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Table of Contents
  1. Définition et étymologie
  2. Les origines scolastiques
    1. Thomas d’Aquin et l’être intentionnel
    2. Les développements scotistes
  3. La révolution brentanienne
    1. Brentano et le retour de l’intentionnalité
    2. Les difficultés de la théorie brentanienne
  4. La phénoménologie husserlienne
    1. L’intentionnalité comme structure de la conscience
    2. Les modes intentionnels
  5. Les développements phénoménologiques
    1. Heidegger et l’être-au-monde
    2. Merleau-Ponty et l’intentionnalité corporelle
  6. L’intentionnalité dans la philosophie analytique
    1. La critique quinienne
    2. Dennett et l’intentionnalité comme posture
    3. Searle et l’intentionnalité intrinsèque
  7. Enjeux contemporains
    1. L’intentionnalité et les sciences cognitives
    2. Le problème difficile de l’intentionnalité
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Intentionnalité

  • 26/09/2025
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Définition et étymologie

L’intentionnalité désigne la propriété fondamentale de la conscience d’être toujours « conscience de quelque chose », c’est-à-dire d’être dirigée vers un objet, qu’il soit réel ou imaginaire, présent ou absent. Le terme provient du latin scolastique « intentio », lui-même dérivé de « intendere » (tendre vers, viser). Cette racine étymologique révèle immédiatement la dimension directionnelle du concept : l’intentionnalité caractérise la visée de la conscience vers ses objets.

Il convient de distinguer soigneusement l’intentionnalité philosophique de l’intention au sens psychologique courant. L’intention désigne habituellement un projet conscient ou une volonté délibérée d’agir. L’intentionnalité, concept technique de la phénoménologie, désigne une structure plus fondamentale : la propriété qu’a tout état mental d’être orienté vers quelque chose d’autre que lui-même.

Cette notion constitue l’un des concepts centraux de la philosophie de l’esprit contemporaine, au croisement de la phénoménologie, de la philosophie analytique et des sciences cognitives.

Les origines scolastiques

Thomas d’Aquin et l’être intentionnel

Le concept d’intentionnalité trouve ses racines dans la scolastique médiévale, notamment chez Thomas d’Aquin (1225-1274). Dans sa théorie de la connaissance, Thomas distingue l’être naturel des choses de leur « être intentionnel » dans l’esprit connaissant. Lorsque j’intellige une pierre, celle-ci acquiert un mode d’être spirituel dans mon intellect, distinct de son existence matérielle dans le monde.

Cette doctrine thomiste de l’intentionnalité cognitive repose sur l’idée que « le connaissant devient en quelque façon la chose connue » : l’intellect s’assimile intentionnellement son objet sans pour autant se transformer matériellement. Cette assimilation s’effectue par l’intermédiaire des « species intentionales », formes intelligibles qui rendent présent l’objet à la conscience.

Les développements scotistes

Duns Scot (1266-1308) enrichit cette théorie en précisant que l’être intentionnel de l’objet dans l’esprit ne constitue pas un être diminué mais un mode d’être spécifique. L’objet pensé possède une réalité propre, irréductible à l’acte psychologique qui le vise.

La révolution brentanienne

Brentano et le retour de l’intentionnalité

Franz Brentano (1838-1917) ressuscite le concept médiéval d’intentionnalité dans sa « Psychologie du point de vue empirique » (1874). Il fait de l’intentionnalité le critère distinctif des phénomènes psychiques : « Tout phénomène psychique est caractérisé par ce que les scolastiques du Moyen Âge ont appelé l’inexistence intentionnelle d’un objet. »

Cette « inexistence intentionnelle » signifie que l’objet intentionnel existe « dans » l’acte mental qui le vise, indépendamment de son existence réelle dans le monde. Je peux penser à Pégase ou au centaure : ces objets possèdent une existence intentionnelle dans ma conscience bien qu’ils n’existent pas dans la réalité.

Brentano distingue ainsi radicalement les sciences physiques, qui étudient des phénomènes sans intentionnalité, des sciences psychiques, qui portent sur des actes intentionnels. Cette distinction fonde l’autonomie méthodologique de la psychologie.

Les difficultés de la théorie brentanienne

La théorie brentanienne soulève immédiatement des difficultés conceptuelles majeures. Comment concevoir l’existence d’objets inexistants ? Le statut ontologique des objets intentionnels demeure problématique : ils ne peuvent être des entités réelles (puisqu’ils peuvent être fictifs) ni de purs néants (puisqu’ils sont pensés).

Cette aporie alimente les débats de l’école de Brentano, notamment entre Alexius Meinong, qui développe une théorie des objets inexistants, et Edmund Husserl, qui reformule radicalement la question.

La phénoménologie husserlienne

L’intentionnalité comme structure de la conscience

Edmund Husserl (1859-1938) révolutionne la conception de l’intentionnalité dans ses « Recherches logiques » (1900-1901) et dans « Idées directrices pour une phénoménologie » (1913). Il abandonne la problématique ontologique de l’objet intentionnel pour se concentrer sur la structure de l’acte intentionnel lui-même.

Husserl distingue systématiquement la noèse (l’acte mental) du noème (le sens visé par cet acte). Cette distinction permet d’éviter les apories brentaniennes : l’intentionnalité ne porte pas sur des objets mystérieux mais sur des sens ou des significations constituées par la conscience elle-même.

La formule husserlienne « toute conscience est conscience de quelque chose » exprime cette structure fondamentale : il n’existe pas de conscience vide, mais toujours une conscience dirigée vers des objets-tels-qu’ils-sont-visés.

Les modes intentionnels

Husserl analyse minutieusement les différents modes intentionnels : perception, souvenir, imagination, jugement, désir, etc. Chaque mode possède sa structure noético-noématique spécifique. La perception vise son objet sur le mode de la présence, le souvenir sur celui de la rétention, l’imagination sur celui de la neutralité.

Cette analyse révèle que l’intentionnalité n’est pas une relation uniforme mais se décline selon des modalités diverses qui constituent autant de manières pour la conscience de se rapporter au monde.

Les développements phénoménologiques

Heidegger et l’être-au-monde

Martin Heidegger (1889-1976) radicalise l’analyse husserlienne en montrant que l’intentionnalité présuppose une ouverture plus fondamentale au monde. Dans « Être et Temps », il critique la conception représentationnelle de l’intentionnalité pour lui substituer la notion d’être-au-monde (In-der-Welt-sein).

L’être humain n’est pas d’abord un sujet conscient qui se représente des objets, mais un être jeté dans un monde qu’il comprend pratiquement avant de le thématiser théoriquement. L’intentionnalité théorique dérive de cette compréhension pratique plus originaire.

Merleau-Ponty et l’intentionnalité corporelle

Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) prolonge cette critique en développant une phénoménologie du corps vécu. Dans « Phénoménologie de la perception », il montre que l’intentionnalité ne se réduit pas aux actes de la conscience mais s’enracine dans l’intentionnalité motrice du corps propre.

Le corps n’est pas un simple objet physique mais le « je peux » primordial qui ouvre le monde perceptif. Cette intentionnalité corporelle précède et fonde l’intentionnalité de la conscience thétique.

L’intentionnalité dans la philosophie analytique

La critique quinienne

Willard Van Orman Quine (1908-2000) remet en question la pertinence du concept d’intentionnalité en montrant les difficultés liées aux contextes intentionnels. Dans « Mot et objet », il analyse les problèmes de la traduction radicale et de l’indétermination des significations, questionnant la possibilité de fixer objectivement le contenu intentionnel des attitudes propositionnelles.

Dennett et l’intentionnalité comme posture

Daniel Dennett développe une conception déflationniste de l’intentionnalité dans « La stratégie de l’interprète ». L’intentionnalité ne désigne pas une propriété intrinsèque des états mentaux mais une « posture intentionnelle » adoptée par l’interprète pour prédire et expliquer le comportement.

Cette approche instrumentaliste évite les problèmes ontologiques traditionnels en traitant l’intentionnalité comme un outil interprétatif plutôt que comme une caractéristique métaphysique de l’esprit.

Searle et l’intentionnalité intrinsèque

John Searle s’oppose à cette vision déflationniste en défendant l’existence d’une intentionnalité intrinsèque des états mentaux. Dans « L’intentionnalité », il développe une théorie naturaliste qui ancre l’intentionnalité dans les propriétés neurobiologiques du cerveau.

Enjeux contemporains

L’intentionnalité et les sciences cognitives

Les sciences cognitives contemporaines s’approprient le concept d’intentionnalité pour analyser les représentations mentales. Jerry Fodor développe une théorie computationnelle de l’esprit selon laquelle les états mentaux sont des relations à des représentations internes qui possèdent un contenu intentionnel.

Cette approche soulève de nouveaux problèmes : comment le contenu intentionnel émerge-t-il des processus neurobiologiques ? Comment expliquer l’intentionnalité dérivée des systèmes artificiels ?

Le problème difficile de l’intentionnalité

Tim Crane identifie un « problème difficile de l’intentionnalité », symétrique au problème difficile de la conscience de David Chalmers. Comment expliquer l’émergence de l’aboutness (le fait d’être à propos de quelque chose) à partir de processus physiques qui ne semblent posséder aucune dimension intentionnelle ?

L’intentionnalité demeure ainsi un concept central des débats contemporains en philosophie de l’esprit, au carrefour de la tradition phénoménologique, de la philosophie analytique et des sciences cognitives, soulevant des questions fondamentales sur la nature de l’esprit et sa relation au monde.

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