Définition et étymologie
La théologie désigne le discours rationnel sur Dieu, l’étude systématique de la nature divine, de ses attributs et de ses relations avec le monde et l’humanité. Le terme provient du grec theologia, composé de theos (dieu) et logos (discours, raison, étude), signifiant littéralement « discours sur Dieu » ou « science divine ».
La théologie se distingue de la simple foi religieuse ou de la mystique en ce qu’elle cherche à comprendre rationnellement et à exposer de manière cohérente les vérités concernant le divin. Elle peut s’appuyer sur la révélation (théologie révélée) ou sur la seule raison naturelle (théologie naturelle ou philosophique). Dans son acception la plus large, la théologie englobe toute réflexion organisée sur la divinité, ses manifestations et ses implications pour l’existence humaine.
Usage philosophique et développements conceptuels
Origines grecques : des poètes aux philosophes
Le mot theologia apparaît d’abord chez Platon pour désigner les récits mythologiques des poètes concernant les dieux. Dans la République, Platon critique la théologie poétique d’Homère et d’Hésiode, accusée de présenter des divinités immorales et changeantes. Il propose une théologie rationnelle épurée : le divin doit être conçu comme parfaitement bon, immuable et véridique.
Aristote développe une « théologie » philosophique dans sa Métaphysique, notamment dans le livre Lambda où il démontre l’existence du Premier Moteur immobile, pensée se pensant elle-même, cause finale de tout mouvement cosmique. Cette divinité aristotélicienne, purement contemplative et inconsciente du monde qu’elle meut, influencera profondément la théologie médiévale malgré sa distance avec le Dieu personnel des religions abrahamiques.
Les stoïciens élaborent également une théologie naturaliste identifiant Dieu au Logos rationnel immanent à l’univers, tandis qu’Épicure propose une théologie minimale où les dieux, parfaitement heureux, demeurent indifférents aux affaires humaines.
Philon d’Alexandrie : rencontre entre philosophie grecque et révélation biblique
Philon d’Alexandrie (Ier siècle) inaugure la synthèse entre la pensée philosophique grecque et la tradition biblique juive. Il interprète allégoriquement les Écritures à la lumière du platonisme, développant une théologie du Logos comme intermédiaire entre le Dieu transcendant ineffable et le monde créé. Cette fusion de Jérusalem et d’Athènes prépare le terrain pour la théologie chrétienne ultérieure.
Les Pères de l’Église : élaboration de la théologie chrétienne
Les Pères de l’Église des premiers siècles développent une théologie chrétienne systématique en dialogue critique avec la philosophie grecque. Clément d’Alexandrie et Origène utilisent les outils conceptuels platoniciens pour approfondir l’intelligence de la foi. Tertullien, plus méfiant, pose la question provocante : « Qu’est-ce qu’Athènes a à voir avec Jérusalem ? », soulignant la tension entre raison philosophique et révélation.
Les grands conciles œcuméniques (Nicée en 325, Constantinople en 381, Chalcédoine en 451) formulent les dogmes christologiques et trinitaires fondamentaux, définissant l’orthodoxie contre diverses hérésies. Cette élaboration dogmatique constitue la théologie comme discipline intellectuelle rigoureuse, utilisant des concepts philosophiques (substance, nature, personne, hypostase) pour exprimer les mystères révélés.
Augustin : foi et raison, grâce et liberté
Saint Augustin d’Hippone pose les fondements de la théologie occidentale. Sa formule credo ut intelligam (« je crois pour comprendre ») exprime la priorité de la foi sur la compréhension rationnelle, tout en affirmant la légitimité de l’effort intellectuel pour approfondir ce qui est cru. La foi cherche l’intelligence et l’intelligence désire la foi.
Augustin développe une théologie de la Trinité, de la grâce, du péché originel et de la prédestination qui dominera la pensée chrétienne pendant plus d’un millénaire. Sa doctrine de la grâce efficace, nécessaire au salut face à la corruption radicale de la volonté humaine déchue, soulève des questions philosophiques profondes sur la liberté, la responsabilité morale et la justice divine.
La scolastique médiévale : apogée de la théologie systématique
Le Moyen Âge occidental voit l’épanouissement d’une théologie rationnelle sophistiquée. Anselme de Cantorbéry développe la « théologie scolastique », cherchant à démontrer rationnellement les vérités de foi. Son argument ontologique pour l’existence de Dieu, présenté dans le Proslogion, affirme que l’idée même de Dieu comme « être tel que rien de plus grand ne peut être pensé » implique nécessairement son existence réelle.
Thomas d’Aquin réalise la synthèse magistrale entre aristotélisme et christianisme dans sa Somme théologique. Il distingue soigneusement théologie naturelle (accessible à la raison seule) et théologie révélée (fondée sur l’Écriture et la Tradition). Les « cinq voies » démontrent rationnellement l’existence de Dieu à partir de l’observation du monde : mouvement, causalité efficiente, contingence, degrés de perfection et finalité.
Pour Thomas, foi et raison ne peuvent se contredire puisqu’elles proviennent toutes deux de Dieu. La philosophie est « servante de la théologie » (ancilla theologiae), fournissant les outils conceptuels pour articuler et défendre les vérités révélées. Cette harmonie entre Athènes et Jérusalem marque l’apogée de la confiance médiévale en la rationalité de la foi.
Duns Scot et Ockham : critique de la théologie rationnelle
Jean Duns Scot et Guillaume d’Ockham introduisent une rupture dans la synthèse thomiste. Duns Scot souligne la primauté de la volonté divine sur son intellect : Dieu aurait pu créer un ordre moral différent. Ockham radicalise cette position avec sa doctrine de la « toute-puissance absolue » (potentia absoluta) : Dieu n’est lié par aucune nécessité rationnelle.
Ockham creuse également un fossé entre foi et raison : les vérités théologiques ne sont pas démontrables rationnellement mais relèvent de la révélation seule. Cette séparation annonce la fin de la grande synthèse scolastique et prépare indirectement la sécularisation moderne de la philosophie.
Luther et la Réforme : critique de la théologie spéculative
Martin Luther rejette violemment la théologie scolastique qu’il juge orgueilleuse et impie. Contre la « théologie de la gloire » qui prétend connaître Dieu par la raison, il oppose une « théologie de la croix » : Dieu se révèle paradoxalement dans la faiblesse, la souffrance et la folie apparente du Christ crucifié.
La doctrine du sola scriptura (l’Écriture seule) et du sola fide (la foi seule) redéfinit radicalement la théologie protestante. La justification par la foi seule, sans les œuvres, conteste toute prétention humaine à mériter le salut. Jean Calvin systématise cette théologie réformée en insistant sur la souveraineté absolue de Dieu et la double prédestination.
Théologie naturelle et critique moderne
La philosophie moderne réexamine le statut de la théologie. Descartes reprend l’argument ontologique dans ses Méditations métaphysiques, tandis que Spinoza identifie Dieu et Nature dans son panthéisme rationaliste, provoquant l’accusation d’athéisme.
Leibniz défend une théologie rationnelle optimiste dans ses Essais de théodicée, mais Hume, dans ses Dialogues sur la religion naturelle, démonte systématiquement les arguments théologiques classiques, notamment l’argument du dessein intelligent. Kant, dans la Critique de la raison pure, conclut à l’impossibilité de démontrer l’existence de Dieu par la raison théorique, tout en préservant Dieu comme postulat de la raison pratique.
Théologies contemporaines
Au XXe siècle, Karl Barth inaugure la « théologie dialectique », rejetant toute théologie naturelle et insistant sur la transcendance radicale de Dieu révélé uniquement en Jésus-Christ. Paul Tillich propose une « théologie de la culture », interprétant Dieu comme « fondement de l’être » plutôt que comme être suprême.
La théologie de la libération latino-américaine, avec Gustavo Gutiérrez, réoriente la réflexion théologique vers la praxis historique et la lutte contre l’oppression. Les théologies féministes, noires, postcoloniales questionnent les présupposés culturels de la théologie traditionnelle.
La théologie demeure ainsi une discipline vivante, oscillant entre affirmation rationnelle et apophatisme mystique, entre systématisation dogmatique et déconstruction critique, cherchant toujours à dire l’indicible et à penser l’impensable du divin.