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Table of Contents
  1. Définition et étymologie
  2. L’instinct dans la tradition philosophique
    1. Les approches antiques
    2. L’instinct cartésien et la question de l’âme animale
    3. Spinoza et le conatus
    4. L’Aufklärung et la critique de l’instinct
    5. Schopenhauer et la Volonté instinctive
    6. Bergson et l’instinct créateur
    7. Freud et les pulsions
    8. L’éthologie et les mécanismes déclencheurs
  3. Débats contemporains
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Instinct

  • 26/09/2025
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Définition et étymologie

L’instinct désigne une disposition innée qui pousse un être vivant à accomplir certains actes de manière spontanée et automatique, sans apprentissage préalable ni réflexion consciente. Le terme provient du latin instinctus, participe passé du verbe instinguere (pousser, inciter), lui-même composé du préfixe in- (vers) et de stinguere (piquer, aiguillonner). Cette étymologie évoque l’idée d’une impulsion interne qui guide l’action de façon immédiate et irrésistible.

L’instinct se caractérise par plusieurs propriétés distinctives : son caractère inné (il n’est pas acquis par l’expérience), son automatisme (il se déclenche spontanément face à certains stimuli), sa finalité apparente (il semble orienté vers la conservation de l’individu ou de l’espèce), et son universalité au sein d’une espèce donnée. Ces caractéristiques le distinguent à la fois du réflexe simple (trop mécanique) et du comportement intelligent (trop délibéré).

En philosophie, la notion d’instinct soulève des questions fondamentales sur les rapports entre nature et culture, nécessité et liberté, corps et esprit. Comment articuler l’existence d’instincts avec l’autonomie de la raison ? L’homme possède-t-il des instincts spécifiques ou se définit-il précisément par leur absence ?

L’instinct dans la tradition philosophique

Les approches antiques

Aristote développe dans ses traités biologiques une première analyse systématique des comportements instinctifs. Il observe que les animaux accomplissent spontanément des actions complexes et finalisées sans avoir appris à les réaliser : l’araignée tisse sa toile, l’oiseau construit son nid selon un plan architectural précis, l’abeille organise la ruche selon une géométrie parfaite.

Pour Aristote, ces comportements révèlent l’action de la nature (physis) comme principe interne de mouvement et de finalité. L’instinct constitue une forme de « prudence naturelle » (phronesis physike) qui permet aux animaux d’accomplir ce qui est bon pour eux sans délibération rationnelle. Cette sagesse instinctive compense l’absence de raison discursive chez les animaux.

Les stoïciens développent cette perspective en insistant sur l’appropriation (oikeiosis) comme tendance naturelle de tout être vivant à se conserver et à rechercher ce qui lui convient. Cette impulsion primitive (hormen proton) constitue le fondement naturel de l’éthique, même chez l’homme rationnel qui doit l’élever au niveau de la vertu consciente.

L’instinct cartésien et la question de l’âme animale

René Descartes révolutionne la conception de l’instinct en niant l’existence d’une âme sensitive chez les animaux. Dans sa théorie de l’animal-machine, tous les comportements apparemment instinctifs s’expliquent mécaniquement par la disposition des organes corporels, comme les mouvements d’une horloge suivent l’agencement de ses rouages.

Cette position radicale vise à préserver la spécificité de l’âme rationnelle humaine. Si les animaux possédaient une forme de connaissance instinctive, la frontière entre l’homme et l’animal s’estomperait. En réduisant l’instinct à un mécanisme corporel, Descartes maintient le privilège exclusif de la pensée consciente.

Cependant, cette théorie soulève une difficulté majeure : comment expliquer la complexité et l’adaptation parfaite des comportements instinctifs par de simples mécanismes ? La finalité apparente de l’instinct résiste à l’explication purement mécanique, préparant les critiques ultérieures.

Spinoza et le conatus

Baruch Spinoza propose une conception unifiée de l’instinct à travers le concept de conatus (effort). Tout être, qu’il soit pierre, plante, animal ou homme, s’efforce de persévérer dans son être selon sa nature propre. Cette tendance fondamentale s’exprime différemment selon la complexité de chaque individu.

Chez les animaux, le conatus se manifeste par des instincts spécialisés qui assurent la conservation et la reproduction. Chez l’homme, il prend la forme de désirs conscients guidés par la raison. Cette continuité ontologique évite le dualisme cartésien tout en reconnaissant la spécificité des différents niveaux d’organisation.

L’éthique spinoziste découle de cette analyse : il s’agit de comprendre notre nature véritable pour orienter rationnellement notre conatus vers ce qui accroît réellement notre puissance d’agir et notre joie.

L’Aufklärung et la critique de l’instinct

Les philosophes des Lumières développent généralement une conception critique de l’instinct, associé à l’animalité et à l’hétéronomie. Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique, définit l’instinct comme « une forme de connaissance que vous n’avez point acquise », soulignant son caractère non rationnel.

Emmanuel Kant radicalise cette opposition en fondant la morale sur l’autonomie de la raison pratique contre toute détermination naturelle, y compris instinctive. L’action morale authentique doit être accomplie par devoir, non par inclination naturelle. L’instinct relève du domaine de la pathologie (ce qui nous affecte passivement) et ne peut fonder l’éthique.

Cette critique kantienne influence profondément la tradition philosophique allemande qui tend à opposer culture et nature, liberté et instinct, humanité et animalité.

Schopenhauer et la Volonté instinctive

Arthur Schopenhauer renouvelle la conception de l’instinct dans Le Monde comme volonté et comme représentation. Pour lui, l’instinct révèle l’action directe de la Volonté métaphysique à travers les phénomènes individuels. L’animal qui suit ses instincts exprime immédiatement l’essence de son espèce, sans la médiation de la connaissance conceptuelle.

Cette intuition instinctive possède une forme de sagesse supérieure à l’intelligence discursive. L’oiseau migrateur qui s’oriente sans carte géographique, l’insecte qui pond ses œufs dans un lieu approprié qu’il ne verra jamais, manifestent une connaissance directe des fins de la nature.

Chez l’homme, l’intellect développé masque cette sagesse instinctive originelle, source d’erreurs et de souffrances. La philosophie schopenhauerienne valorise donc certaines formes d’intuition non rationnelle contre l’hypertrophie de la raison moderne.

Bergson et l’instinct créateur

Henri Bergson développe dans L’Évolution créatrice (1907) une théorie originale de l’instinct qui dépasse l’opposition traditionnelle entre mécanisme et finalisme. L’instinct n’est ni un mécanisme aveugle ni une intelligence consciente, mais une forme de connaissance immédiate et pratique adaptée à l’action vitale.

Bergson distingue l’instinct, tourné vers l’utilisation d’instruments organiques, de l’intelligence, orientée vers la fabrication d’outils inorganiques. Ces deux tendances divergentes de l’évolution se complètent : l’instinct excelle dans la spécialisation adaptative, l’intelligence dans l’invention et l’adaptation générale.

L’instinct humain s’est largement atrophié au profit de l’intelligence, mais il subsiste sous forme d’intuition philosophique capable de ressaisir l’élan vital originel. Cette intuition bergsonienne réconcilie instinct et conscience dans une connaissance supérieure de la durée créatrice.

Freud et les pulsions

Sigmund Freud transforme radicalement la conception de l’instinct avec sa théorie des pulsions (Triebe). Dans Au-delà du principe de plaisir (1920), il distingue les pulsions de vie (Éros), qui tendent vers l’intégration et la complexification, des pulsions de mort (Thanatos), qui poussent vers la désintégration et le retour à l’inorganique.

Ces pulsions fondamentales structurent l’inconscient humain et déterminent largement les comportements conscients. La culture humaine résulte de la sublimation de ces énergies pulsionnelles primitives, mais ne peut jamais les éliminer totalement.

Cette découverte de l’inconscient pulsionnel remet en question l’autonomie de la raison et révèle la persistance de forces instinctives archaïques au cœur de la civilisation moderne.

L’éthologie et les mécanismes déclencheurs

L’éthologie moderne, avec Konrad Lorenz et Nikolaas Tinbergen, révolutionne l’étude scientifique de l’instinct. Ils décrivent les « mécanismes déclencheurs innés » (Innate Releasing Mechanisms) qui activent des « schèmes d’action fixes » face à des stimuli-clés spécifiques.

Cette approche objective révèle la complexité des interactions entre facteurs génétiques et environnementaux dans l’expression des comportements instinctifs. Elle nuance l’opposition rigide entre inné et acquis en montrant l’importance des « périodes critiques » d’apprentissage.

Débats contemporains

La sociobiologie et la psychologie évolutionniste relancent les débats sur l’instinct humain. Des chercheurs comme Edward O. Wilson ou Steven Pinker soutiennent que de nombreux comportements humains (altruisme, agressivité, préférences esthétiques) s’expliquent par des adaptations instinctives héritées de l’évolution.

Cette perspective suscite de vives controversies sur les rapports entre nature et culture, déterminisme biologique et liberté humaine. Les neurosciences contemporaines apportent de nouveaux éléments en révélant les bases neurologiques des comportements instinctifs et leurs interactions avec les processus cognitifs supérieurs.

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