Définition
L’axiome désigne une proposition première, considérée comme évidente par elle-même et servant de fondement à un système déductif. Du grec axioma (ce qui est jugé digne, ce qui a de la valeur), l’axiome constitue un point de départ indémontrable mais nécessaire pour toute démonstration ultérieure.
L’axiome articule évidence intuitive et nécessité logique : il s’impose à l’esprit par sa clarté tout en conditionnant la cohérence du système théorique qu’il fonde.
Euclide et la Géométrie Axiomatique
Euclide établit dans les Éléments (vers 300 av. J.-C.) le modèle classique de la méthode axiomatique. Il distingue trois types de propositions premières :
Les Définitions
Elles précisent le sens des termes : « Le point est ce qui n’a aucune partie », « La ligne droite est celle qui est également placée entre ses points. »
Les Postulats (Aitemata)
Ils expriment des constructions géométriques possibles :
- Mener une ligne droite d’un point quelconque à un point quelconque
- Prolonger continûment en ligne droite une ligne droite finie
- Décrire un cercle de tout centre et de tout rayon
- Tous les angles droits sont égaux entre eux
- Si une droite tombant sur deux droites fait les angles intérieurs du même côté plus petits que deux droits, ces droites prolongées indéfiniment se rencontrent du côté où les angles sont plus petits que deux droits
Les Notions Communes (Koinai Ennoiai)
Elles énoncent des principes logiques généraux :
- « Choses égales à une même chose sont égales entre elles »
- « Si on ajoute des choses égales à des choses égales, les totaux sont égaux »
- « Le tout est plus grand que la partie »
Aristote et la Théorie des Principes
Aristote analyse dans les Seconds Analytiques les conditions de la science démonstrative. Les axiomes (axiomata) constituent les principes premiers indémontrables de toute science.
Les Caractères de l’Axiome
L’axiome aristotélicien doit être :
- Vrai : correspondre à la réalité
- Premier : indémontrable dans l’ordre logique
- Immédiat : évident par soi-même
- Plus connu que les conclusions qu’il fonde
- Antérieur dans l’ordre de la démonstration
- Causal : expliquer pourquoi les conclusions sont vraies
L’Intuition des Principes
Aristote recourt au nous (intellect intuitif) pour expliquer la saisie des axiomes. Cette intuition intellectuelle évite la régression à l’infini dans la démonstration.
La Scolastique et les Premiers Principes
Thomas d’Aquin reprend la doctrine aristotélicienne dans la Somme théologique. Il identifie le principe de non-contradiction comme axiome premier : « Il est impossible qu’une chose soit et ne soit pas en même temps sous le même rapport. »
La Connaissance Naturelle
Les axiomes sont connus naturellement par l’intellect sans apprentissage particulier. Cette évidence native fonde la possibilité de la science universelle.
Descartes et l’Évidence
René Descartes transforme la notion d’axiome en critère méthodologique dans les Règles pour la direction de l’esprit. Les « natures simples » constituent les axiomes de la méthode universelle.
Les Axiomes Métaphysiques
Dans les Méditations, Descartes établit des axiomes métaphysiques :
- « Je pense, donc je suis »
- « Tout effet a une cause »
- « Il y a pour le moins autant de réalité dans la cause efficiente et totale que dans son effet »
Spinoza et l’Éthique
Baruch Spinoza radicalise la méthode axiomatique en l’appliquant à l’éthique dans l’Éthique démontrée selon l’ordre géométrique. Il établit sept axiomes fondamentaux :
- « Tout ce qui est, est en soi ou en autre chose »
- « Ce qui ne peut être conçu par autre chose doit être conçu par soi »
- « D’une cause déterminée donnée, l’effet suit nécessairement »
- « La connaissance de l’effet dépend de la connaissance de la cause et l’enveloppe »
- « Les choses qui n’ont rien de commun l’une avec l’autre ne peuvent non plus se comprendre l’une par l’autre »
- « Une idée vraie doit s’accorder avec ce dont elle est l’idée »
- « L’essence de tout ce qui peut être conçu comme non existant n’enveloppe pas l’existence »
Newton et les Axiomes de la Mécanique
Isaac Newton établit dans les Principia mathematica (1687) les axiomes de la mécanique classique :
- Principe d’inertie : Tout corps persévère dans son état de repos ou de mouvement rectiligne uniforme
- Principe fondamental : Le changement de mouvement est proportionnel à la force motrice imprimée
- Principe d’action-réaction : L’action est toujours égale à la réaction
Ces axiomes fondent toute la physique classique jusqu’au XXe siècle.
Kant et les Jugements Synthétiques A Priori
Emmanuel Kant révolutionne la conception des axiomes dans la Critique de la raison pure. Les axiomes mathématiques sont des jugements synthétiques a priori qui étendent notre connaissance tout en étant indépendants de l’expérience.
L’Intuition Pure
Les axiomes géométriques se fondent sur l’intuition pure de l’espace. « La ligne droite est la plus courte entre deux points » n’est pas analytique mais s’impose par construction dans l’espace pur.
Les Géométries Non-Euclidiennes
Lobatchevsky et Bolyai
Nikolaï Lobatchevsky et János Bolyai développent indépendamment (vers 1830) des géométries qui nient le cinquième postulat d’Euclide. Ces géométries hyperboliques révèlent que les axiomes euclidiens ne sont pas nécessaires.
Riemann et la Géométrie Elliptique
Bernhard Riemann (1854) généralise encore en développant une géométrie où par un point extérieur à une droite ne passe aucune parallèle. Cette révolution ébranle l’évidence des axiomes géométriques.
Frege et la Logicisation
Gottlob Frege tente dans les Fondements de l’arithmétique de réduire les mathématiques à la logique. Les axiomes arithmétiques dériveraient des seuls principes logiques.
L’Idéographie
Frege développe une notation symbolique rigoureuse qui explicite les axiomes logiques implicites dans le raisonnement ordinaire.
Hilbert et l’Axiomatique Moderne
David Hilbert révolutionne l’axiomatique dans les Fondements de la géométrie (1899). Les axiomes ne décrivent plus des objets intuitifs mais définissent implicitement les relations entre termes non interprétés.
Les Exigences Hilbertiennes
Un système axiomatique doit satisfaire :
- Consistance : ne pas engendrer de contradiction
- Indépendance : aucun axiome ne doit découler des autres
- Complétude : tout énoncé du domaine doit être décidable
Le Formalisme
L’axiomatique hilbertienne devient purement formelle : les axiomes sont des chaînes de symboles manipulées selon des règles syntaxiques.
Gödel et les Limites
Kurt Gödel démontre (1931) que tout système axiomatique suffisamment riche pour contenir l’arithmétique est soit incomplet, soit inconsistant. Ces théorèmes d’incomplétude révèlent les limites de l’axiomatisation complète.
L’Indécidabilité
Il existe des énoncés arithmétiques vrais mais indémontrables dans tout système axiomatique récursivement énumérable. Cette découverte transforme la compréhension des axiomes.
Quine et la Révision
Willard Van Orman Quine propose dans « Deux dogmes de l’empirisme » une conception holistique : nos croyances forment un « tissu » face au tribunal de l’expérience. Même les axiomes logiques peuvent être révisés sous la pression empirique.
Les Axiomes en Physique Moderne
Einstein et la Relativité
La relativité d’Albert Einstein révise les axiomes newtoniens de l’espace et du temps absolus. Les nouveaux axiomes (constance de la vitesse de la lumière, principe d’équivalence) fondent une physique révolutionnaire.
La Mécanique Quantique
Les axiomes de la mécanique quantique (états quantiques, observables, mesure) rompent avec l’intuition classique et révèlent la nature probabiliste de la réalité microphysique.
Statut Épistémologique
Conventionnalisme
Pour Henri Poincaré, les axiomes géométriques sont des conventions commodes plutôt que des vérités nécessaires.
Réalisme Structural
Certains philosophes contemporains défendent un réalisme structural : les axiomes révèlent la structure mathématique objective de la réalité.
L’axiome révèle ainsi la tension fondamentale entre évidence et convention, nécessité et choix, dans la constitution du savoir rationnel. Il interroge les rapports entre logique et intuition, formalisme et signification, dans l’édification des systèmes théoriques.