Définition
Le bien désigne ce qui possède une valeur positive, ce qui est moralement juste ou ce qui contribue au bonheur et à l’épanouissement. Cette notion traverse toute la philosophie morale comme concept central qui articule valeur, finalité et perfection.
Le bien peut être conçu comme propriété objective des choses, comme construction subjective, ou comme idéal régulateur qui oriente l’action humaine vers ses fins les plus hautes.
Platon et l’Idée du Bien
Platon développe la conception la plus influente du bien dans la République, où l’Idée du Bien (agathon) occupe le sommet de la hiérarchie intelligible.
L’Analogie du Soleil
Platon compare l’Idée du Bien au soleil : comme celui-ci rend visible le monde sensible, l’Idée du Bien rend intelligible le monde des Idées. « Ce qui donne la vérité aux objets de connaissance et le pouvoir de connaître à celui qui connaît, c’est l’Idée du Bien. »
Au-delà de l’Essence
L’Idée du Bien transcende même l’être : elle est « au-delà de l’essence, la dépassant en dignité et en puissance » (epekeina tês ousias). Cette transcendance absolue influence toute la métaphysique occidentale.
La Dialectique Ascendante
L’âme s’élève vers le Bien par la dialectique philosophique, abandonnant progressivement les images sensibles pour la pure contemplation intellectuelle.
Le Bien et les Autres Vertus
Dans le Ménon, Platon montre que toutes les vertus particulières (courage, tempérance, justice) tirent leur valeur de leur participation au Bien absolu.
Aristote et le Bien comme Fin
Aristote développe une conception téléologique du bien dans l’Éthique à Nicomaque. Le bien est « ce vers quoi toutes choses tendent. »
Le Souverain Bien
Aristote recherche le souverain bien (summum bonum) qui soit :
- Choisi pour lui-même et non pour autre chose
- Autosuffisant (autarkes)
- Final : ne servant de moyen à aucune autre fin
L’Eudémonisme
Le bonheur (eudaimonia) constitue le souverain bien humain : « activité de l’âme selon la vertu parfaite dans une vie achevée. »
La Pluralité des Biens
Contrairement à Platon, Aristote distingue plusieurs catégories de biens :
- Biens extérieurs : richesse, honneurs, amis
- Biens du corps : santé, beauté, force
- Biens de l’âme : vertus intellectuelles et morales
Le Bien Pratique
Le bien aristotélicien est toujours situé et contextuel : il dépend de l’agent, des circonstances et du domaine d’action. Cette conception influence l’éthique des vertus.
Les Stoïciens et le Bien Moral
Les Stoïciens (Zénon, Épictète, Marc Aurèle) développent une conception rigoriste du bien qui l’identifie à la vertu seule.
Les Indifférents
Seule la vertu est bien, seul le vice est mal. Tout le reste (santé, richesse, réputation) est « indifférent » (adiaphora) au bonheur véritable.
Le Bien comme Conformité à la Nature
Le bien consiste à « vivre selon la nature » rationnelle et cosmique. Cette conformité produit l’apatheia (absence de trouble).
La Sagesse Pratique
Le sage stoïcien agit toujours bien car ses actions procèdent de la raison droite en harmonie avec l’ordre universel.
L’Augustinisme et le Bien Divin
Saint Augustin christianise la conception platonicienne dans les Confessions et La Cité de Dieu.
Dieu comme Souverain Bien
Dieu est le Bien absolu duquel dérivent tous les biens créés. « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi. »
Le Mal comme Privation
Augustin résout le problème du mal en le concevant comme simple privation du bien (privatio boni), non comme substance positive.
La Grâce et le Libre Arbitre
L’homme déchu ne peut accomplir le bien véritable sans la grâce divine, tout en conservant la responsabilité de ses actes.
Thomas d’Aquin et l’Ordre des Biens
Thomas d’Aquin systématise la doctrine du bien dans la Somme théologique en articulant Aristote et Augustin.
La Convertibilité de l’Être et du Bien
Thomas établit que « l’être et le bien se convertissent » : tout être est bon selon son degré de perfection. Cette doctrine métaphysique fonde l’optimisme thomiste.
La Hiérarchie des Biens
Thomas distingue :
- Bien utile (bonum utile) : ordonné à autre chose
- Bien délectable (bonum delectabile) : plaisant en lui-même
- Bien honnête (bonum honestum) : conforme à la raison
La Loi Naturelle
La raison humaine participe à la loi éternelle divine et peut ainsi connaître naturellement le bien moral.
Machiavel et l’Autonomie du Politique
Nicolas Machiavel sépare dans Le Prince l’efficacité politique de la moralité traditionnelle, créant une crise de la notion classique de bien.
La Virtù Politique
La virtù du prince n’est plus vertu morale mais habileté à maintenir l’État. Cette autonomisation du politique questionne l’unité du bien.
Les Modernes et la Subjectivisation
Hobbes et le Bien Relatif
Thomas Hobbes subjectivise le bien dans le Léviathan : « Ces mots de bien, de mal… sont toujours employés par rapport à la personne qui les emploie. »
Spinoza et la Joie
Baruch Spinoza définit le bien dans l’Éthique : « Par bien, j’entends tout genre de joie et tout ce qui y conduit. » Cette conception naturaliste évacue la transcendance.
Hume et le Sentiment Moral
David Hume fonde le bien sur le sentiment dans le Traité de la nature humaine : « La raison est et ne doit être que l’esclave des passions. »
Kant et le Bien Moral Pur
Emmanuel Kant révolutionne la conception du bien dans la Critique de la raison pratique et les Fondements de la métaphysique des mœurs.
La Bonne Volonté
« Il n’est rien au monde, et même en général hors du monde, qu’on puisse penser qui soit sans restriction tenu pour bon, si ce n’est seulement une bonne volonté. »
L’Autonomie du Bien Moral
Le bien moral ne dépend ni des conséquences (utilitarisme) ni de la nature humaine (eudémonisme) mais de la pure forme du devoir.
Le Souverain Bien
Kant reconstitue le souverain bien comme synthèse de la vertu et du bonheur, mais cette synthèse exige les postulats de l’immortalité de l’âme et de l’existence de Dieu.
Le Mal Radical
Dans La Religion dans les limites de la simple raison, Kant développe la doctrine du « mal radical » : tendance naturelle à subordonner la loi morale aux inclinations.
L’Utilitarisme et le Bien-être
Bentham et le Calcul Hédoniste
Jeremy Bentham fonde le bien sur le plaisir dans Introduction aux principes de morale et de législation. Le « calcul hédoniste » quantifie plaisirs et peines.
Mill et les Plaisirs Supérieurs
John Stuart Mill nuance l’utilitarisme benthamien en distinguant plaisirs supérieurs (intellectuels) et inférieurs (sensibles) dans L’Utilitarisme.
L’Utilitarisme de l’Acte et de la Règle
L’utilitarisme contemporain distingue l’évaluation des actes particuliers de celle des règles générales selon leurs conséquences sur le bien-être.
Nietzsche et la Transmutation des Valeurs
Friedrich Nietzsche critique radicalement la tradition morale dans Par-delà bien et mal et La Généalogie de la morale.
La Critique des Valeurs
Nietzsche révèle l’origine « trop humaine » des valeurs morales et appelle à leur « transmutation » (Umwertung).
Bien et Mal, Bon et Mauvais
Nietzsche distingue la morale aristocratique (bon/mauvais) de la morale d’esclave (bien/mal) née du ressentiment.
La Volonté de Puissance
Au-delà du bien et du mal traditionnels, Nietzsche propose la volonté de puissance comme nouveau critère d’évaluation.
Moore et le Bien Indéfinissable
George Edward Moore révolutionne l’éthique analytique dans Principia Ethica (1903).
Le Sophisme Naturaliste
Moore critique le « sophisme naturaliste » qui identifie le bien à des propriétés naturelles (plaisir, évolution, etc.).
L’Intuition Morale
Le bien est une propriété simple, indéfinissable, saisie par intuition morale directe.
L’Argument de la Question Ouverte
Pour toute propriété naturelle P, la question « X est P, mais est-ce bien ? » demeure sensée, prouvant que bien ≠ P.
L’Existentialisme et l’Invention des Valeurs
Sartre et la Liberté Créatrice
Jean-Paul Sartre proclame dans L’Existentialisme est un humanisme que « l’existence précède l’essence » : l’homme invente ses valeurs par ses choix.
L’Angoisse de la Responsabilité
L’absence de nature humaine prédonnnée rend l’homme « condamné à être libre » et totalement responsable de ses valeurs.
Rawls et la Justice comme Fairness
John Rawls renouvelle la philosophie politique dans Théorie de la justice en définissant le bien par la justice.
Le Voile d’Ignorance
Les principes de justice sont choisis derrière un « voile d’ignorance » qui garantit l’impartialité.
Les Biens Premiers
Rawls identifie des « biens premiers » (libertés, opportunités, revenus) que tout individu rationnel désire.
L’Éthique Appliquée Contemporaine
Singer et l’Utilitarisme de Préférence
Peter Singer développe un utilitarisme de préférence qui maximise la satisfaction des préférences de tous les êtres sensibles.
L’Éthique de l’Environnement
L’écologie questionne l’anthropocentrisme traditionnel et étend la notion de bien aux écosystèmes et aux générations futures.
La Bioéthique
Les progrès médicaux posent de nouveaux dilemmes sur le bien : euthanasie, manipulations génétiques, procréation assistée.
Types de Bien
Bien Intrinsèque/Instrumental
- Intrinsèque : bien pour lui-même (bonheur, beauté)
- Instrumental : bien comme moyen (argent, pouvoir)
Bien Individuel/Collectif
- Individuel : bien d’une personne particulière
- Collectif : bien commun à un groupe ou à l’humanité
Bien Moral/Non-moral
- Moral : bien éthique (justice, générosité)
- Non-moral : bien technique ou esthétique (efficacité, beauté)
Le bien demeure l’une des notions les plus fondamentales et controversées de la philosophie. Il articule nos aspirations les plus hautes tout en révélant les tensions entre objectivité et subjectivité, universalité et particularité, idéal et réalité dans la constitution des valeurs humaines.