Définition et Étymologie
Le terme Vertu provient du latin virtus, un mot lui-même dérivé de vir, qui signifie « l’homme » au sens de l’individu mâle, par opposition à homo (l’être humain). À l’origine, la virtus romaine n’était pas d’abord une qualité morale au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Elle désignait l’excellence propre à l’homme, sa force de caractère, sa vaillance et son courage, en particulier le courage militaire. C’était la qualité du citoyen-soldat idéal.
Avec le temps, et notamment sous l’influence de la philosophie grecque, le sens du mot s’est profondément moralisé. La vertu a cessé de désigner une simple force physique ou une efficacité dans l’action pour devenir une disposition intérieure stable à faire le Bien.
En philosophie, la vertu est définie comme une excellence morale acquise. Ce n’est pas une action ponctuelle, mais un trait de caractère, une habitude (hexis en grec) qui incline une personne à bien agir, à bien penser et à ressentir les émotions de manière juste. C’est la force morale qui permet à un individu de tendre vers un idéal de vie bonne, en maîtrisant ses passions et en suivant la raison. La vertu s’oppose au vice, qui est la disposition habituelle à mal agir.
Usage en Philosophie
Le concept de vertu est au cœur de la philosophie morale depuis ses débuts, donnant même son nom à un courant entier : l’éthique des vertus.
L’Antiquité Grecque : Platon et Aristote
Pour les penseurs grecs, la vertu, arété en grec, signifie « excellence ». Elle est la réalisation parfaite de la fonction d’une chose. La vertu d’un couteau est de bien couper ; la vertu d’un médecin est de bien soigner. La question philosophique est donc : quelle est la vertu propre de l’être humain ?
Pour Socrate et son disciple Platon, la vertu est fondamentalement une connaissance. « Nul ne fait le mal volontairement ». Si quelqu’un agit mal, c’est par ignorance de ce qu’est le véritable Bien. L’homme vertueux est celui qui sait, par l’usage de sa raison, ce qu’est la justice, le courage ou la tempérance. Platon identifie quatre vertus cardinales qui assurent l’harmonie de l’âme : la sagesse (la vertu de la partie rationnelle), le courage (la vertu de la partie ardente), la tempérance (la maîtrise des désirs) et la justice, qui est la vertu suprême consistant en l’harmonie des trois autres parties sous la direction de la raison.
Aristote, dans l’Éthique à Nicomaque, offre l’analyse la plus systématique de la vertu. Il distingue les vertus intellectuelles, qui s’acquièrent par l’enseignement, des vertus morales, qui s’acquièrent par l’habitude. On ne naît pas vertueux, on le devient en pratiquant des actes vertueux, tout comme on devient musicien en jouant de la musique.
Pour Aristote, la vertu morale est un juste milieu (mesotes) situé entre deux extrêmes, qui sont tous deux des vices : l’un par excès, l’autre par défaut. Par exemple, le courage est le juste milieu entre la lâcheté (défaut de peur) et la témérité (excès de confiance). La générosité est le juste milieu entre l’avarice (défaut de don) et la prodigalité (excès de don). Ce juste milieu n’est pas une moyenne mathématique ; il est relatif à nous et doit être déterminé par la prudence (phronesis), la sagesse pratique. L’objectif de la vie vertueuse est l’accomplissement de la nature humaine, un état de plénitude qu’Aristote nomme l’eudaimonia, le « bonheur » ou l’épanouissement.
Stoïcisme et Morale Chrétienne
Pour les stoïciens comme Épictète ou Marc Aurèle, la vertu est le seul et unique Bien. La santé, la richesse ou la douleur ne sont ni bonnes ni mauvaises en elles-mêmes ; elles sont « indifférentes ». Le seul mal est le vice. La vertu consiste à vivre en accord avec la raison, à accepter le destin et à se concentrer uniquement sur ce qui dépend de nous : nos jugements et notre volonté.
La philosophie chrétienne, notamment avec Thomas d’Aquin, reprendra la classification aristotélicienne des vertus cardinales (prudence, justice, force, tempérance), mais en leur ajoutant les trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité. Ces dernières ne s’acquièrent pas par l’habitude mais sont « infusées » par la grâce divine et ont pour objet Dieu lui-même, la fin surnaturelle de l’homme.
Modernité et Critiques
Avec la modernité, l’éthique se déplace de la question « Quel genre de personne dois-je être ? » (éthique des vertus) à la question « Que dois-je faire ? » (éthique de l’action).
Pour Emmanuel Kant, la vertu n’est pas la source de la morale, mais sa conséquence. La morale se fonde sur le devoir et l’impératif catégorique, une loi que la raison se donne à elle-même. La vertu est alors définie comme la « force morale » de la volonté d’un être humain dans l’accomplissement de son devoir, en luttant contre ses penchants sensibles.
Friedrich Nietzsche opère une critique radicale de la vertu, y voyant une invention des faibles (la « morale d’esclave » du judéo-christianisme) pour culpabiliser et dompter les forts. Il appelle à un « renversement de toutes les valeurs » pour retrouver une vertu aristocratique, celle de l’affirmation de la vie et de la volonté de puissance.
Au vingtième siècle, l’éthique des vertus a connu un renouveau important, notamment avec des philosophes comme Alasdair MacIntyre. Face à l’impasse des morales de règles, ce courant propose de revenir à une réflexion sur le caractère, les communautés et la formation d’habitudes bonnes pour atteindre une vie accomplie.