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Table of Contents
  1. Définition et étymologie
  2. L’induction dans la tradition philosophique
    1. Aristote et l’épagogè
    2. Francis Bacon et l’induction expérimentale
    3. Stuart Mill et les méthodes inductives
    4. Le problème de Hume
    5. Kant et la synthèse critique
    6. L’épistémologie contemporaine
  3. Enjeux contemporains
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Induction

  • 26/09/2025
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Définition et étymologie

L’induction désigne un mode de raisonnement qui consiste à tirer des conclusions générales à partir d’observations particulières. Le terme provient du latin inductio, dérivé du verbe inducere (conduire vers, amener à), lui-même composé du préfixe in- (vers) et de ducere (conduire). Cette étymologie suggère un mouvement qui conduit l’esprit du particulier vers le général, des faits observés vers des lois ou des principes universels.

En logique, l’induction s’oppose à la déduction, qui procède inversement du général au particulier. Alors que la déduction tire des conclusions nécessaires à partir de prémisses données (si tous les hommes sont mortels et si Socrate est un homme, alors Socrate est mortel), l’induction formule des hypothèses générales à partir d’un nombre fini d’observations (si tous les cygnes observés sont blancs, alors tous les cygnes sont blancs).

Cette différence fondamentale soulève le problème épistémologique central de l’induction : comment justifier le passage du particulier au général ? Comment fonder la validité des lois générales sur un nombre nécessairement limité d’observations ? Cette question, connue sous le nom de « problème de l’induction », constitue l’un des défis majeurs de la philosophie de la connaissance.

L’induction dans la tradition philosophique

Aristote et l’épagogè

Aristote développe la première théorie systématique de l’induction dans les Seconds Analytiques. Il distingue l’épagogè (ἐπαγωγή), traduite par induction, de la déduction syllogistique. Pour Aristote, l’induction est « la marche du particulier vers l’universel », elle permet de saisir les principes premiers à partir desquels procédera ensuite la démonstration déductive.

L’induction aristotélicienne n’est pas simplement une généralisation empirique, mais une intuition intellectuelle (nous) qui saisit l’essence universelle dans le particulier. Quand nous observons plusieurs triangles et constatons que la somme de leurs angles égale toujours deux droits, nous ne faisons pas une simple généralisation statistique, mais nous saisissons intuitivement une propriété essentielle de la triangularité.

Cette conception « réaliste » de l’induction suppose que les universaux ont une existence objective et que l’esprit humain peut les appréhender directement. L’induction n’est pas une inférence probabiliste mais une forme de connaissance immédiate des essences.

Francis Bacon et l’induction expérimentale

Francis Bacon révolutionne la conception de l’induction dans le Novum Organum (1620). Contre l’induction aristotélicienne qu’il juge trop précipitée, il propose une méthode inductive rigoureuse fondée sur l’expérimentation systématique.

La méthode baconienne procède par « tables » : table de présence (où le phénomène étudié apparaît), table d’absence (où il n’apparaît pas dans des circonstances similaires), et table des degrés (où il varie en intensité). Cette méthode des variations concomitantes permet d’identifier les véritables causes des phénomènes en éliminant progressivement les facteurs non pertinents.

Bacon insiste sur la nécessité d’une « induction vraie » qui ne se contente pas d’énumérer les cas favorables, mais recherche activement les contre-exemples et les exceptions. Cette approche critique anticipe les méthodes expérimentales de la science moderne et influence profondément l’épistémologie empiriste.

Stuart Mill et les méthodes inductives

John Stuart Mill systématise l’approche baconienne dans son Système de logique (1843). Il formule les célèbres « méthodes de Mill » pour l’investigation causale : méthode de concordance, méthode de différence, méthode conjointe de concordance et de différence, méthode des résidus, et méthode des variations concomitantes.

Ces méthodes constituent des canons logiques pour identifier les relations causales à partir de l’observation des phénomènes. La méthode de différence, par exemple, consiste à comparer deux situations qui ne diffèrent que par un seul facteur : si les effets diffèrent également, ce facteur est probablement la cause du phénomène étudié.

Mill reconnaît cependant les limites de l’induction en sciences humaines, où l’expérimentation contrôlée est souvent impossible. Il développe alors la « méthode déductive inverse » qui combine déduction théorique et vérification empirique, anticipant ainsi les méthodes hypothético-déductives contemporaines.

Le problème de Hume

David Hume formule dans son Enquête sur l’entendement humain (1748) le « problème de l’induction » qui hantera l’épistémologie moderne. Hume observe que tous nos raisonnements sur les faits reposent sur la relation de cause à effet, mais que cette relation ne peut être établie a priori par la seule raison.

Notre croyance en l’uniformité de la nature – le fait que l’avenir ressemblera au passé – ne peut être justifiée ni par la raison (ce serait un cercle vicieux) ni par l’expérience (ce serait une pétition de principe). L’induction repose donc sur l’habitude et la coutume, non sur un fondement rationnel solide.

Cette critique sceptique ébranle les prétentions de la science empirique à établir des vérités certaines. Si l’induction n’est qu’une habitude psychologique, comment peut-elle fonder la connaissance objective ? Ce défi humien oblige la philosophie à repenser les rapports entre expérience et raison.

Kant et la synthèse critique

Emmanuel Kant tente de résoudre le problème de Hume dans la Critique de la raison pure. Il distingue les jugements analytiques a priori (nécessaires mais non informatifs) des jugements synthétiques a posteriori (informatifs mais contingents), et découvre une troisième catégorie : les jugements synthétiques a priori.

Ces jugements, comme les principes de la géométrie ou les lois de la physique newtonienne, sont à la fois informatifs sur le monde et nécessairement vrais. Ils sont possibles grâce aux formes a priori de la sensibilité (espace et temps) et aux catégories de l’entendement qui structurent nécessairement toute expérience possible.

L’induction scientifique ne procède donc pas par simple généralisation empirique, mais selon des règles a priori qui garantissent l’universalité et la nécessité des lois naturelles. Cette « révolution copernicienne » sauve la science du scepticisme humien en montrant que l’esprit impose ses propres lois à la nature.

L’épistémologie contemporaine

Karl Popper révolutionne l’épistémologie du XXe siècle en montrant que l’induction n’est pas nécessaire à la science. Dans La Logique de la découverte scientifique (1934), il soutient que les théories scientifiques ne sont jamais vérifiées par induction, mais seulement falsifiées par déduction.

Une théorie scientifique doit être falsifiable, c’est-à-dire pouvoir être contredite par des observations possibles. La méthode scientifique procède par conjectures audacieuses suivies de tentatives rigoureuses de réfutation. Cette approche hypothético-déductive évite le problème de l’induction en renversant la charge de la preuve.

Rudolf Carnap et les néo-positivistes tentent de réhabiliter l’induction en développant une logique inductive probabiliste. Selon cette approche, l’induction ne fournit pas de certitude absolue mais permet d’assigner des degrés de probabilité aux hypothèses scientifiques en fonction des données disponibles.

Nelson Goodman formule un nouveau paradoxe de l’induction avec son exemple célèbre du « vleu » (grue). Cette couleur fictive désigne les objets verts observés avant un certain temps T et bleus observés après T. Si tous les émeraudes observées jusqu’à présent sont vertes, elles sont aussi « vleues », ce qui nous autorise par induction à prédire qu’après T elles seront bleues.

Ce paradoxe montre que l’induction dépend crucialement de la façon dont nous décrivons les phénomènes. Seuls certains prédicats « projectibles » permettent des inductions légitimes, mais le critère de projectibilité reste problématique.

Enjeux contemporains

L’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique renouvellent les questions inductives. Les algorithmes d’apprentissage procèdent par induction statistique sur de vastes bases de données, soulevant des questions sur la validité de leurs généralisations et leur capacité à découvrir de véritables régularités causales.

La philosophie des sciences contemporaine continue de débattre du statut de l’induction dans la pratique scientifique réelle, entre les approches bayésiennes qui formalisent l’induction probabiliste et les courants post-poppériens qui insistent sur les aspects sociologiques et historiques de la validation scientifique.

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