Définition et étymologie
La justice désigne fondamentalement le principe moral selon lequel les actions humaines doivent être sanctionnées ou récompensées en fonction de leur mérite, dans le respect de ce qui est considéré comme équitable et légitime. Elle représente à la fois une vertu individuelle, une valeur sociale et un idéal politique visant à établir un ordre juste dans les relations humaines.
Le terme « justice » provient du latin justitia, dérivé de justus (juste, équitable), lui-même issu de jus (droit, loi). Cette racine étymologique révèle le lien originel entre justice et droit, suggérant que la justice constitue le fondement légitime de toute organisation juridique et sociale. En grec ancien, le concept correspondant était dikaiosyne, qui désignait à la fois la vertu de justice et l’état d’harmonie sociale.
La justice dans la philosophie antique
La réflexion philosophique sur la justice trouve ses origines dans l’Antiquité grecque. Platon, dans La République, développe une conception de la justice comme harmonie des parties de l’âme et de la cité. Pour lui, la justice individuelle consiste en ce que chaque partie de l’âme (raison, courage, désir) accomplisse sa fonction propre sous la direction de la raison. De même, la justice sociale résulte de ce que chaque classe (philosophes-rois, gardiens, producteurs) remplisse son rôle spécifique dans la cité idéale.
Aristote, dans l’Éthique à Nicomaque, distingue deux formes principales de justice : la justice distributive, qui concerne la répartition des biens, des honneurs et des charges selon le mérite de chacun, et la justice corrective, qui vise à restaurer l’égalité rompue par une injustice en réparant le dommage subi. Cette distinction aristotélicienne demeure fondamentale dans la réflexion contemporaine sur la justice.
Les théories modernes de la justice
Au XVIIIe siècle, les philosophes des Lumières renouvellent la question de la justice en l’ancrant dans les concepts de droits naturels et de contrat social. Kant, dans la Métaphysique des mœurs, conçoit la justice comme l’ensemble des conditions sous lesquelles l’arbitre de chacun peut coexister avec l’arbitre d’autrui selon une loi universelle de liberté. Il distingue le droit privé (relations entre particuliers) du droit public (relations entre citoyens et État).
Utilitaristes comme Jeremy Bentham et John Stuart Mill proposent une conception conséquentialiste de la justice, fondée sur la maximisation du bien-être général. Pour eux, une institution ou une action est juste si elle produit « le plus grand bonheur pour le plus grand nombre ». Cette approche, bien qu’influente, soulève des difficultés concernant les droits des minorités et la possibilité de sacrifier certains individus au nom du bien commun.
La justice chez Rawls et ses critiques
La publication de Théorie de la justice par John Rawls en 1971 marque un tournant décisif dans la philosophie politique contemporaine. Rawls propose une méthode contractualiste pour déterminer les principes de justice : des individus rationnels placés dans une « position originelle » sous un « voile d’ignorance » (ne connaissant ni leur position sociale, ni leurs talents, ni leurs conceptions du bien) choisiraient deux principes fondamentaux.
Le premier principe garantit l’égale liberté de tous les citoyens (libertés de conscience, d’expression, de participation politique, etc.). Le second, dit « principe de différence », autorise les inégalités sociales et économiques seulement si elles profitent aux plus défavorisés et si les positions avantageuses restent ouvertes à tous dans des conditions d’égalité équitable des chances.
Cette théorie a suscité de nombreuses critiques. Robert Nozick, dans Anarchie, État et Utopie, défend une conception libertarienne de la justice fondée sur les droits de propriété et le libre échange. Pour lui, une distribution est juste si elle résulte de transactions libres et légitimes, indépendamment de son résultat final.
Les communautariens comme Michael Sandel et Alasdair MacIntyre reprochent à Rawls de concevoir l’individu comme antérieur à ses attachements sociaux et culturels. Ils soutiennent que nos conceptions de la justice sont nécessairement enracinées dans des traditions particulières et des formes de vie communes.
Enjeux contemporains
La philosophie contemporaine de la justice s’enrichit de nouveaux débats. Les théories féministes du care, développées par Carol Gilligan et Nel Noddings, questionnent l’accent mis sur les droits abstraits et l’impartialité, privilégiant une éthique de la sollicitude et de la responsabilité relationnelle.
Les questions de justice internationale et intergénérationnelle gagnent en importance. Comment appliquer les principes de justice au-delà des frontières nationales ? Quelles obligations avons-nous envers les générations futures ? Ces interrogations renouvellent la réflexion philosophique sur la portée et les limites de la justice.
La justice demeure ainsi un concept central et vivant de la philosophie, continuellement réinterprété à l’aune des défis contemporains et des évolutions sociales.