (vies sauvées, bien-être économique) contre les inconvénients (coût, perte de liberté).
L’utilitarisme contemporain (Peter Singer) : Des philosophes comme Peter Singer ont étendu le calcul utilitariste au-delà des humains. Puisque les animaux (non-humains) sont des êtres qui ressentent (capables de ressentir plaisir et douleur), leur souffrance doit être prise en compte dans le calcul moral global. Cela fournit un fondement philosophique majeur aux mouvements de droits des animaux et à l’antispécisme.




