Définition et étymologie
La démocratie désigne un système politique dans lequel le pouvoir appartient au peuple, qui l’exerce soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants élus. Le terme provient du grec ancien dêmokratia, composé de dêmos (le peuple, la communauté des citoyens) et kratos (le pouvoir, la force, la domination). Cette étymologie révèle immédiatement la tension fondamentale du concept : comment un ensemble d’individus peut-il exercer collectivement le pouvoir ?
Au-delà de sa dimension institutionnelle, la démocratie renvoie à un idéal d’égalité politique et de participation citoyenne. Elle suppose que tous les membres de la communauté politique disposent d’une voix égale dans les décisions qui les concernent, principe qui entre souvent en tension avec les inégalités sociales, économiques ou culturelles réelles.
La démocratie en philosophie politique
Les origines grecques : Platon et Aristote
La réflexion philosophique sur la démocratie naît dans la Grèce antique, berceau de la première expérience démocratique connue avec Athènes. Paradoxalement, les plus grands philosophes grecs se montrent critiques envers ce régime.
Platon, dans La République, développe une critique sévère de la démocratie. Il la classe parmi les régimes dégénérés, juste avant la tyrannie. Selon lui, la démocratie athénienne souffre de plusieurs maux : elle confond liberté et licence, égalité arithmétique et égalité géométrique, et surtout, elle confie le pouvoir à la multitude ignorante plutôt qu’aux philosophes-rois, seuls véritablement compétents pour gouverner. La célèbre allégorie du navire illustre cette critique : on ne confierait pas la direction d’un navire au premier venu, pourquoi confier la direction de la cité au peuple ?
Aristote, dans Les Politiques, adopte une approche plus nuancée. Il distingue les formes pures et corrompues de gouvernement : la démocratie (gouvernement du grand nombre dans l’intérêt général) et la démagogie (gouvernement du grand nombre dans son intérêt particulier). Il reconnaît certaines vertus au régime démocratique, notamment la sagesse collective qui peut émerger de la délibération commune, tout en soulignant ses risques de dérive vers l’ochlocratie (gouvernement de la foule).
La renaissance de l’idéal démocratique : Rousseau
Après une longue éclipse durant l’époque médiévale, la démocratie renaît comme idéal politique avec les Lumières. Jean-Jacques Rousseau, dans Du contrat social (1762), révolutionne la pensée démocratique en fondant la légitimité politique sur la volonté générale.
Pour Rousseau, la souveraineté appartient inaliénablement au peuple. Le contrat social transforme la multitude en corps politique uni par la volonté générale, distincte de la simple somme des volontés particulières. Cette conception pose les bases de la démocratie moderne tout en révélant ses difficultés : comment identifier la volonté générale ? Comment éviter que les factions particulières ne la corrompent ?
Rousseau demeure pessimiste sur la possibilité d’une véritable démocratie : « S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes. » Cette formule souligne l’exigence morale et intellectuelle que suppose l’exercice démocratique du pouvoir.
Tocqueville et l’analyse de la démocratie moderne
Alexis de Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique (1835-1840), propose la première analyse sociologique approfondie d’une société démocratique. Il identifie la démocratie non seulement comme un régime politique, mais comme un état social caractérisé par l’égalité des conditions.
Tocqueville met en lumière les tensions internes de la démocratie moderne : entre liberté et égalité, entre individualisme et participation citoyenne, entre pouvoir de la majorité et protection des minorités. Il redoute particulièrement la « tyrannie de la majorité » et l’individualisme démocratique qui pourrait conduire au « despotisme doux » d’un État tutélaire.
Mill et la démocratie libérale
John Stuart Mill, dans De la liberté (1859) et Considérations sur le gouvernement représentatif (1861), développe une conception libérale de la démocratie. Il cherche à concilier le principe démocratique avec la protection des libertés individuelles et la qualité du gouvernement.
Mill propose plusieurs innovations : le vote plural (donnant plus de voix aux plus éduqués), la représentation proportionnelle, et surtout l’élargissement du suffrage aux femmes. Il défend l’idée que la participation démocratique a une vertu éducatrice, développant les facultés intellectuelles et morales des citoyens.
Les critiques contemporaines
Le XXe siècle voit émerger de nouvelles critiques de la démocratie. Carl Schmitt dénonce la « parlementarisme » libéral et oppose à la démocratie formelle une conception substantielle fondée sur l’homogénéité du peuple. Cette critique, bien que compromise par son engagement nazi, soulève des questions importantes sur les limites du pluralisme démocratique.
Joseph Schumpeter, dans Capitalisme, socialisme et démocratie (1942), propose une conception minimaliste et réaliste de la démocratie comme méthode de sélection des dirigeants par la concurrence électorale, abandonnant l’idéal de souveraineté populaire.
Plus récemment, les théories délibératives de Jürgen Habermas cherchent à renouveler l’idéal démocratique en mettant l’accent sur la qualité de la discussion publique et la formation rationnelle de la volonté collective.
Enjeux contemporains
La philosophie politique contemporaine interroge les mutations de la démocratie face aux défis de la mondialisation, des inégalités croissantes et de la complexité technique des décisions politiques. Les questions de la démocratie participative, de la démocratie numérique, et de la gouvernance globale renouvellent les termes du débat philosophique sur ce régime qui demeure, selon la formule churchillienne, « le pire système à l’exception de tous les autres ».