Définition et étymologie
Le monisme est la doctrine philosophique selon laquelle la réalité, dans son essence la plus fondamentale, est constituée d’une seule substance, d’un seul principe ou d’un seul type d’être. Cette position s’oppose au dualisme, qui postule l’existence de deux substances distinctes (comme l’esprit et la matière chez Descartes), et au pluralisme, qui admet une multiplicité de substances ou de principes fondamentaux.
Le terme « monisme » fut forgé relativement tardivement dans l’histoire de la philosophie. Il provient du grec « monos » (μόνος) signifiant « seul, unique », auquel s’ajoute le suffixe « -isme » indiquant une doctrine ou un système de pensée. Le philosophe allemand Christian Wolff utilise le terme « monismus » au XVIIIe siècle, mais c’est surtout le biologiste allemand Ernst Haeckel qui popularise le concept au XIXe siècle pour désigner une vision unitaire de l’univers opposée aux dualismes traditionnels.
Le monisme peut prendre différentes formes selon la nature de la substance ou du principe unique qu’il postule : monisme matérialiste (tout est matière), monisme idéaliste (tout est esprit ou idée), monisme neutre (tout dérive d’une substance qui n’est ni matérielle ni mentale), ou encore monisme de l’attribut (les phénomènes mentaux et physiques sont deux aspects d’une même réalité).
Usage en philosophie
Les origines présocratiques
Les premiers philosophes grecs développent déjà des formes de monisme en cherchant l’archè, le principe unique à l’origine de toutes choses. Thalès de Milet (vers 625-547 av. J.-C.) identifie ce principe à l’eau, Anaximène (vers 585-525 av. J.-C.) à l’air, et Héraclite d’Éphèse (vers 540-480 av. J.-C.) au feu éternel ou logos. Ces premiers monismes sont essentiellement matérialistes, cherchant dans un élément physique l’explication de la diversité du monde.
Parménide d’Élée (vers 515-440 av. J.-C.) développe un monisme plus radical en affirmant que l’être est un, éternel et immuable. Pour lui, la multiplicité et le changement ne sont que des illusions des sens ; seul l’être unique et indivisible possède une réalité véritable. Cette position influence profondément la tradition métaphysique occidentale en posant la question de l’unité sous-jacente à la diversité apparente.
Le monisme spinoziste
Baruch Spinoza (1632-1677) développe le monisme philosophique le plus systématique et influent de l’époque moderne dans son « Éthique ». Selon Spinoza, il n’existe qu’une seule substance, qu’il identifie à Dieu ou à la Nature (Deus sive Natura). Cette substance unique possède une infinité d’attributs, dont nous ne connaissons que deux : l’étendue (aspect physique) et la pensée (aspect mental).
Pour Spinoza, les objets particuliers et les esprits individuels ne sont pas des substances indépendantes mais des « modes » ou des modifications de la substance unique. L’esprit et le corps humains ne sont pas deux entités distinctes mais deux aspects d’une même réalité, perçue tantôt sous l’attribut de la pensée, tantôt sous celui de l’étendue. Cette théorie du parallélisme psychophysique résout le problème cartésien de l’interaction entre l’âme et le corps en niant leur distinction substantielle.
Le monisme spinoziste implique un déterminisme strict : tout ce qui arrive découle nécessairement de la nature divine. Il n’y a pas de contingence réelle, et la liberté humaine consiste non pas dans l’absence de détermination, mais dans la compréhension adéquate des causes qui nous déterminent.
Les monismes idéalistes allemands
L’idéalisme allemand développe des formes sophistiquées de monisme idéaliste. Johann Gottlieb Fichte (1762-1814) pose le Moi absolu comme principe unique de toute réalité. Friedrich Schelling (1775-1854) conçoit l’Absolu comme l’identité originaire de la nature et de l’esprit, qui se différencient au cours d’un processus dialectique.
Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) élabore le système moniste le plus ambitieux avec sa dialectique de l’Esprit absolu. Pour Hegel, la réalité tout entière est le déploiement de l’Esprit qui se révèle à lui-même à travers l’histoire. La nature et l’esprit fini ne sont que des moments dans l’auto-développement de l’Esprit absolu, qui atteint sa pleine réalisation dans la philosophie spéculative.
Le monisme matérialiste moderne
Le XIXe siècle voit se développer des formes de monisme matérialiste, notamment avec les philosophes allemands Ludwig Büchner, Carl Vogt et Jacob Moleschott. Ils soutiennent que tout phénomène, y compris la conscience, s’explique par des processus matériels. Cette position influence fortement le développement des sciences naturelles et de la psychologie scientifique.
Ernst Haeckel popularise un « monisme naturaliste » qui unifie matter, force et esprit dans une conception évolutionniste de l’univers. Selon lui, même les particules élémentaires possèdent des propriétés psychiques rudimentaires, préfigurant le panpsychisme contemporain.
Monismes contemporains
La philosophie du XXe siècle renouvelle les approches monistes. Le behaviorisme et le matérialisme éliminatif défendent des formes de monisme physicaliste, soutenant que les phénomènes mentaux se réduisent entièrement à des processus neurologiques ou comportementaux.
Le monisme neutre, défendu par William James et Bertrand Russell, propose que les phénomènes mentaux et physiques dérivent d’éléments plus fondamentaux qui ne sont intrinsèquement ni mentaux ni physiques. Cette position évite les difficultés du dualisme sans tomber dans le réductionnisme matérialiste.
David Chalmers et d’autres philosophes contemporains explorent des formes de panpsychisme selon lesquelles la conscience est une propriété fondamentale de la matière. Cette approche concilie le monisme ontologique avec le caractère irréductible de l’expérience consciente.
Le monisme de l’aspect
Une position moniste influente aujourd’hui est le « monisme de l’aspect » ou « théorie de l’identité des types », développée par des philosophes comme J.J.C. Smart et David Lewis. Selon cette théorie, les états mentaux sont identiques aux états cérébraux, mais décrits dans des vocabulaires différents. Il n’y a qu’un seul type d’événement (neurophysiologique) qui peut être décrit soit en termes mentaux, soit en termes physiques.
Défis contemporains
Le monisme contemporain fait face à plusieurs défis majeurs. Le problème difficile de la conscience, formulé par David Chalmers, questionne la possibilité de réduire l’expérience subjective à des processus physiques. Les qualia (propriétés qualitatives de l’expérience) semblent résister à l’explication physicaliste.
De plus, les développements de la physique quantique soulèvent des questions sur la nature fondamentale de la réalité. Certains interprètent la mécanique quantique comme remettant en cause le matérialisme classique, ouvrant la voie à de nouvelles formes de monisme.
Le monisme demeure ainsi une position philosophique vivante qui continue d’évoluer face aux découvertes scientifiques et aux nouveaux défis conceptuels, cherchant toujours à rendre compte de l’unité fondamentale sous-jacente à la diversité apparente du monde.