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Table of Contents
  1. Définition et étymologie
  2. Le dualisme dans la tradition philosophique antique
    1. Dualisme platonicien
    2. Dualisme gnostique et manichéen
  3. Le dualisme cartésien et ses développements
    1. Descartes et le dualisme substance
    2. Occasionnalisme et parallelisme
  4. Critiques modernes et contemporaines du dualisme
    1. L’empirisme britannique
    2. Kant et le dualisme critique
    3. Philosophie de l’esprit contemporaine
    4. Critiques matérialistes
  5. Conclusion
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Dualisme

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Définition et étymologie

Le dualisme désigne toute doctrine philosophique qui postule l’existence de deux principes ou substances irréductibles l’un à l’autre pour expliquer la réalité. Le terme, formé à partir du latin duo (deux) et du suffixe -isme, fut popularisé au XVIIe siècle, bien que les conceptions dualistes traversent l’ensemble de l’histoire philosophique.

Le dualisme se caractérise par la thèse selon laquelle la réalité ultime ne peut être ramenée à un principe unique (monisme) mais nécessite la reconnaissance de deux ordres d’être fondamentalement distincts et irréductibles. Cette opposition peut concerner différents domaines : métaphysique (esprit/matière), épistémologique (sensible/intelligible), moral (bien/mal), ou cosmologique (ordre/chaos).

La forme la plus célèbre et influente du dualisme est le dualisme substance qui distingue radicalement l’âme ou l’esprit (res cogitans) de la matière ou le corps (res extensa). Cette conception soulève le problème central de leur interaction : comment deux substances de nature différente peuvent-elles influencer l’une sur l’autre ?

Le dualisme dans la tradition philosophique antique

Dualisme platonicien

Platon (428-348 av. J.-C.) développe un dualisme ontologique et épistémologique fondamental entre le monde sensible et le monde intelligible. Le premier, caractérisé par le devenir, l’imperfection et l’illusion, ne constitue qu’une copie défaillante du second, domaine des Idées éternelles, parfaites et véritables.

Cette dualité se reflète dans l’anthropologie platonicienne : l’âme immortelle, apparentée aux Idées, se trouve emprisonnée dans un corps matériel qui l’entrave dans sa quête de connaissance. Le Phédon présente le corps comme le « tombeau de l’âme » (sôma-sêma), développant une conception dualiste qui influence durablement la pensée occidentale.

L’allégorie de la caverne dans la République illustre parfaitement ce dualisme épistémologique : les prisonniers enchaînés dans la caverne sensible doivent s’élever dialectiquement vers la lumière intelligible du Bien. Cette ascension révèle l’opposition irréductible entre opinion (doxa) et science (epistêmê).

Dualisme gnostique et manichéen

Les doctrines gnostiques des premiers siècles chrétiens radicalisent le dualisme platonicien en opposant un Dieu bon, créateur du monde spirituel, à un démiurge mauvais, responsable de la création matérielle. Cette gnose dualiste présente l’existence terrestre comme une chute et la salvation comme un retour à la patrie spirituelle originelle.

Manès (216-274) systématise ce dualisme dans le manichéisme qui oppose deux principes éternels et coégaux : la Lumière (Bien, Esprit) et les Ténèbres (Mal, Matière). L’histoire cosmique et humaine résulte de leur combat perpétuel, l’objectif étant la séparation finale et définitive de ces deux substances mélangées.

Cette conception influence saint Augustin avant sa conversion au christianisme, et continue d’inspirer diverses hérésies médiévales (cathares, bogomiles) qui maintiennent un dualisme radical malgré les condamnations ecclésiastiques.

Le dualisme cartésien et ses développements

Descartes et le dualisme substance

René Descartes (1596-1650) établit dans les Méditations métaphysiques (1641) le dualisme moderne le plus influent en distinguant deux substances créées : la substance pensante (res cogitans) et la substance étendue (res extensa). Cette distinction se fonde sur la clarté et distinction des idées respectives : l’âme est indivisible, inétendue et immortelle, tandis que le corps est divisible, étendu et mortel.

Le dualisme cartésien résout le problème de la certitude en fondant l’évidence du cogito sur l’intuition immédiate de la pensée, tout en garantissant l’objectivité de la science physique par l’analyse géométrique de l’étendue. Cette solution élégante soulève néanmoins le redoutable problème de l’interaction : comment l’âme immatérielle peut-elle mouvoir le corps matériel ?

Descartes propose la glande pinéale comme siège de l’interaction psychosomatique, solution qui satisfait peu ses successeurs et génère de nombreuses critiques. Élisabeth de Bohême soulève dès 1643 l’objection fondamentale : comment concevoir l’action réciproque de substances définies par des attributs exclusifs ?

Occasionnalisme et parallelisme

Nicolas Malebranche (1638-1715) résout le problème par l’occasionnalisme : Dieu seul agit véritablement, les créatures n’étant que des « causes occasionnelles » de l’intervention divine. Chaque volition de l’âme constitue l’occasion pour Dieu de mouvoir le corps correspondant, préservant ainsi la distinction des substances tout en expliquant leur coordination.

Baruch Spinoza (1632-1677) critique radicalement le dualisme cartésien dans l’Éthique (1677). Selon lui, la pensée et l’étendue ne sont pas deux substances distinctes mais deux attributs d’une substance unique. Cette solution moniste élimine le problème de l’interaction en affirmant le parallélisme : « L’ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l’ordre et la connexion des choses. »

Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) développe une solution différente avec l’harmonie préétablie : les monades (substances simples) n’interagissent jamais directement, mais Dieu a programmé leur développement de sorte qu’elles s’accordent parfaitement, comme des horloges synchronisées. Cette conception préserve la pluralité substantielle tout en éliminant l’interaction causale.

Critiques modernes et contemporaines du dualisme

L’empirisme britannique

David Hume (1711-1776) critique le dualisme en montrant l’impossibilité d’observer empiriquement une substance mentale permanente. Dans le Traité de la nature humaine (1739-1740), il réduit le moi à un « faisceau de perceptions » sans substrat substantiel, sapant ainsi l’un des piliers du dualisme cartésien.

Thomas Hobbes avait déjà développé un matérialisme mécaniste qui nie l’existence d’substances immatérielles. Selon lui, la pensée résulte de mouvements dans la matière cérébrale, position qui annonce les théories physiologiques contemporaines de l’esprit.

Kant et le dualisme critique

Immanuel Kant (1724-1804) transforme radicalement le dualisme en distinguant le domaine phénoménal (accessible à la connaissance scientifique) du domaine nouménal (inconnaissable théoriquement mais postulé pratiquement). Cette révolution critique évite les apories du dualisme substance tout en préservant la spécificité de la raison pratique et du jugement esthétique.

Le dualisme kantien n’oppose plus deux substances mais deux usages de la raison : théorique (déterminisme causal) et pratique (liberté morale). Cette solution influence durablement la philosophie moderne en ouvrant la voie aux néo-kantismes et aux phénoménologies.

Philosophie de l’esprit contemporaine

La philosophie analytique contemporaine renouvelle les débats sur le dualisme à travers le problème corps-esprit (mind-body problem). Gilbert Ryle critique dans The Concept of Mind (1949) le « fantôme dans la machine » cartésien, montrant les confusions catégorielles du dualisme traditionnel.

Cependant, des philosophes comme David Chalmers défendent un dualisme des propriétés qui reconnaît l’irréductibilité des propriétés phénoménales de la conscience aux propriétés physiques, tout en maintenant un monisme substantiel. Cette position tente de résoudre le « problème difficile de la conscience » sans revenir au dualisme substance.

Frank Jackson propose l’argument de Mary la scientifique (1982) pour défendre le dualisme : une scientifique qui connaît tous les faits physiques sur la couleur mais n’a jamais vu de couleur apprend-elle quelque chose de nouveau en voyant du rouge pour la première fois ? Cet argument suscite de nombreuses controverses sur la nature des qualia et leur réductibilité.

Critiques matérialistes

Le matérialisme éliminativiste de Paul et Patricia Churchland considère que les concepts mentaux du sens commun (croyances, désirs, sensations) disparaîtront avec le progrès des neurosciences, comme ont disparu les concepts d’humeurs corporelles en médecine.

La théorie de l’identité défendue par J.J.C. Smart et U.T. Place identifie purement et simplement les états mentaux aux états cérébraux, éliminant ainsi le dualisme par réduction ontologique.

Conclusion

Le dualisme, sous ses diverses formes, exprime une intuition persistante sur l’irréductibilité de certaines dimensions de l’expérience humaine. Bien que les dualismes substance traditionnels soient largement abandonnés, les questions qu’ils soulèvent – nature de la conscience, rapport à la corporéité, spécificité de la raison – demeurent centrales dans les débats philosophiques contemporains. Le dualisme continue ainsi de stimuler la réflexion, même chez ceux qui le rejettent, témoignant de sa fécondité conceptuelle durable.

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