Définition et étymologie
La justification désigne l’action de fournir des raisons, des preuves ou des arguments suffisants pour établir la validité, la légitimité ou la vérité d’une croyance, d’une action, d’une décision ou d’une théorie. Elle constitue le processus par lequel on rend compte rationnellement de nos positions intellectuelles ou pratiques, en montrant qu’elles sont fondées et acceptables.
Le terme « justification » provient du latin justificatio, formé de justus (juste) et facere (faire), signifiant littéralement « rendre juste » ou « établir comme juste ». Cette étymologie révèle que justifier consiste à conférer ou à démontrer le caractère légitime de ce que l’on avance. En philosophie, la justification occupe une place centrale dans l’épistémologie (théorie de la connaissance) et l’éthique.
La justification épistémologique
En épistémologie, la justification constitue l’une des conditions traditionnelles de la connaissance. Selon la définition classique, la connaissance est une « croyance vraie justifiée » : pour qu’une personne sache quelque chose, elle doit non seulement avoir une croyance vraie, mais aussi posséder de bonnes raisons de tenir cette croyance pour vraie.
Cette conception soulève immédiatement la question : qu’est-ce qui constitue une justification adéquate ? Plusieurs théories s’opposent sur ce point. Le fondationnalisme soutient que nos croyances forment une structure hiérarchique, avec des croyances de base auto-justifiées (comme les données sensorielles ou les vérités logiques évidentes) qui servent de fondement à toutes les autres. René Descartes illustre cette approche en cherchant un point de départ indubitable dans le cogito ergo sum.
Le cohérentisme, défendu par des philosophes comme Willard Van Orman Quine et Donald Davidson, rejette l’idée de croyances fondamentales. Selon cette théorie, une croyance est justifiée par sa cohérence avec l’ensemble de nos autres croyances. La justification émerge de la cohérence mutuelle du système de croyances plutôt que de fondements ultimes.
Le fiabilisme, développé par Alvin Goldman, propose une approche externiste : une croyance est justifiée si elle est produite par un processus cognitif fiable, c’est-à-dire qui tend généralement à produire des croyances vraies. Cette théorie se concentre sur les mécanismes causaux plutôt que sur les raisons conscientes du sujet.
Le problème de Gettier et ses conséquences
En 1963, Edmund Gettier publie un article révolutionnaire qui remet en question la définition traditionnelle de la connaissance. Il présente des cas où une personne possède une croyance vraie justifiée qui n’intuitivement ne constitue pas une connaissance. Ces « cas de Gettier » montrent que la justification, même combinée à la vérité, ne suffit pas toujours à garantir la connaissance.
Par exemple : Smith a de bonnes raisons de croire que Jones possède une Ford (il l’a vu conduire une Ford, a vu les papiers d’immatriculation, etc.). Sur cette base, Smith infère que « Jones possède une Ford ou Brown est à Barcelone » (en choisissant arbitrairement Barcelone). Il se trouve que Jones ne possède plus de Ford, mais que Brown est effectivement à Barcelone. Smith a donc une croyance vraie justifiée, mais on hésite à dire qu’il sait que « Jones possède une Ford ou Brown est à Barcelone ».
Ces problèmes ont généré une littérature philosophique considérable, avec diverses tentatives pour ajouter une quatrième condition à la définition de la connaissance ou pour réviser complètement notre compréhension de la justification.
La justification en éthique et philosophie pratique
En éthique, la justification concerne la légitimation de nos jugements moraux et de nos actions. Comment justifions-nous qu’une action est moralement correcte ou qu’un principe éthique est valide ?
Les déontologistes comme Kant cherchent la justification dans la conformité à des principes moraux universels. L’impératif catégorique kantien fournit un test de justification : une action est moralement justifiée si elle peut être universalisée sans contradiction. La justification provient ici de la structure rationnelle de la moralité elle-même.
Les conséquentialistes et utilitaristes justifient les actions par leurs résultats. Une action est justifiée si elle maximise le bien-être général ou produit les meilleures conséquences possibles. John Stuart Mill développe cette approche en montrant comment le principe d’utilité peut servir de critère ultime de justification morale.
Les particularistes moraux comme Jonathan Dancy contestent l’idée qu’on puisse justifier nos jugements moraux par référence à des principes généraux. Ils soutiennent que la justification morale est toujours contextuelle et que les raisons morales peuvent changer de poids selon les circonstances.
Justification et relativisme
La question de la justification soulève des enjeux sur l’objectivité et le relativisme. Si la justification dépend toujours de standards, de critères ou de contextes particuliers, cela implique-t-il un relativisme généralisé ? Cette question traverse plusieurs domaines philosophiques.
En épistémologie, le relativisme épistémique soutient que les standards de justification varient selon les communautés, les cultures ou les paradigmes scientifiques. Thomas Kuhn, dans La Structure des révolutions scientifiques, suggère que les critères de justification scientifique évoluent avec les changements de paradigmes.
Cependant, beaucoup de philosophes résistent au relativisme en cherchant des standards universels de justification ou en développant des formes de contextualisme qui préservent l’objectivité tout en reconnaissant la sensibilité au contexte.
Défis contemporains
La philosophie contemporaine de la justification fait face à plusieurs défis. L’épistémologie sociale examine comment nos justifications dépendent du témoignage d’autrui et des institutions sociales. Miranda Fricker analyse l' »injustice épistémique » qui survient quand certains groupes sont systématiquement privés de crédibilité.
L’épistémologie de la vertu propose de recentrer la justification sur les vertus intellectuelles du sujet connaissant plutôt que sur les propriétés des croyances. Les désaccords entre pairs soulèvent des questions sur la justification : comment maintenir ses croyances face à un désaccord avec quelqu’un d’aussi compétent que soi ?
Ces développements montrent que la justification demeure un concept central et évolutif, continuellement enrichi par de nouvelles perspectives et de nouveaux défis théoriques.