Définition
La conscience désigne à la fois la capacité de se représenter le monde et de se rapporter à soi-même, et la faculté de distinguer le bien du mal. Du latin conscientia (connaissance partagée, témoignage intérieur), cette notion articule deux dimensions : la conscience psychologique (awareness) qui rend possible l’expérience subjective, et la conscience morale qui guide l’action éthique.
La conscience constitue l’un des mystères les plus profonds de la philosophie, interrogeant la nature de la subjectivité, de la connaissance de soi et de la responsabilité morale.
Les Origines Antiques
Les Présocratiques et l’Âme
Héraclite évoque l’âme comme principe de connaissance : « Les limites de l’âme, tu ne saurais les découvrir en allant, même si tu parcourais tous les chemins : si profond est son logos. »
Socrate et la Connaissance de Soi
Socrate inaugure la réflexion sur la conscience par son exigence de connaissance de soi. Le « connais-toi toi-même » (gnothi seauton) révèle la dimension réflexive de la conscience.
Le Démon de Socrate
Socrate évoque son daimonion, voix intérieure qui l’avertit du mal : première formulation de la conscience morale comme guide de l’action.
Aristote et la Conscience Perceptive
Aristote analyse dans le De l’âme la conscience comme perception de la perception (aisthesis aisthesis).
Le Sens Commun
Le sensus communis unifie les données sensorielles et permet la conscience de percevoir : « Nous percevons que nous voyons et que nous entendons. »
La Réflexion Intellectuelle
L’intellect se pense lui-même : « La pensée de la pensée » (noesis noeseos) constitue l’activité propre de l’intellect divin.
La Conscience Chrétienne
Saint Paul et la Conscience Morale
Saint Paul développe dans l’Épître aux Romains la notion de syneidesis : conscience morale qui témoigne intérieurement de la loi.
La Loi Écrite dans les Cœurs
Paul montre que même les païens possèdent une conscience morale naturelle : « Ils montrent que l’œuvre de la loi est écrite dans leurs cœurs, leur conscience en rendant témoignage. »
Augustin et l’Intériorité
Saint Augustin développe dans les Confessions la première analyse systématique de la conscience comme intériorité.
La Découverte de l’Intériorité
« Ne va pas au-dehors, rentre en toi-même : c’est dans l’homme intérieur qu’habite la vérité. » Augustin découvre la conscience comme espace intérieur privilégié.
La Mémoire et l’Identité
Augustin analyse la mémoire comme « vaste palais de l’esprit » qui constitue l’identité personnelle et rend possible la conscience de soi.
La Conscience Morale
Le poids du péché révèle la conscience morale comme juge intérieur qui condamne ou approuve nos actes.
Thomas d’Aquin et la Synderesis
Thomas d’Aquin systématise la doctrine de la conscience morale dans la Somme théologique.
La Synderesis
Habitus naturel des premiers principes pratiques : « Il faut faire le bien et éviter le mal. » Cette conscience fondamentale ne peut errer.
La Conscience (Conscientia)
Application de la synderesis aux actes particuliers par le jugement prudentiel. Cette conscience peut errer mais demeure normative.
L’Obligation de Suivre sa Conscience
Thomas établit que nous devons toujours suivre notre conscience, même erronée, car la violer serait toujours mal.
Descartes et la Conscience Réflexive
René Descartes révolutionne la conception de la conscience dans les Méditations métaphysiques.
Le Cogito et la Conscience de Soi
« Je pense, donc je suis » révèle la conscience comme certitude première et fondement de toute connaissance.
L’Évidence de la Conscience
La conscience de penser s’impose avec une évidence irrésistible qui résiste au doute hyperbolique.
La Substance Pensante
Descartes identifie l’essence de l’âme à la pensée : « Je ne suis donc, précisément parlant, qu’une chose qui pense. »
Les Modes de la Pensée
Descartes énumère les modes de la conscience : douter, concevoir, affirmer, nier, vouloir, ne vouloir pas, imaginer, sentir.
La Transparence de la Conscience
Pour Descartes, la conscience est transparente à elle-même : nous connaissons immédiatement et parfaitement nos états mentaux.
Locke et la Conscience Empirique
John Locke développe dans l’Essai sur l’entendement humain une conception empiriste de la conscience.
La Conscience et l’Identité Personnelle
Locke identifie l’identité personnelle à la continuité de la conscience : « La personne s’étend aussi loin que cette conscience peut s’étendre rétrospectivement. »
Le Rôle de la Mémoire
La mémoire assure la continuité de la conscience et constitue l’identité personnelle à travers le temps.
La Réflexion
Locke distingue sensation (conscience du monde extérieur) et réflexion (conscience de nos propres opérations mentales).
Leibniz et les Petites Perceptions
Gottfried Wilhelm Leibniz nuance l’approche cartésienne dans les Nouveaux Essais.
L’Inconscient
Leibniz distingue perception et aperception : nous avons des perceptions inconscientes (« petites perceptions ») qui influencent notre conscience.
L’Exemple du Bruit de la Mer
Nous entendons le bruit de chaque vague sans en être conscients, mais leur somme produit le bruit conscient de la mer.
Les Degrés de Conscience
Leibniz hiérarchise : perception simple, aperception (conscience), réflexion (conscience de la conscience).
Kant et la Conscience Transcendantale
Emmanuel Kant transforme la notion de conscience dans la Critique de la raison pure.
L’Aperception Transcendantale
« Le : Je pense, doit pouvoir accompagner toutes mes représentations » : condition formelle de l’unité de l’expérience.
La Synthèse Transcendantale
La conscience transcendantale unifie la diversité des représentations en une expérience cohérente.
La Conscience Empirique
Kant distingue l’aperception transcendantale (condition formelle) de la conscience empirique (contenu variable).
La Conscience Morale
Dans la Critique de la raison pratique, Kant analyse la conscience morale comme « tribunal intérieur » qui juge nos actions.
Le Fait de la Raison
La loi morale s’impose à la conscience comme « fait de la raison » indémontrable mais indéniable.
Hegel et la Conscience de Soi
Georg Wilhelm Friedrich Hegel dialectise la conscience dans la Phénoménologie de l’esprit.
Les Figures de la Conscience
Hegel retrace l’odyssée de la conscience : conscience sensible, perception, entendement, conscience de soi, raison, esprit.
La Dialectique de la Reconnaissance
La conscience de soi ne peut se constituer que par la reconnaissance mutuelle : « Une conscience de soi est pour une conscience de soi. »
La Lutte pour la Reconnaissance
La célèbre dialectique du maître et de l’esclave montre que la conscience de soi implique nécessairement l’intersubjectivité.
La Conscience Malheureuse
Hegel analyse la conscience malheureuse comme figure de la conscience divisée contre elle-même, cherchant l’absolu dans l’au-delà.
Schopenhauer et la Volonté
Arthur Schopenhauer développe dans Le Monde comme volonté et représentation une métaphysique de la conscience.
La Conscience comme Représentation
La conscience ordinaire ne connaît que des représentations organisées par les formes a priori : espace, temps, causalité.
L’Accès à la Volonté
Par le corps, nous avons un accès privilégié à la chose en soi comme Volonté aveugle et irrationnelle.
La Conscience Pure
L’art et l’ascèse permettent l’accès à une conscience pure, libérée momentanément de la Volonté.
Kierkegaard et l’Angoisse
Søren Kierkegaard analyse dans Le Concept d’angoisse la conscience comme liberté angoissée.
L’Angoisse de la Liberté
L’angoisse révèle la conscience de la liberté face au possible : « L’angoisse est le vertige de la liberté. »
La Conscience Malheureuse
Kierkegaard reprend et approfondit la figure hégélienne de la conscience malheureuse comme structure existentielle permanente.
Nietzsche et la Critique de la Conscience
Friedrich Nietzsche développe une critique généalogique de la conscience dans La Généalogie de la morale.
La Conscience comme Construction
La conscience morale résulte d’un processus historique de dressage qui intériorise la contrainte sociale.
La Mauvaise Conscience
La « mauvaise conscience » naît du refoulement des instincts agressifs qui se retournent contre le sujet.
L’Inconscient des Valeurs
Nietzsche révèle les motivations inconscientes qui sous-tendent nos prétendus jugements de conscience.
Freud et l’Inconscient
Sigmund Freud révolutionne la conception de la conscience par la découverte de l’inconscient.
La Topique Freudienne
Freud distingue inconscient, préconscient et conscient, révélant que la conscience n’est qu’une petite partie de la vie psychique.
Le Moi, le Ça et le Surmoi
La seconde topique (1920) montre que la conscience du Moi est constamment travaillée par les forces inconscientes du Ça et du Surmoi.
Les Mécanismes Inconscients
Refoulement, condensation, déplacement : autant de processus inconscients qui influencent la conscience.
La Conscience Morale et le Surmoi
Freud analyse la conscience morale comme formation du Surmoi par intériorisation des interdits parentaux.
Husserl et la Conscience Intentionnelle
Edmund Husserl renouvelle l’analyse de la conscience par la phénoménologie dans les Recherches logiques.
L’Intentionnalité
« Toute conscience est conscience de quelque chose » : structure fondamentale qui distingue le psychique du physique.
Les Types d’Actes Intentionnels
Husserl analyse perception, souvenir, imagination, jugement comme modalités de l’intentionnalité.
L’Ego Transcendantal
Dans les Méditations cartésiennes, Husserl découvre l’ego transcendantal comme pôle de tous les actes intentionnels.
La Conscience du Temps
Husserl analyse la structure temporelle de la conscience : rétention, impression originaire, protention.
Heidegger et l’Être-là
Martin Heidegger critique la tradition de la conscience dans Être et Temps.
Au-delà de la Conscience
Heidegger remplace la conscience par le Dasein (être-là) comme être-au-monde originel.
L’Angoisse Ontologique
L’angoisse révèle la structure fondamentale du Dasein comme être-vers-la-mort et projet jeté.
La Voix de la Conscience
Heidegger réinterprète la conscience morale comme « voix de la conscience » qui rappelle le Dasein à son authenticité.
Sartre et la Conscience Néantisante
Jean-Paul Sartre développe dans L’Être et le Néant une ontologie de la conscience.
La Conscience comme Néant
La conscience n’est pas être positif mais « néant qui néantise » : elle introduit la négation dans l’être.
La Conscience Non-Thétique
Sartre distingue conscience thétique (positionnelle) et conscience non-thétique (de) soi, fondement de toute conscience réflexive.
La Mauvaise Foi
La conscience peut se mentir à elle-même par « mauvaise foi » : tentative impossible de fuir sa liberté.
Merleau-Ponty et la Conscience Incarnée
Maurice Merleau-Ponty critique l’intellectualisme de la conscience dans la Phénoménologie de la perception.
La Conscience Perceptuelle
La conscience est d’abord corps percevant en prise directe sur le monde, non pure pensée désincarnée.
Le Chiasme
Dans Le Visible et l’Invisible, Merleau-Ponty développe l’idée de « chiasme » : entrelacement originaire de la conscience et du monde.
Les Sciences Cognitives
L’Approche Computationnelle
Les sciences cognitives modélisent la conscience comme traitement d’information par des processus computationnels.
Dennett et les Qualia
Daniel Dennett nie l’existence des qualia (qualités subjectives) et propose une conception déflationniste de la conscience.
Chalmers et le Problème Difficile
David Chalmers distingue le « problème facile » (fonctions cognitives) du « problème difficile » (expérience subjective) de la conscience.
Les Théories Contemporaines
Théorie de l’Information Intégrée (IIT)
Giulio Tononi propose que la conscience correspond à l’information intégrée dans un système.
Théorie de l’Espace de Travail Global
Stanislas Dehaene modélise la conscience comme diffusion d’information dans un « espace de travail global » cérébral.
Théorie de l’Attention et de la Conscience
Michael Graziano propose que la conscience soit un modèle de l’attention développé par le cerveau.
Débats Contemporains
La Conscience Artificielle
L’intelligence artificielle peut-elle développer une vraie conscience ou seulement la simuler ?
Les Niveaux de Conscience
Comment articuler conscience phénoménale, conscience d’accès et conscience réflexive ?
L’Unité de la Conscience
Comment expliquer l’unité de l’expérience consciente malgré la modularité du cerveau ?
La Conscience et l’Identité
Quel est le rapport entre conscience et identité personnelle ? La conscience suffit-elle à définir la personne ?
Types de Conscience
Conscience Phénoménale
L’aspect qualitatif de l’expérience : « comment c’est » de voir du rouge ou d’éprouver de la douleur.
Conscience d’Accès
L’information disponible pour le raisonnement, le rapport et l’action.
Conscience Réflexive
La capacité de prendre sa propre conscience comme objet de conscience.
Conscience Morale
La faculté de distinguer le bien du mal et de juger ses propres actions.
La conscience demeure l’une des énigmes les plus fascinantes de la philosophie et des sciences. Elle articule subjectivité et objectivité, intériorité et monde, expérience et connaissance, révélant la complexité irréductible de la condition humaine entre nature et culture, déterminisme et liberté.
