Définition et étymologie
L’égoïsme désigne la tendance naturelle ou cultivée d’un individu à privilégier ses propres intérêts, besoins et désirs par rapport à ceux d’autrui. Ce terme, formé à partir du pronom latin ego (moi) et du suffixe -isme, fut popularisé au XVIIIe siècle, bien que le concept soit aussi ancien que la réflexion morale elle-même.
L’égoïsme se manifeste par une préoccupation exclusive ou dominante pour soi-même, ses plaisirs, son bien-être, sa réussite ou sa survie, souvent au détriment des considérations altruistes. Il convient de distinguer l’égoïsme de l’amour-propre légitime ou de l’instinct de conservation, qui constituent des mécanismes naturels et nécessaires à l’épanouissement personnel.
L’égoïsme dans la pensée philosophique
Les origines antiques
Dès l’Antiquité, les philosophes s’interrogent sur la nature égoïste de l’homme. Platon, dans La République, évoque la tension entre les désirs individuels et le bien commun, suggérant que l’injustice naît précisément de la recherche exclusive de son propre avantage. Les sophistes, notamment Thrasymaque, défendent quant à eux une vision plus cynique selon laquelle la justice n’est que l’intérêt du plus fort.
Aristote nuance cette approche en distinguant différentes formes d’amour de soi dans l’Éthique à Nicomaque. Il reconnaît qu’un certain égoïsme peut être vertueux lorsqu’il pousse l’individu à cultiver ses excellences morales et intellectuelles, bénéficiant ainsi indirectement à la communauté.
L’égoïsme psychologique et éthique
La philosophie moderne opère une distinction fondamentale entre l’égoïsme psychologique et l’égoïsme éthique. Le premier constitue une théorie descriptive selon laquelle tous les actes humains sont ultimement motivés par l’intérêt personnel, même lorsqu’ils paraissent altruistes. Le second représente une doctrine normative qui prescrit la poursuite de son propre intérêt comme règle morale.
Thomas Hobbes, dans le Léviathan, développe une anthropologie fondée sur l’égoïsme psychologique. Selon lui, l’état de nature révèle la véritable essence humaine : une guerre de tous contre tous motivée par la recherche exclusive de son avantage personnel. Cette vision pessimiste justifie la nécessité d’un contrat social et d’un pouvoir souverain pour réguler les appétits égoïstes.
L’égoïsme rationnel
Ayn Rand, philosophe du XXe siècle, défend un « égoïsme rationnel » dans sa philosophie objectiviste. Elle argue que la poursuite rationnelle de son propre bonheur constitue non seulement un droit inaliénable, mais également un devoir moral. Cette perspective rejette tant l’altruisme sacrificiel que l’égoïsme irrationnel, prônant instead un individualisme éclairé.
Critiques et limites
Immanuel Kant s’oppose fermement à l’égoïsme dans sa philosophie morale. L’impératif catégorique kantien exige que nos actions puissent être universalisées, ce qui exclut l’égoïsme pur. Pour Kant, agir moralement implique de traiter autrui toujours comme une fin en soi, jamais seulement comme un moyen.
Adam Smith, souvent mal interprété comme défenseur de l’égoïsme économique, développe en réalité une théorie plus nuancée dans la Théorie des sentiments moraux. Il montre comment la sympathie naturelle entre les hommes tempère l’égoïsme et permet l’émergence de jugements moraux impartiaux.
Égoïsme et altruisme : une fausse opposition ?
Certains philosophes contemporains remettent en question l’opposition traditionnelle entre égoïsme et altruisme. Derek Parfit démontre que nos intuitions concernant l’identité personnelle, une fois clarifiées, peuvent dissoudre cette dichotomie apparente. Si le « soi » futur n’est pas identique au « soi » présent, la distinction entre intérêt personnel et intérêt d’autrui s’estompe.
Conclusion
L’égoïsme demeure un concept central de la réflexion éthique et politique. Loin d’être simplement condamnable, il soulève des questions fondamentales sur la nature humaine, la motivation morale et l’organisation sociale. La philosophie moderne tend vers une compréhension plus nuancée, reconnaissant que certaines formes d’égoïsme peuvent être compatibles avec, voire nécessaires à, une vie éthique accomplie.