Définition et étymologie
L’impression désigne, dans son acception philosophique, l’effet immédiat produit sur l’esprit par un objet extérieur ou par un état intérieur, avant toute élaboration conceptuelle ou réflexive. Le terme provient du latin impressio, dérivé du verbe imprimere (imprimer, marquer), lui-même composé du préfixe in- (dans) et de premere (presser). Cette étymologie évoque l’idée d’une marque laissée dans l’esprit par le contact avec la réalité, à la manière d’un sceau qui s’imprime dans la cire.
En philosophie, l’impression se distingue de l’idée par son caractère immédiat et passif. Là où l’idée implique une certaine activité de l’esprit, une mise en forme conceptuelle, l’impression correspond à la réception brute des données sensorielles ou affectives. Elle constitue, selon de nombreux philosophes empiristes, le matériau premier à partir duquel se construit toute connaissance.
L’impression peut être sensible (visuelle, auditive, tactile, gustative, olfactive) ou affective (plaisir, douleur, joie, tristesse). Dans tous les cas, elle se caractérise par sa vivacité, son immédiateté et son caractère préréflexif. Elle précède logiquement et temporellement les opérations intellectuelles de comparaison, d’abstraction et de jugement.
L’impression dans la tradition philosophique
L’empirisme britannique et la théorie des impressions
David Hume développe la théorie la plus systématique des impressions dans son Traité de la nature humaine (1739-1740). Pour Hume, toutes nos idées dérivent d’impressions antérieures, qu’elles soient de sensation (causées par les objets extérieurs) ou de réflexion (causées par nos propres états mentaux). Cette théorie empiriste radicale fait des impressions les « atomes » de la vie mentale.
Hume distingue les impressions simples, qui ne peuvent être décomposées (une nuance particulière de rouge, une note musicale précise), des impressions complexes qui résultent de la combinaison de plusieurs impressions simples. Les idées correspondent aux « copies » affaiblies de ces impressions dans la mémoire et l’imagination. Cette théorie de la copie établit une hiérarchie génétique : pas d’idée sans impression préalable.
Cette analyse conduit Hume à sa critique célèbre de la causalité. Nous n’avons jamais l’impression d’une « connexion nécessaire » entre cause et effet, mais seulement l’impression d’une succession temporelle répétée. L’idée de causalité provient donc de l’habitude et de l’association, non d’une saisie intellectuelle directe d’un rapport objectif.
Locke et la tabula rasa
John Locke, précurseur de l’empirisme, développe dans son Essai sur l’entendement humain (1690) une théorie de la connaissance qui accorde un rôle central aux impressions sensibles. Selon sa célèbre métaphore, l’esprit humain naît comme une « table rase » (tabula rasa) sur laquelle l’expérience vient inscrire ses marques.
Toutes nos idées proviennent de deux sources : la sensation, qui nous fournit les impressions du monde extérieur, et la réflexion, qui nous donne conscience de nos propres opérations mentales. Cette double origine empirique s’oppose radicalement aux théories innéistes qui postulent des idées présentes dans l’esprit dès la naissance.
Berkeley radicalise cette approche en niant l’existence de la matière indépendamment de la perception. Pour lui, « être c’est être perçu » (esse est percipi), et les objets matériels ne sont que des collections d’impressions sensibles produites directement par Dieu dans nos esprits.
Kant et la révolution critique
Emmanuel Kant opère une synthèse critique entre rationalisme et empirisme qui redéfinit le statut de l’impression. Dans la Critique de la raison pure (1781/1787), il distingue la matière de la connaissance, fournie par les impressions sensibles (Empfindungen), et sa forme, constituée par les structures a priori de la sensibilité (espace et temps) et de l’entendement (catégories).
Les impressions sensibles sont certes nécessaires à toute connaissance empirique – « des pensées sans contenu sont vides » – mais elles sont insuffisantes – « des intuitions sans concepts sont aveugles ». La connaissance résulte de la synthèse active opérée par l’esprit entre le donné impressionnel passif et les formes a priori actives.
Cette révolution copernicienne transforme l’impression de donné brut en matériau déjà informé par les structures transcendantales de la subjectivité. L’impression n’est plus la copie passive d’un objet extérieur, mais le résultat de l’action des formes pures de la sensibilité sur la diversité sensible.
La phénoménologie et l’impression originaire
Edmund Husserl renouvelle l’analyse de l’impression dans ses Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps (1905). Il distingue l’impression originaire (Urimpression), qui correspond à la saisie du « maintenant » vivant, de la rétention (conscience du « juste passé ») et de la protention (anticipation du « sur le point d’arriver »).
Cette analyse temporelle de la conscience montre que l’impression n’est jamais donnée de manière isolée, mais toujours dans un flux synthétique qui la relie au passé retenu et au futur anticipé. L’impression originaire constitue le « noyau » de la conscience temporelle, mais elle n’existe que dans cette synthèse fluente.
Maurice Merleau-Ponty prolonge cette approche dans sa phénoménologie de la perception. Pour lui, l’impression n’est pas un donné atomique, mais toujours inscrite dans une totalité perceptive organisée par le corps vécu. L’impression tactile d’une surface rugueuse, par exemple, renvoie immédiatement à un style perceptif global qui engage tout notre être corporel.
Bergson et l’impression pure
Henri Bergson développe une théorie originale de l’impression dans Matière et mémoire (1896). Il distingue l’impression pure, qui correspondrait à l’action directe des objets sur notre corps, de la perception concrète qui mélange toujours impression présente et souvenirs-images.
L’impression pure n’existe jamais à l’état isolé dans notre expérience réelle, car elle est immédiatement enrichie par la mémoire qui y projette des images du passé. Cette contamination constante de l’impression par la mémoire explique le caractère créateur et sélectif de la perception.
Débats contemporains
La question de l’impression reste vivace dans la philosophie contemporaine, notamment dans les débats sur le « donné » en épistémologie. Des philosophes comme Wilfrid Sellars critiquent le « mythe du donné » qui postulerait des impressions pures indépendantes de toute conceptualisation.
La psychologie cognitive et les neurosciences contemporaines complexifient également notre compréhension des impressions en montrant leur caractère déjà construit et interprétatif. L’impression n’est plus conçue comme un enregistrement passif, mais comme le résultat d’un traitement actif de l’information par le système nerveux.