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Table of Contents
  1. Définition et étymologie
  2. Le luthérianisme en philosophie
    1. Martin Luther et la révolution théologique
    2. La doctrine de la justification
    3. L’autorité de l’Écriture seule
    4. Philip Melanchthon et la systématisation
    5. Théologie des deux règnes
    6. Johann Gerhard et l’orthodoxie luthérienne
    7. Le piétisme de Spener et Francke
    8. Kant et la religion dans les limites de la raison
    9. Schleiermacher et la théologie libérale
    10. Kierkegaard et l’existence chrétienne
    11. Barth et la théologie dialectique
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Luthérianisme

  • 30/09/2025
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Définition et étymologie

Le luthérianisme désigne le mouvement religieux et théologique issu de la Réforme protestante initiée par Martin Luther au XVIe siècle. Le terme dérive du nom de Luther, lui-même provenant du grec eleutheros signifiant « libre », bien que cette étymologie soit incertaine. Cette confession protestante se caractérise par l’affirmation de principes théologiques spécifiques qui rompent avec la doctrine catholique romaine traditionnelle.

Le luthérianisme se fonde sur trois principes fondamentaux : sola scriptura (l’Écriture seule comme autorité religieuse), sola fide (la foi seule pour le salut), et sola gratia (la grâce seule de Dieu). Cette triple affirmation structure une théologie qui réorganise profondément la compréhension chrétienne du salut, de l’autorité religieuse et de la vie spirituelle, influençant durablement la culture occidentale moderne.

Le luthérianisme en philosophie

Martin Luther et la révolution théologique

Martin Luther (1483-1546) développe sa théologie réformatrice à partir de son expérience personnelle de l’angoisse du salut. Moine augustinien torturé par la question de la justification devant Dieu, il découvre dans l’épître aux Romains de saint Paul la doctrine de la justification par la foi seule, révélation qui transforme sa compréhension du christianisme.

Les 95 thèses de Wittenberg (1517) cristallisent la critique luthérienne des pratiques catholiques, notamment la vente des indulgences. Cette contestation initiale révèle des divergences théologiques plus profondes sur la nature du salut, l’autorité ecclésiastique et la médiation divine, ouvrant une crise qui bouleverse l’unité chrétienne occidentale.

Luther développe une anthropologie pessimiste héritée d’Augustin : l’homme pécheur ne peut rien pour son salut et dépend entièrement de la grâce divine. Cette conception radicalise la critique de la théologie scholastique qui accordait un rôle aux œuvres humaines dans la justification, révolutionnant la sotériologie chrétienne.

La doctrine de la justification

La justification par la foi seule (sola fide) constitue le cœur de la théologie luthérienne. Pour Luther, l’homme est déclaré juste par Dieu non en raison de ses mérites ou œuvres, mais uniquement par la foi qui saisit les mérites du Christ. Cette justice est « imputée » de l’extérieur (iustitia aliena) et non inhérente à l’homme justifié.

Cette doctrine s’oppose à la conception catholique de la justification comme transformation réelle de l’âme par la grâce sanctifiante. Luther maintient que le chrétien demeure simultanément pécheur et juste (simul iustus et peccator), paradoxe qui révèle la radicalité de sa conception de la grâce divine.

La justification luthérienne implique une nouvelle compréhension de la liberté chrétienne : libéré de l’angoisse du salut, le croyant peut servir son prochain par amour plutôt que par recherche de mérite. Cette éthique de la gratuité influence profondément la culture protestante moderne.

L’autorité de l’Écriture seule

Le principe sola scriptura affirme que l’Écriture sainte constitue l’unique autorité en matière de foi et de doctrine, s’opposant à l’autorité du magistère ecclésiastique catholique. Luther développe cette doctrine face aux exigences de rétractation lors des controverses avec Rome.

Cette position implique le principe du « libre examen » : chaque chrétien peut et doit interpréter l’Écriture sous la conduite de l’Esprit Saint, sans médiation ecclésiastique obligatoire. Cette démocratisation herméneutique révolutionne l’accès au religieux et stimule l’alphabétisation des populations protestantes.

Cependant, Luther maintient que l’Écriture s’interprète elle-même (scriptura sui ipsius interpres) et possède une clarté suffisante sur les points essentiels du salut. Cette théorie évite l’anarchie herméneutique tout en contestant l’autorité ecclésiastique traditionnelle.

Philip Melanchthon et la systématisation

Philip Melanchthon (1497-1560), collaborateur de Luther, systématise la doctrine luthérienne dans la Confession d’Augsbourg (1530), texte fondateur du luthérianisme confessionnel. Cette synthèse théologique concilie l’inspiration luthérienne avec les exigences de cohérence doctrinale nécessaires à l’institutionnalisation.

Melanchthon développe une théologie plus modérée que Luther, notamment sur la question du libre arbitre et de la coopération humaine au salut. Cette évolution, parfois appelée « philippisme », suscite des controverses au sein du luthérianisme naissant entre « gnesio-luthériens » (purs luthériens) et melanchthoniens.

La Formule de Concorde (1577) tente de résoudre ces divisions en précisant la doctrine luthérienne orthodoxe. Ce texte normatif, avec les Confessions d’Augsbourg et les Catéchismes de Luther, constitue le corpus doctrinal de référence du luthérianisme confessionnel.

Théologie des deux règnes

Luther développe la doctrine des « deux règnes » (Zweireichelehre) pour articuler l’autonomie du politique et du religieux. Le règne spirituel, gouverné par l’Évangile, concerne le salut et la vie intérieure ; le règne temporel, gouverné par la Loi, maintient l’ordre social et la justice civile.

Cette distinction évite la théocratie en reconnaissant l’autonomie de l’autorité politique, mais elle implique aussi la soumission du chrétien aux pouvoirs établis, même injustes. Cette position conservatrice influence la culture politique luthérienne, notamment en Allemagne.

La théologie des deux règnes pose la question de l’engagement social du chrétien : doit-il se contenter de l’obéissance passive ou peut-il résister aux injustices ? Cette tension traverse l’histoire du luthérianisme, notamment lors des crises politiques majeures.

Johann Gerhard et l’orthodoxie luthérienne

Johann Gerhard (1582-1637) représente l’apogée de l’orthodoxie luthérienne du XVIIe siècle. Ses Loci theologici constituent une somme théologique qui systématise définitivement la doctrine luthérienne en utilisant les méthodes scolastiques de la théologie catholique.

Cette orthodoxie luthérienne se caractérise par un intellectualisme doctrinal qui parfois s’éloigne de l’inspiration originelle de Luther. L’accent mis sur la pureté doctrinale et la polémique anti-catholique révèle la rigidification institutionnelle du mouvement réformateur initial.

Cependant, cette période produit aussi une riche théologie mystique avec des figures comme Johann Arndt et Jakob Böhme, montrant la diversité des spiritualités luthériennes au-delà de l’orthodoxie officielle.

Le piétisme de Spener et Francke

Philipp Jakob Spener (1635-1705) initie le mouvement piétiste qui revitalise le luthérianisme par l’accent mis sur l’expérience personnelle de la foi et la piété pratique. Ses Pia desideria (1675) critiquent la religion purement doctrinale et prônent une « réforme de la réforme ».

August Hermann Francke (1663-1727) développe à Halle un piétisme institutionnel qui influence l’éducation, les missions et l’action sociale. Cette synthèse entre orthodoxie et piété renouvelle le luthérianisme en préparant son ouverture à la modernité.

Le piétisme influence profondément la culture allemande, notamment par son impact sur l’éducation de figures comme Kant, et prépare le terrain au romantisme religieux. Cette spiritualité de l’intériorité marque durablement la sensibilité protestante moderne.

Kant et la religion dans les limites de la raison

Emmanuel Kant, élevé dans la culture piétiste, développe une philosophie religieuse qui transforme l’héritage luthérien. Sa Religion dans les limites de la simple raison (1793) propose une interprétation rationaliste du christianisme qui évacue les éléments dogmatiques traditionnels.

Kant conserve l’inspiration luthérienne dans sa conception du mal radical et de l’impossibilité pour l’homme de se sauver par ses propres forces. Cependant, il substitue à la grâce divine la autonomie morale de la raison pratique, sécularisant ainsi la sotériologie luthérienne.

Cette transformation kantienne influence profondément la théologie libérale protestante ultérieure, notamment chez Schleiermacher et Ritschl, révélant la fécondité philosophique de l’héritage luthérien au-delà de ses formulations théologiques originelles.

Schleiermacher et la théologie libérale

Friedrich Schleiermacher (1768-1834) révolutionne la théologie protestante en fondant la religion sur le « sentiment de dépendance absolue » plutôt que sur la doctrine ou la morale. Cette approche expérientielle renouvelle l’apologétique chrétienne face aux critiques des Lumières.

Schleiermacher maintient l’inspiration luthérienne de la justification par la foi tout en la réinterprétant dans un cadre romantique qui privilégie l’intuition et le sentiment. Cette synthèse influence durablement la théologie protestante libérale du XIXe siècle.

Sa méthode herméneutique, développée dans ses cours sur l’art de comprendre, révolutionne l’exégèse biblique et influence les sciences humaines modernes. Cette contribution révèle l’impact de la tradition luthérienne du libre examen sur le développement de la pensée critique moderne.

Kierkegaard et l’existence chrétienne

Søren Kierkegaard (1813-1855) développe une critique existentialiste du christianisme bourgeois de son époque qui renoue avec l’angoisse religieuse originelle de Luther. Sa conception de l’existence comme passion et de la foi comme saut dans l’absurde radicalise l’héritage luthérien.

Kierkegaard oppose le « chevalier de la foi » (Abraham) au héros tragique (Agamemnon), révélant la spécificité du religieux qui suspend l’éthique universelle. Cette dialectique éclaire la tension luthérienne entre loi et évangile dans une perspective existentielle moderne.

Son influence sur l’existentialisme du XXe siècle (Heidegger, Sartre, Camus) révèle la fécondité philosophique de l’angoisse religieuse luthérienne, même sécularisée. Cette postérité montre l’impact de la Réforme sur la conscience moderne.

Barth et la théologie dialectique

Karl Barth (1886-1968) opère un « retour à la Réforme » contre la théologie libérale en redécouvrant la transcendance divine et la justification par la foi. Sa Dogmatique ecclésiale constitue la plus importante synthèse théologique protestante du XXe siècle.

Barth radicalise la critique luthérienne de la religion naturelle en affirmant que Dieu ne peut être connu que par sa propre révélation en Jésus-Christ. Cette théologie de la Parole renouvelle l’orthodoxie protestante tout en intégrant les acquis de la pensée critique moderne.

Son opposition au nazisme révèle les potentialités critiques de la théologie luthérienne contre les idéologies totalitaires, contredisant les accusations de quiétisme politique souvent adressées au luthérianisme.

Le luthérianisme demeure ainsi une tradition théologique et culturelle vivante qui continue d’influencer la pensée occidentale, au carrefour de la religion, de la philosophie et de la culture politique moderne.

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