Définition et étymologie
L’évolutionnisme désigne l’ensemble des théories qui expliquent les phénomènes naturels, sociaux ou culturels par un processus graduel de transformation et de développement dans le temps. Le terme dérive du latin « evolutio », qui signifie « action de dérouler », « développement », lui-même formé sur « evolvere » (dérouler, développer).
Dans son acception la plus générale, l’évolutionnisme s’oppose aux conceptions fixistes qui postulent l’immutabilité des espèces, des sociétés ou des idées. Il affirme au contraire que tout phénomène naturel ou culturel résulte d’un processus historique de transformation progressive, régi par des lois déterminables.
Il convient de distinguer plusieurs domaines d’application de l’évolutionnisme : biologique (évolution des espèces), social (évolution des sociétés), culturel (évolution des idées et des institutions), et cosmique (évolution de l’univers).
Les précurseurs de l’évolutionnisme
L’Antiquité et les intuitions évolutionnistes
Dès l’Antiquité, certains philosophes développent des intuitions évolutionnistes. Héraclite (vers 535-475 av. J.-C.) conçoit l’univers comme un flux perpétuel (« panta rhei » – tout coule) régi par le logos. Empédocle (vers 490-430 av. J.-C.) propose une théorie proto-darwinienne où les organismes les mieux adaptés survivent tandis que les autres disparaissent.
Lucrèce (99-55 av. J.-C.), dans « De la nature des choses », développe une vision matérialiste de l’évolution cosmique et biologique fondée sur la théorie atomiste d’Épicure.
Les Lumières et l’idée de progrès
Le XVIIIe siècle voit naître une conception moderne du progrès et de l’évolution. Buffon (1707-1788) dans son « Histoire naturelle » évoque la possibilité de transformations des espèces sous l’influence du milieu. Diderot, dans « Le Rêve de d’Alembert », esquisse une vision évolutionniste du vivant.
Condorcet (1743-1794) développe dans son « Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain » une philosophie de l’histoire fondée sur l’idée de perfectibilité indéfinie de l’humanité.
L’évolutionnisme biologique
Lamarck et l’hérédité des caractères acquis
Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829) propose dans sa « Philosophie zoologique » (1809) la première théorie systématique de l’évolution biologique. Il postule deux lois : la loi de l’usage et du non-usage (les organes se développent ou s’atrophient selon leur utilisation) et la loi de l’hérédité des caractères acquis (les modifications acquises se transmettent à la descendance).
Cette théorie transformiste explique la diversité du vivant par l’adaptation progressive des organismes à leur environnement, sous l’influence d’un « sentiment intérieur » qui pousse vers la complexification.
Darwin et la sélection naturelle
Charles Darwin (1809-1882) révolutionne la biologie avec « L’Origine des espèces » (1859). Sa théorie de l’évolution par sélection naturelle repose sur trois principes : variation (les individus d’une espèce présentent des variations), hérédité (certaines variations se transmettent), sélection (les variations favorables augmentent les chances de survie et de reproduction).
Cette théorie élimine toute finalité dans l’évolution : les espèces ne « tendent » vers rien, elles résultent de la sélection aveugle des variations aléatoirement favorables. Darwin étend cette analyse à l’espèce humaine dans « La Descendance de l’homme » (1871).
Le néo-darwinisme et la synthèse moderne
Au XXe siècle, la synthèse entre darwinisme et génétique mendélienne donne naissance au néo-darwinisme. Les travaux de Fisher, Haldane, Wright établissent les bases mathématiques de la génétique des populations. La « théorie synthétique de l’évolution » intègre les découvertes de la biologie moléculaire et précise les mécanismes de l’évolution (mutations, dérive génétique, migration, sélection).
L’évolutionnisme social et culturel
Herbert Spencer et l’évolutionnisme social
Herbert Spencer (1820-1903) développe une philosophie évolutionniste générale dans ses « Premiers Principes » (1862). Il applique les principes évolutionnistes à tous les domaines : cosmologie, biologie, psychologie, sociologie. Sa « loi d’évolution » décrit le passage universel de l’homogène à l’hétérogène, du simple au complexe.
Spencer transpose la sélection naturelle au domaine social avec sa théorie de la « survie du plus apte » (expression qu’il forge avant Darwin). Cette application du darwinisme à la société inspire le « darwinisme social » et ses dérives idéologiques.
L’évolutionnisme anthropologique
L’anthropologie du XIXe siècle développe des théories évolutionnistes de la culture. Edward Tylor (1832-1917) dans « Primitive Culture » (1871) propose une évolution unilinéaire des sociétés humaines du « sauvage » au « civilisé ». Lewis Henry Morgan distingue trois stades : sauvagerie, barbarie, civilisation.
Ces théories, souvent marquées par l’ethnocentrisme, postulent une évolution nécessaire de toutes les sociétés selon un schéma unique calqué sur l’histoire occidentale.
L’évolutionnisme en philosophie
Bergson et l’évolution créatrice
Henri Bergson (1859-1941) développe dans « L’Évolution créatrice » (1907) une philosophie évolutionniste originale. Il critique le mécanisme darwinien et le finalisme téléologique pour proposer une « évolution créatrice » mue par l' »élan vital ».
Pour Bergson, l’évolution n’est ni purement mécanique ni préalablement finalisée : elle est création continue de formes nouvelles imprévisibles. Cette conception vitaliste influence durablement la philosophie de la vie et la pensée de la complexité.
Teilhard de Chardin et l’évolution spirituelle
Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) tente une synthèse entre évolutionnisme scientifique et foi chrétienne dans « Le Phénomène humain ». Il conçoit l’évolution comme un processus cosmique de « complexification-conscience » conduisant vers le « point Oméga » (Dieu).
Cette « mystique évolutionniste » étend l’évolution biologique en évolution spirituelle et voit dans l’hominisation l’émergence de la « noosphère » (sphère de la pensée).
Critiques et débats contemporains
Les critiques créationnistes
L’évolutionnisme fait l’objet de critiques persistantes de la part des créationnistes, particulièrement dans les pays anglo-saxons. Le « dessein intelligent » (Intelligent Design) tente de réintroduire une finalité dans l’évolution en postulant l’intervention d’une intelligence supérieure.
Ces débats, souvent idéologiques, posent la question des rapports entre science et religion, et de la place de l’évolutionnisme dans l’enseignement.
L’évolutionnisme en sciences sociales
L’évolutionnisme social du XIXe siècle est largement abandonné au profit d’approches plus nuancées. Claude Lévi-Strauss critique le « faux évolutionnisme » ethnocentrique et propose un structuralisme synchronique qui privilégie l’étude des invariants culturels.
Cependant, de nouveaux évolutionnismes émergent : évolution culturelle (Boyd, Richerson), psychologie évolutionniste (Cosmides, Tooby), qui tentent d’appliquer les principes darwiniens aux phénomènes culturels et psychologiques.
L’évolutionnisme épistémologique
Karl Popper (1902-1994) développe une épistémologie évolutionniste où la connaissance scientifique évolue par « conjectures et réfutations », selon un processus analogue à la sélection naturelle. Cette approche influence la philosophie des sciences contemporaine.
Nouvelles théories évolutionnistes
La biologie contemporaine enrichit constamment la théorie évolutionniste : théorie neutraliste de l’évolution moléculaire (Kimura), théorie des équilibres ponctués (Gould, Eldredge), evo-devo (biologie évolutionnaire du développement), épigénétique.
Ces développements complexifient et nuancent l’image classique de l’évolution graduelle et continue.
Impact philosophique
L’évolutionnisme transforme radicalement la vision du monde occidentale : il historicise la nature, relativise la position de l’homme dans l’univers, et remet en question les conceptions essentialistes traditionnelles. Il influence profondément les sciences humaines, la philosophie de l’histoire, l’éthique et la politique.
Malgré les controverses persistantes, l’évolutionnisme demeure un paradigme scientifique fondamental qui continue de structurer notre compréhension du vivant, de la société et de la connaissance elle-même.