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Table of Contents
  1. Définition et étymologie
  2. Le jugement dans la logique antique
    1. Aristote et la théorie du syllogisme
    2. Les Stoïciens et la logique propositionnelle
  3. Le jugement dans la scolastique médiévale
    1. Thomas d’Aquin et la vérité du jugement
    2. Guillaume d’Ockham et la critique nominaliste
  4. Le jugement dans la philosophie moderne
    1. Descartes et le jugement comme acte de la volonté
    2. Hume et la critique du jugement causal
  5. La révolution kantienne
    1. Le jugement comme synthèse a priori
    2. La faculté de juger et ses trois domaines
    3. L’impératif catégorique comme jugement moral
  6. Le jugement dans la philosophie contemporaine
    1. La logique moderne et l’analyse du jugement
    2. Husserl et l’analyse phénoménologique
    3. Wittgenstein et les jeux de langage
  7. Enjeux contemporains
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Définition et étymologie

Le jugement désigne l’acte mental par lequel l’esprit affirme ou nie quelque chose à propos d’autre chose, établissant ainsi des relations entre concepts ou idées. Le terme provient du latin « judicium », dérivé de « judex » (juge) qui signifie littéralement « celui qui dit le droit » (de « jus », droit, et « dicere », dire). Cette racine étymologique révèle la dimension décisoire et normative du jugement : juger, c’est trancher, décider de la vérité ou de la fausseté d’une proposition, de la valeur d’une action ou de la beauté d’un objet.

Le jugement se distingue du simple concept par sa structure relationnelle et sa prétention à la vérité. Alors que le concept « rouge » ou « triangle » ne peut être ni vrai ni faux, le jugement « cette rose est rouge » ou « cette figure est un triangle » engage une relation prédicative qui peut être vraie ou fausse. Cette structure prédicative fait du jugement l’acte cognitif fondamental par lequel l’esprit se rapporte au réel et prétend le connaître.

En philosophie, le jugement occupe une position centrale dans la logique, l’épistémologie, l’éthique et l’esthétique, constituant le lieu d’articulation entre pensée et réalité, entre subjectivité et objectivité.

Le jugement dans la logique antique

Aristote et la théorie du syllogisme

Aristote (384-322 av. J.-C.) fonde la logique occidentale dans l' »Organon » en analysant systématiquement la structure du jugement. Il définit la proposition (logos apophantikos) comme un discours qui peut être vrai ou faux, distinguant ainsi le jugement assertorique des autres formes de discours (interrogation, prière, commandement).

La théorie aristotélicienne du syllogisme repose entièrement sur l’analyse des relations entre jugements. Le syllogisme type « Tout homme est mortel, Socrate est homme, donc Socrate est mortel » articule trois jugements selon des règles logiques précises qui garantissent la transmission de la vérité des prémisses à la conclusion.

Cette formalisation aristotélicienne du jugement influence durablement la tradition logique occidentale en établissant les règles fondamentales de l’inférence déductive et en révélant la structure prédicative comme forme canonique de la pensée rationnelle.

Les Stoïciens et la logique propositionnelle

Les philosophes stoïciens, notamment Chrysippe (vers 279-206 av. J.-C.), développent une logique propositionnelle qui complète l’analyse aristotélicienne. Ils étudient les relations entre jugements complets (axiomes) et formalisent les règles d’inférence portant sur des propositions complexes connectées par des opérateurs logiques.

Cette contribution stoïcienne révèle que le jugement ne se réduit pas à la prédication sujet-prédicat mais peut prendre des formes propositionnelles complexes (conditionnelles, disjonctives, conjonctives) qui préfigurent la logique moderne.

Le jugement dans la scolastique médiévale

Thomas d’Aquin et la vérité du jugement

Thomas d’Aquin (1225-1274) développe dans la « Somme théologique » une théorie du jugement fondée sur l’adéquation entre l’intellect et la réalité. Le jugement vrai réalise cette adéquation (adaequatio rei et intellectus) en conformant la structure prédicative de la pensée à la structure ontologique du réel.

Cette conception thomiste du jugement comme lieu de la vérité établit une correspondance entre l’ordre logique (sujet-prédicat) et l’ordre métaphysique (substance-accident). Le jugement devient ainsi l’acte par lequel l’intellect humain participe à la vérité éternelle divine.

Guillaume d’Ockham et la critique nominaliste

Guillaume d’Ockham (vers 1285-1347) développe une critique nominaliste qui relativise la portée ontologique du jugement. Les termes universaux du jugement ne correspondent pas à des réalités extra-mentales mais à des signes conventionnels qui organisent l’expérience selon les besoins de la connaissance.

Cette révolution ockhamienne prépare les développements modernes en montrant que la structure du jugement reflète davantage l’organisation de la pensée humaine que la structure intrinsèque du réel.

Le jugement dans la philosophie moderne

Descartes et le jugement comme acte de la volonté

René Descartes (1596-1650) révolutionne la conception du jugement dans les « Méditations métaphysiques » en montrant que l’erreur ne provient pas de l’entendement mais de la volonté. L’entendement conçoit les idées mais ne juge pas ; c’est la volonté qui affirme ou nie et peut ainsi nous induire en erreur lorsqu’elle outrepasse les limites de l’évidence.

Cette analyse cartésienne fait du jugement un acte libre et responsable : nous ne sommes contraints d’adhérer qu’aux évidences claires et distinctes, et l’erreur résulte d’un mauvais usage de notre liberté de juger. Cette conception volontariste du jugement influence profondément l’épistémologie moderne.

Hume et la critique du jugement causal

David Hume (1711-1776) porte un coup décisif à la prétention cognitive du jugement dans le « Traité de la nature humaine » en montrant que les jugements causaux ne reposent sur aucune nécessité rationnelle mais sur la seule habitude et l’association des idées.

Cette critique humienne révèle que de nombreux jugements que nous croyons fondés en raison ne sont que des constructions psychologiques forgées par l’expérience répétée. Elle ouvre ainsi la voie à une conception plus modeste et empirique de la portée cognitive du jugement.

La révolution kantienne

Le jugement comme synthèse a priori

Emmanuel Kant (1724-1804) opère une révolution copernicienne dans la « Critique de la raison pure » en montrant que le jugement synthétique a priori constitue la forme fondamentale de la connaissance objective. Contrairement aux jugements analytiques qui explicitent le contenu des concepts, les jugements synthétiques a priori étendent notre connaissance tout en possédant une validité universelle et nécessaire.

Les mathématiques (« 7 + 5 = 12 ») et la physique pure (« tout changement a une cause ») reposent sur de tels jugements qui articulent les formes a priori de la sensibilité (espace et temps) et les catégories de l’entendement. Cette analyse kantienne révèle que le jugement ne se contente pas de constater mais constitue activement l’objectivité de l’expérience.

La faculté de juger et ses trois domaines

Kant développe dans la « Critique de la faculté de juger » une analyse systématique des différents types de jugements. Il distingue les jugements déterminants, qui subsument le particulier sous l’universel donné, des jugements réfléchissants, qui cherchent l’universel pour un particulier donné.

Cette distinction permet d’analyser les jugements esthétiques (beauté et sublime) et téléologiques (finalité naturelle) qui ne relèvent ni de la connaissance théorique ni de la moralité pratique mais d’une faculté spécifique de juger qui révèle l’accord profond entre nature et liberté.

L’impératif catégorique comme jugement moral

Dans la « Critique de la raison pratique », Kant montre que le jugement moral ne porte pas sur des faits empiriques mais sur la forme universalisable de la maxime de l’action. L’impératif catégorique constitue le principe suprême du jugement éthique : « Agis seulement d’après la maxime dont tu puisses vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. »

Cette conception kantienne du jugement moral comme test d’universalisation révèle l’autonomie de la raison pratique qui se donne à elle-même ses propres principes normatifs.

Le jugement dans la philosophie contemporaine

La logique moderne et l’analyse du jugement

Le développement de la logique moderne, de Frege (1848-1925) à Russell et Whitehead, révolutionne l’analyse du jugement en montrant que la structure sujet-prédicat traditionnelle ne rend compte que d’un type particulier de propositions. La logique des prédicats et la théorie des quantificateurs révèlent la complexité structurelle des jugements ordinaires.

Cette formalisation logique permet une analyse plus fine des conditions de vérité et des relations d’inférence, émancipant l’étude du jugement de ses présupposés métaphysiques traditionnels.

Husserl et l’analyse phénoménologique

Edmund Husserl (1859-1938) développe dans les « Recherches logiques » une analyse phénoménologique du jugement qui révèle ses structures intentionnelles. Le jugement ne se réduit pas à une relation entre représentations mais constitue un acte de synthèse qui vise des états de choses objectifs.

Cette approche husserlienne montre que le jugement possède une structure temporelle complexe (rétention-impression-protention) et s’enracine dans l’expérience anté-prédicative du monde-de-la-vie.

Wittgenstein et les jeux de langage

Ludwig Wittgenstein (1889-1951) révolutionne la conception du jugement dans les « Recherches philosophiques » en montrant que la signification ne réside pas dans une relation référentielle mais dans l’usage selon des règles partagées au sein de « jeux de langage » spécifiques.

Cette conception pragmatiste du jugement révèle la diversité des usages linguistiques et relativise la prétention de la logique traditionnelle à révéler la structure universelle de la pensée rationnelle.

Enjeux contemporains

La philosophie contemporaine du jugement se développe selon plusieurs directions : la philosophie de l’esprit étudie les bases neurologiques des processus de jugement, l’épistémologie analyse les conditions de justification des croyances, l’éthique appliquée examine les problèmes concrets du jugement moral dans des contextes pluralistes.

Ces développements révèlent la complexité irréductible du jugement humain qui articule dimensions cognitive, évaluative et pragmatique dans l’exercice concret de la rationalité. Le jugement demeure ainsi au cœur des préoccupations philosophiques contemporaines comme lieu d’articulation entre pensée et action, entre individuel et universel, entre subjectivité et objectivité.

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