Définition et étymologie
Le métalangage désigne un langage utilisé pour parler d’un autre langage, pour décrire, analyser ou expliciter les propriétés, la structure et le fonctionnement d’un système linguistique donné. Il s’agit d’un niveau d’abstraction supérieur qui permet de prendre le langage lui-même comme objet d’étude et de discours. Le métalangage se distingue du langage-objet (celui dont on parle) par sa fonction réflexive et descriptive.
Le terme « métalangage » est formé du préfixe grec « meta » (μετά) signifiant « au-delà de, après, avec » et du mot « langage ». Cette composition étymologique souligne l’idée d’un langage qui transcende ou englobe un autre langage, se situant à un niveau logique supérieur. Le préfixe « méta » indique une relation de second ordre, une perspective qui prend pour objet ce qui était initialement un moyen de description.
Cette notion, développée principalement au XXe siècle dans le contexte de la logique formelle et de la linguistique structurale, révèle la capacité réflexive du langage humain à se prendre lui-même pour objet. Le métalangage peut être explicite (vocabulaire technique spécialisé) ou implicite (usage ordinaire du langage naturel pour parler de lui-même).
Usage en philosophie
Origines en logique mathématique
Les premiers développements systématiques du concept de métalangage apparaissent dans la logique mathématique du début du XXe siècle. David Hilbert (1862-1943) introduit la distinction fondamentale entre mathématiques et métamathématiques dans son programme formaliste. La métamathématique utilise un métalangage pour étudier les propriétés des systèmes formels mathématiques : cohérence, complétude, décidabilité.
Alfred Tarski (1901-1983) développe cette approche dans sa théorie sémantique de la vérité. Il démontre que pour définir rigoureusement la notion de vérité dans un langage formel, il faut nécessairement recourir à un métalangage distinct et plus riche que le langage-objet étudié. Cette découverte révèle l’impossibilité pour un langage suffisamment expressif de contenir sa propre définition de la vérité sans tomber dans des paradoxes.
Le célèbre paradoxe du menteur (« Cette phrase est fausse ») illustre les difficultés qui surgissent lorsqu’un langage tente de se référer à lui-même sans distinction de niveaux. Tarski résout ce paradoxe en établissant une hiérarchie de métalangages, chaque niveau supérieur permettant de parler de la vérité du niveau inférieur.
Développements en philosophie du langage
Ludwig Wittgenstein (1889-1951) explore les relations complexes entre langage et métalangage dans ses deux périodes philosophiques. Dans le « Tractus logico-philosophicus », il distingue ce qui peut être dit (dans le langage) de ce qui ne peut qu’être montré (par le langage). Cette distinction préfigure les problèmes métalinguistiques ultérieurs.
Dans les « Investigations philosophiques », Wittgenstein développe sa théorie des jeux de langage qui révèle comment le langage ordinaire fonctionne déjà comme son propre métalangage. Les expressions comme « Je plaisante », « C’est une métaphore » ou « Je dis cela ironiquement » constituent des usages métalinguistiques naturels qui régulent la communication.
Rudolf Carnap (1891-1970) systématise la distinction entre mode matériel et mode formel du discours. Le mode matériel parle des objets du monde, tandis que le mode formel (métalinguistique) parle des expressions linguistiques. Cette distinction permet de clarifier de nombreuses confusions philosophiques qui résultent du mélange inapproprié de ces deux niveaux de discours.
Le structuralisme et la sémiologie
Ferdinand de Saussure (1857-1913) fonde la linguistique moderne en développant un métalangage scientifique pour décrire les langues naturelles. Ses concepts de signifiant/signifié, synchronie/diachronie, langue/parole constituent un métalangage qui permet d’analyser systématiquement les phénomènes linguistiques.
Roman Jakobson (1896-1982) identifie la fonction métalinguistique comme l’une des six fonctions fondamentales du langage. Cette fonction s’active lorsque le destinateur et/ou le destinataire vérifient qu’ils utilisent bien le même code linguistique. Elle se manifeste dans des questions comme « Que veux-tu dire ? » ou « Comprends-tu ce mot ? ».
Roland Barthes (1915-1980) étend l’analyse métalinguistique aux systèmes sémiologiques non-verbaux dans ses « Mythologies ». Il développe un métalangage critique pour déconstruire les systèmes de signification idéologiques cachés dans la culture de masse.
Philosophie analytique et théorie des actes de parole
John Austin (1911-1960) et John Searle développent la théorie des actes de parole qui révèle la dimension performative du langage. Leur métalangage technique (actes locutoires, illocutoires, perlocutoires) permet d’analyser comment le langage ne se contente pas de décrire la réalité mais la transforme par l’énonciation même.
Donald Davidson (1917-2003) développe une théorie de l’interprétation radicale qui pose la question : comment construire un métalangage permettant de comprendre un langage entièrement étranger ? Sa théorie de la vérité-condition révèle les présupposés métalinguistiques de toute compréhension linguistique.
Problèmes épistémologiques
Paul Feyerabend (1924-1994) critique l’idée d’un métalangage scientifique neutre et objectif. Selon lui, tout métalangage scientifique véhicule des présupposés théoriques qui orientent l’interprétation des phénomènes étudiés. Cette critique remet en question la possibilité d’un métalangage parfaitement transparent et universel.
Thomas Kuhn (1922-1996) analyse comment les changements de paradigmes scientifiques impliquent des transformations du métalangage utilisé pour décrire les phénomènes. L’incommensurabilité entre paradigmes révèle les limites de tout métalangage particulier et la relativité historique des vocabulaires scientifiques.
Herméneutique et métalangage
Hans-Georg Gadamer (1900-2002) développe une critique herméneutique de l’objectivation métalinguistique. Selon lui, la compréhension authentique ne peut se réduire à l’application d’un métalangage technique externe, mais implique une « fusion des horizons » où interprète et texte se transforment mutuellement.
Cette perspective soulève la question : le métalangage peut-il vraiment dominer son objet ou est-il toujours déjà pris dans un dialogue avec lui ? L’herméneutique révèle la circularité fondamentale de toute entreprise métalinguistique qui utilise nécessairement le langage pour parler du langage.
Développements contemporains
La philosophie contemporaine explore de nouvelles dimensions du métalangage avec l’essor de l’informatique et de l’intelligence artificielle. Les langages de programmation constituent des métalangages qui permettent de formaliser des procédures et des algorithmes, soulevant des questions sur les relations entre langage naturel et langage artificiel.
La pragmatique linguistique développe des métalangages sophistiqués pour analyser les phénomènes conversationnels : présuppositions, implicatures, actes de langage indirects. Ces développements révèlent la complexité des usages métalinguistiques implicites dans la communication ordinaire.
Enjeux philosophiques actuels
Le métalangage soulève des questions fondamentales sur la nature de la réflexivité humaine : qu’est-ce qui permet à l’homme de prendre du recul par rapport à son propre langage ? Cette capacité métalinguistique constitue-t-elle une spécificité anthropologique fondamentale ?
L’essor des sciences cognitives pose la question de l’existence de métalangages naturels dans l’esprit humain : comment le cerveau représente-t-il ses propres représentations linguistiques ? Cette question connecte la philosophie du langage aux neurosciences et à la psychologie cognitive.
Le métalangage demeure ainsi un concept central pour comprendre la nature réflexive de la pensée humaine et les conditions de possibilité de toute analyse rationnelle du langage et de la signification.