Définition et étymologie
Le karma est un concept fondamental des religions et philosophies orientales qui désigne la loi universelle de cause à effet régissant les actions et leurs conséquences. Le terme provient du sanskrit « karman » (कर्मन्), dérivé de la racine verbale « kṛ » signifiant « faire » ou « agir ». Littéralement, karma signifie donc « action », « acte » ou « fait ».
Dans son acception la plus courante, le karma représente le principe selon lequel chaque action, pensée ou parole génère une force qui détermine les expériences futures de l’individu, que ce soit dans cette vie ou dans des existences ultérieures. Il ne s’agit pas d’un système de récompense ou de punition imposé par une divinité extérieure, mais plutôt d’une loi naturelle et impersonnelle comparable aux lois physiques : toute action produit inévitablement un effet proportionnel à sa nature.
Le karma distingue généralement trois types d’actions : celles accomplies par le corps (actions physiques), celles effectuées par la parole (paroles prononcées) et celles réalisées par l’esprit (intentions et pensées). Les conséquences karmiques ne dépendent pas uniquement de l’acte manifeste, mais également, et de manière cruciale, de l’intention qui le sous-tend.
Le karma dans la philosophie orientale
L’hindouisme et les Upanishads
Dans la tradition hindoue, le karma apparaît dès les textes védiques anciens, mais c’est dans les Upanishads (vers 800-500 av. J.-C.) qu’il acquiert sa formulation philosophique complexe. Le karma y est intimement lié aux concepts de samsara (le cycle des renaissances) et de moksha (la libération). Selon cette vision, les actions accumulées au cours des vies successives déterminent la nature de chaque renaissance : un karma positif conduit à une renaissance favorable, tandis qu’un karma négatif entraîne des conditions d’existence difficiles.
La Bhagavad-Gita, texte majeur de la philosophie hindoue, développe une réflexion subtile sur le karma à travers le dialogue entre Krishna et Arjuna. Krishna y enseigne le concept de « karma yoga », la voie de l’action désintéressée : agir en accomplissant son devoir (dharma) sans attachement aux fruits de l’action permet de transcender les liens karmiques. L’exemple d’Arjuna, guerrier qui doit combattre sans haine ni désir de gain personnel, illustre cette possibilité d’agir sans créer de nouvelles entraves karmiques.
Le bouddhisme et la transformation du concept
Le Bouddha (VIe-Ve siècle av. J.-C.) reprend le concept de karma tout en le reformulant profondément. Dans la doctrine bouddhiste, le karma devient avant tout une question d’intention (cetanā). Le Bouddha affirme : « C’est l’intention, ô moines, que j’appelle karma. » Cette insistance sur l’intention plutôt que sur l’acte extérieur marque une intériorisation du concept.
Le bouddhisme développe également une analyse détaillée des différents types de karma : le karma « habile » (kusala), qui mène au bonheur et à l’éveil, et le karma « malhabile » (akusala), source de souffrance. Contrairement à certaines interprétations fatalistes, le bouddhisme souligne que le karma n’est pas un destin immuable : par la pratique méditative et éthique, il est possible de modifier ses tendances karmiques et ultimement de se libérer du cycle des renaissances (nirvana).
Nagarjuna, philosophe bouddhiste du IIe siècle, propose dans sa doctrine de la vacuité (śūnyatā) une critique subtile du karma : si toutes choses sont vides d’existence intrinsèque, le karma lui-même n’a pas de réalité substantielle absolue, ce qui ouvre paradoxalement la possibilité de la libération.
Implications philosophiques
Le concept de karma soulève plusieurs questions philosophiques fondamentales. D’abord, celle de la responsabilité morale : si nos actions présentes sont en partie déterminées par des actes antérieurs (y compris de vies passées), dans quelle mesure sommes-nous véritablement libres et responsables ? Les philosophes orientaux répondent généralement en distinguant entre conditionnement et déterminisme absolu : le karma crée des tendances et des circonstances, mais laisse toujours une marge de liberté pour choisir.
Ensuite se pose la question de la justice cosmique : le karma peut-il expliquer de manière satisfaisante les inégalités et souffrances apparemment imméritées ? Cette interrogation rejoint le problème philosophique classique de la théodicée, bien que le karma, étant impersonnel, échappe à certaines objections adressées aux conceptions théistes de la justice divine.
Enfin, le karma interroge la nature de l’identité personnelle à travers les renaissances : qu’est-ce qui transmet le karma d’une existence à l’autre si, comme l’affirme le bouddhisme, il n’existe pas de « soi » permanent ? Cette question a suscité d’intenses débats philosophiques dans les traditions orientales.
Le karma demeure ainsi un concept à la fois moral, métaphysique et sotériologique qui continue d’influencer la réflexion philosophique contemporaine sur la causalité, l’éthique et la liberté humaine.