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Table of Contents
  1. Définition et étymologie
  2. Le logicisme en philosophie
    1. Les précurseurs historiques
    2. Gottlob Frege et les fondements
    3. Le paradoxe de Russell
    4. Les Principia Mathematica
    5. Les critiques de Poincaré
    6. Rudolf Carnap et le néo-logicisme
    7. Les théorèmes de Gödel
    8. Le néo-logicisme contemporain
    9. Logicisme et philosophie des mathématiques
    10. Critiques contemporaines
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Logicisme

  • 30/09/2025
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Définition et étymologie

Le logicisme désigne la thèse selon laquelle les mathématiques peuvent être entièrement réduites à la logique, c’est-à-dire que tous les concepts mathématiques peuvent être définis en termes purement logiques et que tous les théorèmes mathématiques peuvent être déduits des seuls axiomes de la logique. Le terme, formé sur « logique » et le suffixe -isme, exprime un programme de fondation des mathématiques qui vise à établir leur caractère analytique et a priori.

Cette doctrine philosophique soutient que les vérités mathématiques ne sont que des vérités logiques déguisées, et que la certitude mathématique découle de la nécessité logique. Le logicisme s’oppose ainsi au formalisme (qui réduit les mathématiques à la manipulation de symboles) et à l’intuitionnisme (qui fonde les mathématiques sur l’intuition constructive). Cette position a des implications profondes pour l’épistémologie et la philosophie des mathématiques.

Le logicisme en philosophie

Les précurseurs historiques

Gottfried Wilhelm Leibniz anticipe le programme logiciste en rêvant d’une characteristica universalis, langage symbolique parfait qui permettrait de ramener tout raisonnement à un calcul mécanique. Dans sa Dissertatio de arte combinatoria (1666), il entrevoit la possibilité de mathématiser entièrement la logique et de logiciser les mathématiques.

Leibniz développe l’idée que les vérités mathématiques sont des « vérités de raison » analytiques, opposées aux « vérités de fait » contingentes. Cette distinction préfigure la conception logiciste selon laquelle les mathématiques relèvent de la logique pure, indépendamment de l’expérience empirique.

George Boole, dans Les Lois de la pensée (1854), réalise partiellement le rêve leibnizien en développant une algèbre de la logique. Il montre que les opérations logiques peuvent être traitées mathématiquement, mais c’est l’inverse du projet logiciste qui cherche à réduire les mathématiques à la logique.

Gottlob Frege et les fondements

Gottlob Frege inaugure véritablement le programme logiciste moderne dans son Idéographie (1879) et les Fondements de l’arithmétique (1884). Il développe la première logique des prédicats complète et tente de dériver l’arithmétique de principes purement logiques, sans recours à l’intuition kantienne de l’espace et du temps.

Frege définit les nombres comme des propriétés de concepts : le nombre 0 est la propriété du concept « non identique à soi-même », le nombre 1 celle du concept « identique à 0 », etc. Cette définition révolutionnaire évite l’appel à l’intuition empirique en fondant les nombres sur des notions logiques pures.

La démonstration frégéenne que l’arithmétique découle de la logique vise à établir le caractère analytique et a priori des mathématiques, contre la thèse kantienne de leur nature synthétique a priori. Cette révision épistémologique majeure influence profondément la philosophie des mathématiques.

Le paradoxe de Russell

Bertrand Russell découvre en 1901 une contradiction dans le système frégéen, connue sous le nom de paradoxe de Russell. Ce paradoxe concerne l’ensemble de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes : s’il se contient lui-même, alors il ne se contient pas ; s’il ne se contient pas, alors il se contient. Cette antinomie révèle l’inconsistance de la théorie naïve des ensembles utilisée par Frege.

Le paradoxe de Russell ébranle le programme logiciste en montrant que les principes logiques apparemment évidents peuvent conduire à des contradictions. Cette crise des fondements stimule la recherche de systèmes logiques plus sophistiqués et cohérents pour fonder les mathématiques.

Russell propose plusieurs solutions, notamment la théorie des types qui hiérarchise les entités logiques pour éviter l’auto-référence paradoxale. Cette restriction technique permet de préserver la cohérence du système mais au prix d’une complexification considérable.

Les Principia Mathematica

Bertrand Russell et Alfred North Whitehead entreprennent dans les Principia Mathematica (1910-1913) de reconstruire les mathématiques sur des bases logiques solides. Cet ouvrage monumental tente de dériver les principaux théorèmes mathématiques à partir d’axiomes purement logiques, en utilisant la théorie des types pour éviter les paradoxes.

Les Principia introduisent l’axiome de réductibilité qui postule que toute fonction propositionnelle est équivalente à une fonction prédicative, restaurant ainsi l’expressivité du système. Cependant, cet axiome semble plus mathématique que logique, compromettant la pureté du programme logiciste.

L’axiome de l’infini, nécessaire pour développer l’analyse mathématique, pose un problème similaire : il affirme l’existence d’infiniment nombreux objets, ce qui semble être une hypothèse métaphysique plutôt qu’une vérité logique. Ces difficultés révèlent les limites du projet de réduction complète.

Les critiques de Poincaré

Henri Poincaré développe une critique influente du logicisme dans ses essais sur les fondements des mathématiques. Il souligne que les définitions logicistes des nombres naturels sont circulaires car elles présupposent implicitement la notion de succession qu’elles prétendent définir.

Poincaré montre que l’induction mathématique, principe fondamental de l’arithmétique, ne peut être justifiée par la seule logique mais requiert une intuition spécifiquement mathématique. Cette critique révèle l’irréductibilité de certains aspects des mathématiques à la logique pure.

La position poincaréenne, appelée « intuitionnisme » (à ne pas confondre avec l’intuitionnisme de Brouwer), soutient que les mathématiques possèdent une spécificité épistémologique qui résiste à la réduction logique. Cette alternative au logicisme influence le développement de la philosophie des mathématiques.

Rudolf Carnap et le néo-logicisme

Rudolf Carnap, dans La Construction logique du monde (1928), développe une version renouvelée du logicisme dans le cadre du positivisme logique. Il tente de reconstruire rationnellement tous les concepts scientifiques à partir d’une base phénoménaliste utilisant la logique et la théorie des relations.

Carnap distingue les questions internes (posées à l’intérieur d’un cadre linguistique) des questions externes (portant sur l’existence du cadre lui-même). Cette distinction pragmatique évite les problèmes ontologiques traditionnels en faisant de l’adoption d’un cadre logico-mathématique une décision pratique plutôt qu’une découverte métaphysique.

Le programme carnapien de syntaxe logique vise à clarifier la structure formelle de la science sans s’engager sur la nature des entités mathématiques. Cette approche formaliste tempère le logicisme classique en évitant les questions métaphysiques problématiques.

Les théorèmes de Gödel

Kurt Gödel porte un coup fatal au programme logiciste avec ses théorèmes d’incomplétude (1931). Le premier théorème établit que dans tout système formel suffisamment expressif pour contenir l’arithmétique, il existe des propositions vraies mais indémontrables dans le système. Le second montre que la cohérence d’un tel système ne peut être prouvée dans le système lui-même.

Ces résultats révèlent les limites intrinsèques de la formalisation et remettent en question l’idée que les mathématiques puissent être entièrement capturées par un système logique. L’existence de vérités mathématiques non démontrables suggère un aspect non réductible des mathématiques à la déduction logique.

Le théorème de Gödel-Rosser précise que l’indécidabilité est robuste : même en ajoutant des axiomes, de nouvelles propositions indécidables apparaissent toujours. Cette limitation principielle du projet axiomatique affecte directement les ambitions logicistes de complète réduction.

Le néo-logicisme contemporain

Crispin Wright relance le programme logiciste dans les années 1980 en développant le « néo-frégéanisme ». Il utilise le principe de Hume (« les nombres de F et G sont égaux si et seulement si F et G sont équinumériques ») pour définir les nombres sans recourir à la théorie des ensembles problématique.

Bob Hale et Crispin Wright défendent l’idée que les abstractions mathématiques peuvent être légitimement introduites par des « principes d’abstraction » qui fixent les conditions d’identité des entités abstraites. Cette approche évite les paradoxes tout en préservant l’esprit du programme logiciste.

Le débat contemporain porte sur le statut épistémologique de ces principes d’abstraction : sont-ils vraiment des vérités logiques ou introduisent-ils subrepticement du contenu mathématique ? Cette question révèle la persistance des difficultés fondamentales du logicisme.

Logicisme et philosophie des mathématiques

Le débat entre logicisme, formalisme et intuitionnisme structure encore la philosophie des mathématiques contemporaine. Chaque position offre une conception différente de la nature des objets mathématiques et de la source de la vérité mathématique.

Le logicisme soutient le réalisme mathématique en fondant l’objectivité des mathématiques sur la nécessité logique. Cette position s’oppose au constructivisme qui nie l’existence indépendante des objets mathématiques et au fictionnalisme qui les traite comme des fictions utiles.

La question de l’applicabilité des mathématiques trouve dans le logicisme une réponse élégante : les mathématiques s’appliquent au monde parce qu’elles ne font qu’expliciter les structures logiques immanentes à toute pensée cohérente. Cette explication évite le mystère de l’harmonie préétablie entre mathématiques et réalité.

Critiques contemporaines

W.V.O. Quine critique la distinction analytique/synthétique sur laquelle repose le logicisme, soulignant l’holisme de nos croyances et l’impossibilité de séparer nettement vérités logiques et empiriques. Cette critique empiriste remet en question le statut privilégié des vérités logico-mathématiques.

La thèse Quine-Putnam de l’indispensabilité des mathématiques pour la science empirique suggère que nous devons croire à l’existence des entités mathématiques pour les mêmes raisons que nous croyons aux entités scientifiques théoriques. Cette position naturaliste s’oppose au réductionnisme logiciste.

Les développements de la logique non-classique (intuitionniste, relevante, paraconsistante) relativisent la notion de « logique pure » et questionnent l’univocité du projet logiciste. Si la logique elle-même est plurielle, que signifie réduire les mathématiques à « la » logique ?

Le logicisme demeure ainsi une position influente mais controversée qui continue d’alimenter les débats sur la nature des mathématiques, leur fondement épistémologique et leur rapport à la logique et à la réalité.

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