Définition et Étymologie
Le terme Uchronie désigne un genre littéraire ou un exercice de pensée qui consiste à imaginer une histoire alternative à partir d’un point de divergence dans le passé. Il s’agit de réécrire l’histoire en modifiant un événement historique précis et en explorant les conséquences de ce changement. L’uchronie se base sur la question fondamentale : « Que se serait-il passé si… ? ».
Le mot « uchronie » est un néologisme créé par le philosophe français Charles Renouvier en 1876, qui l’a utilisé comme titre pour son ouvrage Uchronie (L’utopie dans l’histoire). L’étymologie est forgée sur le modèle d’Utopie, terme créé par Thomas More. Si « utopie » vient des termes grecs ou- (non, ne… pas) et topos (lieu), signifiant littéralement « en aucun lieu », « uchronie » combine ou- (non) et chronos (temps). L’uchronie est donc, littéralement, un « non-temps », un temps qui n’a pas existé mais qui aurait pu exister.
L’uchronie se distingue de la science-fiction, qui explore le plus souvent le futur, et de la fantaisie, qui se déroule dans un monde imaginaire. Elle reste ancrée dans notre monde et notre histoire, mais en modifie la trajectoire. L’élément central de toute uchronie est le « point de divergence » : l’instant précis où l’histoire fictive se sépare de l’histoire réelle que nous connaissons.
Usage en Philosophie et en Littérature
Bien que l’uchronie soit aujourd’hui un genre littéraire populaire, son origine est philosophique. Charles Renouvier, son inventeur, était un philosophe néo-kantien qui s’opposait fermement au déterminisme historique, une idée dominante à son époque, portée par exemple par Hegel ou Marx, qui suggérait que l’histoire suivait un cours nécessaire et inévitable.
Pour Renouvier, l’uchronie est une expérience de pensée. En écrivant son Uchronie, qui imaginait ce que serait devenue l’Europe si l’empereur romain Marc Aurèle avait agi différemment, il voulait démontrer la contingence de l’histoire. Il soutenait que l’histoire n’est pas un bloc déterminé d’avance, mais le résultat d’une série de choix humains, d’accidents et de hasards. Le libre arbitre des individus, à des moments clés, peut faire basculer le destin de civilisations entières. L’uchronie est donc l’outil philosophique qui permet de prendre au sérieux la liberté humaine dans le déroulement du temps.
Ce genre explore la causalité historique. Il met en lumière l’importance de certains événements que l’on pourrait considérer comme des détails, mais qui, en changeant, transformeraient radicalement notre présent. C’est une application de « l’effet papillon » à l’histoire humaine.
Le thème le plus fréquent de l’uchronie est sans doute la Seconde Guerre mondiale. Que se serait-il passé si l’Allemagne nazie avait remporté la guerre ? Cette question est au cœur du roman Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick. Dans cette œuvre, les États-Unis ont été vaincus et sont partagés entre le Japon et l’Allemagne. L’uchronie permet ici une réflexion politique et morale profonde sur la fragilité de la démocratie et la nature de l’occupation. De même, Fatherland de Robert Harris dépeint une Europe des années 1960 dominée par un Reich victorieux, explorant les thèmes du totalitarisme et du secret.
D’autres exemples abondent : Éric-Emmanuel Schmitt, dans La Part de l’autre, imagine deux histoires parallèles : l’une où Adolf Hitler est reçu à l’école des Beaux-Arts de Vienne, et l’autre, la réelle, où il est refusé. L’auteur explore ainsi la part de déterminisme et de choix dans la construction d’un destin.
En nous faisant réfléchir à ce qui aurait pu être, l’uchronie nous force à mieux considérer ce qui est. Notre présent n’apparaît plus comme le seul monde possible, mais comme un chemin parmi d’autres. Elle nous invite à reconsidérer l’importance des événements passés et la responsabilité des acteurs historiques. Elle est, comme le suggérait Renouvier, une « utopie dans l’histoire » : elle utilise la fiction pour interroger les fondements de notre réalité présente et la possibilité d’un autre avenir.




