Définition
Le concept désigne une représentation mentale générale et abstraite qui saisit les caractères essentiels d’une classe d’objets. Du latin conceptus (conception, idée), le concept permet de penser l’universel dans le particulier en subsumant une multiplicité d’individus sous une unité de sens.
Le concept constitue l’unité de base de la pensée rationnelle qui organise l’expérience en catégories intelligibles et rend possible la communication du savoir.
Les Origines Antiques
Socrate et la Définition
Socrate inaugure la recherche conceptuelle par sa quête de définitions universelles. Ses questions « Qu’est-ce que la justice ? », « Qu’est-ce que le courage ? » visent à dégager le concept universel au-delà des cas particuliers.
La Méthode Socratique
L’ironie socratique révèle l’inadéquation des définitions empiriques et oriente vers l’essence conceptuelle stable.
Platon et les Idées
Platon développe la théorie des Idées comme concepts ontologiquement autonomes dans le Ménon, le Phédon et la République.
L’Idée comme Concept Parfait
L’Idée de Justice, de Beauté ou d’Égalité constitue le concept pur dont les réalisations sensibles ne sont que des participations imparfaites.
La Dialectique Conceptuelle
La dialectique platonicienne s’élève des concepts sensibles vers les concepts purs par divisions et synthèses successives.
L’Innéisme Conceptuel
La théorie de la réminiscence explique la formation des concepts par ressouvenir d’une connaissance antérieure à l’incarnation.
Aristote et l’Abstraction
Aristote développe une théorie empiriste de la formation des concepts dans les Seconds Analytiques et le De l’âme.
L’Abstraction Intellectuelle
L’intellect agent abstrait l’universel du particulier par un processus d’épuration progressive qui dégage la forme essentielle.
Concept et Définition
Le concept s’exprime dans la définition qui énonce le genre prochain et la différence spécifique : « L’homme est un animal raisonnable. »
Les Prédicables
Aristote distingue cinq prédicables qui organisent les rapports conceptuels : genre, espèce, différence, propre, accident.
La Syllogistique
Les concepts s’articulent dans le raisonnement syllogistique qui manifeste les relations logiques entre universaux.
La Scolastique et l’Elaboration Conceptuelle
Thomas d’Aquin et l’Espèce Intelligible
Thomas d’Aquin développe dans la Somme théologique une théorie de l’espèce intelligible comme concept mental.
L’Illumination de l’Intellect Agent
L’intellect agent illumine les phantasmes sensibles pour en extraire l’espèce intelligible universelle.
Concept et Verbe Mental
Le concept est « verbe mental » (verbum mentis) par lequel l’intellect se dit à lui-même l’essence des choses.
L’Intention Seconde
Thomas distingue les intentions premières (concepts d’objets) des intentions secondes (concepts de concepts) qui fondent la logique.
Guillaume d’Ockham et le Nominalisme
Guillaume d’Ockham révolutionne la théorie des concepts par sa critique nominaliste des universaux.
Les Universaux comme Concepts
Seuls existent les individus singuliers. Les universaux ne sont que des concepts mentaux (conceptus mentalis) sans réalité extramentale.
La Théorie de la Supposition
Ockham développe une sémantique qui distingue supposition personnelle (pour les individus) et supposition simple (pour les concepts).
Le Rasoir d’Ockham
Le principe de parcimonie (« ne pas multiplier les entités sans nécessité ») élimine les concepts superflus et privilégie l’économie théorique.
Descartes et les Idées Innées
René Descartes transforme la problématique en théorie des idées dans les Méditations métaphysiques.
Les Trois Types d’Idées
Idées Innées
Idées présentes naturellement dans l’esprit : Dieu, âme, étendue, nombre. Ces concepts fondamentaux structurent la connaissance.
Idées Adventices
Idées provenant de l’expérience sensible, souvent confuses et inadéquates.
Idées Factices
Idées construites par l’imagination en combinant des éléments simples.
La Clarté et la Distinction
Descartes établit comme critère de vérité la clarté et la distinction des idées, fondant l’évidence conceptuelle sur l’intuition rationnelle.
Locke et l’Empirisme Conceptuel
John Locke développe dans l’Essai sur l’entendement humain une conception empiriste de la formation des concepts.
La Tabula Rasa
L’esprit naît vide de toute idée innée. Tous les concepts dérivent de l’expérience par sensation et réflexion.
Les Idées Simples et Complexes
Idées Simples
Éléments conceptuels indécomposables fournis directement par les sens : rouge, dur, chaud.
Idées Complexes
Concepts construits par l’esprit en combinant, comparant et abstraisant les idées simples : substance, mode, relation.
L’Abstraction
Locke explique la formation des concepts généraux par abstraction : l’esprit retient les ressemblances et néglige les différences particulières.
L’Essence Nominale
Les concepts ne révèlent que des « essences nominales » (définitions conventionnelles) non des « essences réelles » inaccessibles.
Berkeley et l’Idéalisme Conceptuel
George Berkeley radicalise l’empirisme dans les Principes de la connaissance humaine.
La Critique de l’Abstraction
Berkeley critique la théorie lockienne de l’abstraction : il est impossible de concevoir un triangle qui ne soit ni scalène, ni isocèle, ni équilatéral.
Les Idées Générales
Les concepts généraux ne sont que des idées particulières utilisées comme signes représentatifs d’une classe.
L’Immatérialisme
Berkeley élimine le concept de matière comme « abstraction » illégitime : « esse est percipi » (être c’est être perçu).
Hume et le Scepticisme Conceptuel
David Hume pousse la critique empiriste dans le Traité de la nature humaine.
Les Idées Simples et Complexes
Hume reprend la distinction lockienne mais montre l’impossibilité de concepts sans impressions correspondantes.
La Critique de la Causalité
Le concept de causalité ne correspond à aucune impression : nous n’observons que des successions, jamais des connexions nécessaires.
L’Association des Idées
Les concepts complexes se forment par association des idées selon les lois de ressemblance, contiguïté et causalité.
Kant et la Révolution Conceptuelle
Emmanuel Kant transforme radicalement la théorie des concepts dans la Critique de la raison pure.
Concepts Empiriques et Purs
Concepts Empiriques
Concepts tirés de l’expérience par comparaison, réflexion et abstraction : chien, rouge, maison.
Concepts Purs (Catégories)
Concepts a priori de l’entendement qui structurent l’expérience : unité, réalité, substance, causalité.
La Déduction Transcendantale
Kant justifie l’application légitime des catégories aux phénomènes comme conditions de possibilité de l’expérience objective.
Concept et Intuition
« Les concepts sans intuitions sont vides, les intuitions sans concepts sont aveugles. » Le concept requiert l’intuition sensible pour être objectif.
Les Schèmes
Les schèmes temporels médiatisent entre concepts intellectuels et intuitions sensibles : le schème de la substance est la permanence dans le temps.
Les Idées de la Raison
Kant distingue concepts de l’entendement (constitutifs de l’expérience) et idées de la raison (régulatrices) : âme, monde, Dieu.
Hegel et la Dialectique Conceptuelle
Georg Wilhelm Friedrich Hegel développe une logique spéculative du concept dans la Science de la logique.
Le Concept comme Sujet
Pour Hegel, le concept n’est pas instrument subjectif mais structure objective du réel qui se développe dialectiquement.
La Logique du Concept
La troisième partie de la Logique analyse le mouvement dialectique du concept : concept subjectif, objectivité, idée absolue.
Le Concept Subjectif
Le concept se détermine par l’universel, le particulier et l’individuel dans le jugement et le syllogisme.
L’Objectivité
Le concept s’objective dans le mécanisme, le chimisme et la téléologie.
L’Idée Absolue
Le concept atteint sa vérité dans l’idée absolue comme unité accomplie de l’être et de la pensée.
La Critique de l’Entendement
Hegel critique l’entendement (Verstand) qui fixe les concepts abstraits contre la raison (Vernunft) qui saisit leur mouvement dialectique.
Schopenhauer et les Concepts Abstraits
Arthur Schopenhauer développe dans Le Monde comme volonté et représentation une théorie des concepts comme « représentations de représentations. »
L’Abstraction Conceptuelle
Les concepts abstraits se forment par élimination progressive des déterminations particulières jusqu’au plus général.
Concept et Intuition
Schopenhauer valorise l’intuition artistique contre la connaissance conceptuelle abstraite qui appauvrit le réel.
Frege et la Logique Conceptuelle
Gottlob Frege révolutionne la logique des concepts dans les Fondements de l’arithmétique et « Sens et dénotation. »
Concept et Fonction
Frege assimile les concepts à des fonctions : le concept « cheval » est une fonction qui associe le vrai aux chevaux, le faux aux non-chevaux.
Sens et Dénotation
Frege distingue le sens (Sinn) du concept de sa dénotation (Bedeutung) : « étoile du matin » et « étoile du soir » ont des sens différents mais la même dénotation.
La Hiérarchie des Types
La distinction concept/objet évite les paradoxes logiques : un concept ne peut être argument de lui-même.
Russell et la Théorie des Descriptions
Bertrand Russell analyse les concepts dans « De la dénotation » et les Principia Mathematica.
Les Descriptions Définies
Russell montre que les descriptions définies (« le roi de France ») ne sont pas des noms mais des expressions conceptuelles complexes.
L’Atomisme Logique
Russell propose de décomposer les concepts complexes en éléments logiques simples correspondant aux faits atomiques.
Wittgenstein et la Critique Conceptuelle
Ludwig Wittgenstein transforme la conception des concepts entre le Tractus et les Recherches philosophiques.
Le Tractus et l’Analyse Logique
Le premier Wittgenstein croit possible l’analyse complète des concepts en éléments logiques simples.
Les Recherches et les Jeux de Langage
Le second Wittgenstein abandonne cette analyse au profit des « jeux de langage » : les concepts n’ont pas d’essence fixe mais des usages multiples.
Les Ressemblances de Famille
Les concepts s’organisent par « ressemblances de famille » : pas de propriété commune à tous les jeux, mais un réseau de similarités partielles.
L’Impossibilité de l’Analyse
Wittgenstein montre qu’il n’existe pas d’analyse conceptuelle définitive : « Est-ce que le concept de jeu est fermé ? Non, il ne l’est pas. »
La Philosophie Analytique Contemporaine
Quine et l’Indétermination
Willard Van Orman Quine relativise les concepts par sa thèse de l’indétermination de la traduction dans « Le Mot et la Chose. »
L’Inscrutabilité de la Référence
Nous ne pouvons déterminer univoquement les concepts d’une langue étrangère : plusieurs interprétations incompatibles demeurent empiriquement équivalentes.
Putnam et l’Externalisme
Hilary Putnam révolutionne la théorie des concepts avec l’externalisme sémantique.
L’Expérience de Pensée de la Terre Jumelle
« Eau » sur Terre et « eau » sur Terre Jumelle (H2O vs XYZ) ont des extensions différentes bien que les concepts mentaux soient identiques.
La Division du Travail Linguistique
Les concepts impliquent souvent une « division du travail » : nous utilisons « or » sans connaître sa composition chimique, en nous fiant aux experts.
Les Sciences Cognitives
Rosch et les Prototypes
Eleanor Rosch révèle que les concepts naturels s’organisent autour de prototypes plutôt que par définitions classiques.
Les Effets de Prototype
Certains membres d’une catégorie sont plus typiques : le rouge-gorge est un oiseau plus prototypique que l’autruche.
Les Niveaux de Base
La catégorisation privilégie un niveau de base (chien) plutôt que superordonné (animal) ou subordonné (caniche).
Lakoff et la Cognition Incarnée
George Lakoff développe la théorie des concepts incarnés : nos concepts abstraits se fondent sur l’expérience corporelle et sensorielle.
Fodor et la Modularité
Jerry Fodor propose une théorie computationnelle : les concepts sont des symboles mentaux manipulés par des processus algorithmiques.
Débats Contemporains
L’Innéisme Conceptuel
Le débat oppose partisans de concepts innés (modularistes) et partisans de l’acquisition empirique (connexionnistes).
La Stabilité des Concepts
Les concepts sont-ils stables à travers les cultures et l’histoire ou varient-ils relativement aux contextes ?
Concepts et Émotions
Quelle place pour les émotions dans la formation et l’usage des concepts ? Cette question renouvelle la rationalité conceptuelle.
Le concept demeure l’unité fondamentale de la pensée rationnelle qui articule universel et particulier, abstrait et concret, pensée et langage. Son étude révèle les structures de la rationalité humaine et continue d’évoluer avec les découvertes des sciences cognitives et de la philosophie contemporaine.