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Table of Contents
  1. Définition et étymologie
  2. L’habitus en philosophie
    1. Aristote et la doctrine de l’hexis
    2. Saint Thomas d’Aquin et l’habitus scolastique
    3. Machiavel et l’habitus politique
    4. Descartes et la critique de l’habitus
    5. Hume et l’habitus empiriste
    6. Kant et la critique de l’habitus
    7. Hegel et l’habitus comme seconde nature
    8. Marx et l’habitus de classe
    9. Husserl et l’habitus intentionnel
    10. Merleau-Ponty et l’habitus corporel
    11. Bourdieu et la théorie sociologique de l’habitus
    12. Critiques contemporaines de l’habitus
  3. Enjeux contemporains
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Habitus

  • 25/09/2025
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Définition et étymologie

L’habitus désigne un système durable et transposable de dispositions acquises qui génèrent et organisent les pratiques et représentations d’un individu ou d’un groupe social. Il constitue une structure structurée prédisposée à fonctionner comme structure structurante, médiation entre les conditions objectives d’existence et les pratiques subjectives.

Le terme provient du latin habitus, participe passé du verbe habere qui signifie « avoir », « tenir », « posséder », mais aussi « se tenir », « être dans tel état ». Le habitus désigne donc littéralement la « manière d’être », la « tenue », la « disposition corporelle et mentale ». Cette étymologie révèle que l’habitus n’est pas simple possession mais manière d’être incarnée, disposition stable qui configure l’ensemble de l’existence.

Le terme latin traduit le grec hexis (ἕξις) utilisé par Aristote, dérivé du verbe echein (ἔχειν) qui signifie également « avoir », « tenir ». Cette double origine révèle la permanence historique du concept et son importance pour penser les rapports entre nature et culture, déterminisme et liberté, structure et pratique.

L’habitus en philosophie

Aristote et la doctrine de l’hexis

Aristote développe la notion d’hexis dans l’Éthique à Nicomaque pour expliquer la formation des vertus morales et intellectuelles. L’hexis désigne une disposition stable acquise par la répétition d’actes qui finit par constituer une « seconde nature ».

Pour Aristote, « c’est en pratiquant la justice que nous devenons justes, en pratiquant la tempérance que nous devenons tempérants, en pratiquant le courage que nous devenons courageux ». Cette conception révèle que les vertus ne sont ni innées ni purement intellectuelles, mais résultent d’une éducation pratique qui inscrit dans l’être même de l’agent des dispositions durables.

L’hexis aristotélicienne se distingue de la simple habitude (ethos) par sa dimension rationnelle : elle implique la participation de la raison pratique qui oriente l’action vers le bien. Cette analyse influence toute la tradition philosophique occidentale sur les rapports entre éthique et éducation.

La doctrine aristotélicienne de la phronesis (prudence) illustre parfaitement l’hexis : elle est disposition acquise à délibérer correctement dans les situations particulières, synthèse entre principes universels et circonstances singulières.

Saint Thomas d’Aquin et l’habitus scolastique

Saint Thomas d’Aquin reprend et développe la notion aristotélicienne dans sa Somme théologique. Il définit l’habitus comme « disposition selon laquelle le sujet disposé est bien ou mal disposé, soit en lui-même, soit par rapport à autre chose ».

Thomas distingue plusieurs types d’habitus : les habitus intellectuels (science, sagesse, intelligence), les habitus moraux (vertus et vices) et les habitus surnaturels (vertus théologales infuses par la grâce). Cette classification influence profondément la pédagogie et la morale chrétiennes.

L’innovation thomiste réside dans l’articulation entre habitus naturels (acquis par l’exercice) et habitus surnaturels (donnés par la grâce divine). Cette synthèse permet de penser la continuité entre nature et grâce dans la formation de la personne humaine.

Machiavel et l’habitus politique

Nicolas Machiavel, bien qu’il n’utilise pas explicitement le terme, développe dans Le Prince une conception de l’habitus politique. La virtù du prince n’est pas vertu morale traditionnelle mais disposition acquise à s’adapter aux circonstances changeantes de la politique.

Cette virtù machiavélienne se forme par l’expérience des affaires publiques et l’étude de l’histoire. Elle constitue une « seconde nature » politique qui permet au prince de naviguer entre la fortune et la nécessité.

Cette conception sécularisée de l’habitus influence la pensée politique moderne en montrant comment les dispositions pratiques se forment indépendamment des principes moraux universels.

Descartes et la critique de l’habitus

René Descartes développe une critique de l’habitus scolastique dans ses Méditations métaphysiques et le Discours de la méthode. Pour lui, les habitudes de pensée constituent des « préjugés » qui font obstacle à la découverte de la vérité.

Le doute méthodique cartésien vise précisément à suspendre tous les habitus intellectuels pour accéder à des vérités indubitables. Cette critique inaugure la modernité philosophique qui privilégie la méthode rationnelle sur la tradition et l’habitude.

Cependant, Descartes reconnaît paradoxalement l’importance des habitudes pour l’action morale dans sa correspondance avec Élisabeth : faute de pouvoir déduire rationnellement toutes nos actions, nous devons nous appuyer sur des habitudes vertueuses.

Hume et l’habitus empiriste

David Hume renouvelle complètement la conception de l’habitus dans son Traité de la nature humaine (1739-1740). Pour lui, l’habitude (custom ou habit) constitue le principe fondamental de la connaissance empirique.

Nos croyances causales (la confiance que le futur ressemblera au passé) ne reposent pas sur la raison mais sur l’habitude qui nous fait attendre certains effets après certaines causes. Cette habitude résulte de l’association répétée d’idées dans l’imagination.

Cette conception empiriste de l’habitus révèle sa dimension non rationnelle : nous croyons parce que nous avons l’habitude de croire, non parce que nous avons des raisons de croire. Cette analyse influence profondément l’épistémologie moderne.

Kant et la critique de l’habitus

Emmanuel Kant critique l’habitus humien dans sa Critique de la raison pure tout en reconnaissant l’importance des « habitudes transcendantales » dans la constitution de l’expérience. Les schèmes de l’imagination productive constituent des habitus a priori qui rendent possible l’application des catégories aux phénomènes.

Dans la Critique de la raison pratique, Kant distingue soigneusement la vertu (disposition rationnelle autonome) de l’habitude (disposition empirique hétéronome). La moralité authentique ne peut reposer sur l’habitus mais doit procéder de la spontanéité de la raison pratique.

Cependant, Kant reconnaît dans l’Anthropologie l’importance pédagogique de l’habitude pour former le caractère et préparer l’autonomie morale.

Hegel et l’habitus comme seconde nature

Georg Wilhelm Friedrich Hegel développe une conception dialectique de l’habitus dans sa Philosophie de l’esprit. L’habitude constitue la « seconde nature » qui permet à l’esprit de se libérer de l’immédiateté naturelle tout en conservant son caractère spontané.

Pour Hegel, l’habitus représente une étape nécessaire dans la formation de l’esprit : elle mécanise certaines opérations (marche, écriture, langage) pour libérer la conscience vers des activités supérieures. Cette dialectique de la liberté et de la nécessité influence la conception moderne de l’éducation.

L’analyse hégélienne de la Sittlichkeit (vie éthique) montre comment les mœurs collectives constituent un habitus social qui réconcilie liberté subjective et universalité objective.

Marx et l’habitus de classe

Karl Marx, bien qu’il n’utilise pas directement le terme, développe une conception matérialiste de l’habitus dans ses analyses de la conscience de classe. Les conditions matérielles d’existence génèrent des dispositions mentales et comportementales spécifiques à chaque classe sociale.

Cette conception marxiste influence profondément la sociologie en montrant comment l’être social détermine la conscience sociale. Elle prépare les développements contemporains de la notion d’habitus en sociologie.

Husserl et l’habitus intentionnel

Edmund Husserl développe une conception phénoménologique de l’habitus dans ses Méditations cartésiennes. L’ego constitue des « habitudes intentionnelles » qui sédimentent ses expériences passées et orientent ses actes futurs.

Ces habitus intentionnels ne sont pas mécaniques mais téléologiques : ils portent en eux les horizons de sens qui guident la conscience vers de nouveaux objets. Cette analyse influence la phénoménologie contemporaine et prépare certains développements de Merleau-Ponty.

Merleau-Ponty et l’habitus corporel

Maurice Merleau-Ponty renouvelle complètement la conception de l’habitus dans sa Phénoménologie de la perception (1945). Il montre que l’habitus n’est pas seulement mental mais d’abord corporel : notre corps « sait » comment agir avant que notre conscience ne réfléchisse.

L’exemple du pianiste qui « possède » son clavier illustre cette conception : les mains « connaissent » la musique d’un savoir pratique qui ne se réduit pas à la représentation intellectuelle. Cette habitude motrice constitue notre « être-au-monde » primordial.

Cette phénoménologie de l’habitus corporel influence profondément les sciences cognitives contemporaines et la théorie de l’action incarnée.

Bourdieu et la théorie sociologique de l’habitus

Pierre Bourdieu élabore la théorie sociologique la plus développée de l’habitus dans Esquisse d’une théorie de la pratique (1972) et Le Sens pratique (1980). L’habitus constitue le concept central de sa sociologie, médiation entre structures objectives et pratiques subjectives.

Pour Bourdieu, l’habitus est « système de dispositions durables et transposables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes ». Il se forme dans les conditions sociales d’existence de la première socialisation et génère des pratiques « ajustées » à ces conditions.

Cette théorie révèle comment les inégalités sociales se reproduisent : l’habitus de classe génère des goûts, des pratiques et des aspirations qui correspondent aux positions occupées dans l’espace social. Cette « violence symbolique » masque la domination sociale en la présentant comme différence de mérite.

L’habitus bourdieusien possède plusieurs propriétés : il est durable (résiste au changement), transposable (s’applique à différents domaines), générateur (produit de nouvelles pratiques) et unificateur (donne cohérence à l’ensemble des pratiques d’un agent).

Critiques contemporaines de l’habitus

La théorie bourdieusienne de l’habitus fait l’objet de nombreuses critiques. Certains lui reprochent son déterminisme qui laisserait peu de place à l’innovation et au changement social. D’autres soulignent sa conception trop homogène des groupes sociaux qui négligerait leur hétérogénéité interne.

Les théories de l’individualisation (Beck, Giddens) critiquent l’habitus comme concept inadapté aux sociétés contemporaines caractérisées par la réflexivité et la multiplication des expériences sociales.

Les sociologies pragmatistes (Boltanski, Thévenot) proposent de substituer à l’habitus des compétences critiques qui permettent aux acteurs de s’adapter à la diversité des situations.

Enjeux contemporains

L’habitus demeure un concept central pour penser les rapports entre individu et société, déterminisme et liberté, reproduction et changement social. Les transformations contemporaines (mondialisation, immigration, révolution numérique) posent de nouvelles questions sur la formation et la transformation des habitus.

Les neurosciences cognitives apportent de nouveaux éclairages sur les bases neurologiques de l’habitus, confirmant partiellement les intuitions phénoménologiques sur l’incorporation des dispositions.

Ces développements renouvellent les débats philosophiques et sociologiques sur l’habitus tout en confirmant sa pertinence pour comprendre les médiations complexes entre structures sociales et pratiques individuelles.

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