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Table of Contents
  1. Définition et étymologie
  2. Les fondements socratiques
    1. Socrate et la recherche du bonheur par la vertu
  3. L’eudémonisme platonicien
    1. La justice de l’âme et le bonheur
    2. L’ascension vers le Bien
  4. L’eudémonisme aristotélicien
    1. L' »Éthique à Nicomaque » et la science du bonheur
    2. La fonction propre de l’homme (ergon)
    3. Les vertus et le juste milieu
    4. Bonheur contemplatif et bonheur pratique
  5. Les écoles hellénistiques
    1. L’épicurisme : bonheur et plaisir
    2. Le stoïcisme : bonheur et vertu
  6. Critiques et transformations
    1. Les critiques chrétiennes
    2. Kant et la critique moderne
  7. Renaissance contemporaine
    1. Le néo-aristotélisme
    2. L’eudémonisme en psychologie positive
    3. Critiques contemporaines
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Éudémonisme

  • 24/09/2025
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Définition et étymologie

L’éudémonisme (du grec « eudaimonia », εὐδαιμονία) désigne toute doctrine éthique qui fait du bonheur (eudaimonia) la fin suprême et le principe directeur de l’action humaine. Le terme grec « eudaimonia » se compose de « eu » (bien, bon) et « daimon » (génie, divinité tutélaire), suggérant étymologiquement l’idée d’être favorisé par un bon génie ou de posséder un bon destin.

Contrairement au simple hédonisme qui recherche le plaisir immédiat, l’éudémonisme antique conçoit le bonheur comme un état stable de l’âme, résultant d’une vie vertueuse et accomplie. Il ne s’agit pas d’une succession de plaisirs mais d’une excellence de l’être (arete) qui s’épanouit dans la durée.

L’éudémonisme constitue l’une des trois grandes traditions éthiques de l’Occident, aux côtés de la déontologie (éthique du devoir) et du conséquentialisme (éthique des conséquences).

Les fondements socratiques

Socrate et la recherche du bonheur par la vertu

Socrate (470-399 av. J.-C.) pose les fondements de la pensée eudémoniste en établissant un lien indissoluble entre vertu et bonheur. Sa conviction fondamentale est que « nul n’est méchant volontairement » et que tout homme recherche nécessairement son bonheur. L’erreur morale résulte de l’ignorance : si l’on connaît vraiment le bien, on ne peut que l’accomplir.

Cette doctrine implique que la vertu est une science (episteme) et que le bonheur authentique ne peut être atteint que par la connaissance de soi et la pratique de la vertu. Socrate révolutionne ainsi la conception traditionnelle du bonheur en la déplaçant des biens extérieurs (richesse, honneur, plaisir) vers l’excellence de l’âme.

L’eudémonisme platonicien

La justice de l’âme et le bonheur

Platon (428-348 av. J.-C.) développe une conception architectonique du bonheur fondée sur la tripartition de l’âme. Dans la « République », il établit que le bonheur résulte de l’harmonie entre les trois parties de l’âme : la partie rationnelle (logistikon), la partie irascible (thymoeides) et la partie concupiscible (epithymetikon).

Chaque partie doit accomplir sa fonction propre sous la direction de la raison : la sagesse pour la partie rationnelle, le courage pour la partie irascible, la tempérance pour la partie concupiscible. La justice, vertu suprême, consiste dans cette harmonie fonctionnelle qui génère le bonheur authentique.

L’ascension vers le Bien

Dans les dialogues de maturité, Platon développe une dimension métaphysique de l’eudémonisme. Le véritable bonheur réside dans la contemplation du Bien en soi, Idée suprême qui donne sens et réalité à toutes les autres Idées. Cette vision du Bien constitue l’accomplissement ultime de l’âme philosophe et la source du bonheur parfait.

L’eudémonisme aristotélicien

L' »Éthique à Nicomaque » et la science du bonheur

Aristote (384-322 av. J.-C.) élabore la théorie eudémoniste la plus systématique et influente de l’Antiquité dans l' »Éthique à Nicomaque ». Il définit l’eudaimonia comme « l’activité de l’âme selon la vertu parfaite dans une vie accomplie », établissant ainsi les critères du bonheur authentique.

Pour Aristote, le bonheur possède trois caractéristiques essentielles : il est recherché pour lui-même (autosuffisance), il est complet (téléios) car il inclut tous les autres biens, et il est stable, s’étendant sur la totalité d’une vie humaine (« une hirondelle ne fait pas le printemps »).

La fonction propre de l’homme (ergon)

Aristote fonde son eudémonisme sur l’analyse de la fonction propre (ergon) de l’être humain. De même que chaque organe et chaque artisan possède une fonction spécifique dont la bonne exécution constitue son excellence, l’homme possède une fonction qui lui est propre : l’activité de l’âme selon la raison.

Le bonheur consiste donc dans l’actualisation excellente de cette fonction rationnelle, ce qui implique la pratique des vertus intellectuelles (sophia, episteme, nous, phronesis, techne) et morales (courage, tempérance, justice, etc.).

Les vertus et le juste milieu

Les vertus morales, acquises par l’habitude (hexis), consistent en des dispositions stables à choisir le juste milieu entre les extrêmes. Par exemple, le courage est le milieu entre la couardise (défaut) et la témérité (excès). Cette doctrine du juste milieu (mesotes) permet d’actualiser progressivement les potentialités humaines et d’atteindre le bonheur.

La prudence (phronesis) joue un rôle central comme vertu qui permet de délibérer correctement sur l’action particulière et d’appliquer les principes généraux aux situations concrètes.

Bonheur contemplatif et bonheur pratique

Aristote distingue deux formes de bonheur : le bonheur contemplatif (theoria), activité de l’intelligence pure tournée vers les vérités éternelles, et le bonheur pratique, exercice des vertus morales dans la vie politique et sociale. La contemplation représente la forme la plus haute du bonheur car elle actualise ce qu’il y a de plus divin en l’homme.

Les écoles hellénistiques

L’épicurisme : bonheur et plaisir

Épicure (341-270 av. J.-C.) développe un eudémonisme hédoniste dans ses « Lettres » et ses « Maximes capitales ». Bien qu’il identifie bonheur et plaisir, sa conception est sophistiquée : le véritable plaisir consiste dans l’ataraxie (absence de trouble de l’âme) et l’aponie (absence de douleur du corps).

Épicure distingue les plaisirs nécessaires (nourriture, abri, amitié) des plaisirs vains (gloire, immortalité) et prône une sagesse du plaisir fondée sur le calcul rationnel. Cette éthique eudémoniste s’accompagne d’une physique atomiste qui libère l’homme des craintes métaphysiques.

Le stoïcisme : bonheur et vertu

Les stoïciens (Zénon, Épictète, Marc Aurèle, Sénèque) développent un eudémonisme rigoriste qui identifie complètement bonheur et vertu. Seule la vertu est un bien véritable, tous les autres prétendus biens (santé, richesse, réputation) étant « indifférents » par rapport au bonheur.

Le bonheur stoïcien consiste à vivre « selon la nature », c’est-à-dire selon la raison universelle (logos) qui gouverne le cosmos. Cette acceptation rationnelle de l’ordre du monde, y compris de ses aspects apparemment négatifs, constitue la sagesse et génère le bonheur parfait du sage.

Critiques et transformations

Les critiques chrétiennes

Le christianisme médiéval maintient une forme d’eudémonisme mais le transforme profondément. Saint Augustin et Saint Thomas d’Aquin reconnaissent que l’homme recherche naturellement le bonheur, mais ils situent le bonheur parfait dans la vision béatifique de Dieu dans l’au-delà.

Cette christianisation de l’eudémonisme introduit une tension entre bonheur terrestre (imparfait) et bonheur céleste (parfait), et subordonne l’éthique à la théologie.

Kant et la critique moderne

Emmanuel Kant (1724-1804) critique radicalement l’eudémonisme dans la « Critique de la raison pratique ». Il argue que le bonheur, concept empirique et subjectif, ne peut fonder une éthique universelle. L’impératif catégorique du devoir doit être indépendant de toute considération de bonheur.

Cependant, Kant maintient le bonheur comme élément du « souverain bien » (summum bonum) : la vertu mérite le bonheur, même si elle ne doit pas être motivée par lui. Cette tension entre devoir et bonheur caractérise la problématique éthique moderne.

Renaissance contemporaine

Le néo-aristotélisme

Depuis les années 1950, on assiste à un renouveau de l’éthique aristotélicienne des vertus avec des philosophes comme Elizabeth Anscombe, Philippa Foot, et Alasdair MacIntyre. Ces auteurs critiquent les éthiques déontologiques et conséquentialistes modernes et prônent un retour aux concepts de caractère, de vertu et de bonheur.

MacIntyre, dans « Après la vertu » (1981), diagnostique l’échec du projet moral moderne et propose de retrouver une conception téléologique de la vie humaine inspirée d’Aristote.

L’eudémonisme en psychologie positive

La psychologie positive contemporaine, initiée par Martin Seligman, développe des recherches empiriques sur le bonheur et le well-being qui renouent avec certains aspects de l’eudémonisme antique. Cette approche distingue le bonheur hédonique (plaisir) du bonheur eudémonique (réalisation de soi et accomplissement des potentialités).

Critiques contemporaines

L’eudémonisme contemporain fait face à diverses critiques : relativisme culturel du bonheur, individualisme supposé de cette éthique, difficulté à définir objectivement le bonheur humain, tension avec les exigences de la justice sociale.

Néanmoins, l’eudémonisme demeure une tradition éthique vivante qui continue d’inspirer les réflexions contemporaines sur la vie bonne, l’épanouissement humain et les fins de l’action morale.

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