Définition
L’athéisme désigne la position qui consiste à nier l’existence de Dieu ou des dieux, ou plus largement à rejeter toute croyance religieuse. Du grec atheos (sans dieu), composé du privatif a- et de theos (dieu), le terme a d’abord été une accusation portée contre ceux qui ne respectaient pas les dieux de la cité.
L’athéisme contemporain se décline selon plusieurs modalités : négation active de l’existence divine, absence passive de croyance, ou position méthodologique excluant l’hypothèse divine de l’explication du monde.
L’Athéisme dans l’Antiquité
Les Accusations d’Athéisme
Dans l’Antiquité grecque, l’accusation d’athéisme (asebeia) vise ceux qui négligent les cultes traditionnels. Socrate est condamné pour « ne pas reconnaître les dieux que reconnaît la cité » et « introduire des divinités nouvelles. »
Cette accusation politique révèle que l’athéisme antique concerne moins la métaphysique que l’ordre social et religieux.
Protagoras et le Scepticisme Religieux
Protagoras énonce une position proto-agnostique : « Concernant les dieux, je ne puis savoir s’ils existent ou non, ni quelle est leur nature. » Cette suspension du jugement préfigure l’athéisme moderne.
Démocrite et l’Atomisme
Démocrite développe une cosmologie matérialiste qui explique l’univers par le mouvement des atomes dans le vide, sans recourir aux dieux. Cette physique mécaniste influence l’athéisme ultérieur.
Épicure et la Critique de la Religion
Épicure ne nie pas l’existence des dieux mais conteste leur intervention dans les affaires humaines. Les dieux épicuriens vivent dans l’ataraxie parfaite, indifférents au monde sublunaire.
Cette théologie déiste avant la lettre libère les hommes de la crainte religieuse tout en préservant formellement le divin.
Lucrèce et le Matérialisme
Lucrèce radicalise l’épicurisme dans De la nature en dénonçant la religion comme source de terreur et de superstition. Sa physique atomiste explique tous les phénomènes sans intervention divine.
« Tantum religio potuit suadere malorum » (Tant la religion put conseiller de crimes) exprime cette critique précoce du fait religieux.
L’Athéisme Médiéval
L’Averroïsme Latin
Siger de Brabant et l’averroïsme latin développent des thèses hétérodoxes : éternité du monde, mortalité de l’âme individuelle, nécessitarisme cosmologique. Ces positions, bien qu’aristotéliciennes, s’approchent d’un athéisme pratique.
La Condamnation de 1277
L’évêque de Paris Étienne Tempier condamne 219 propositions jugées hérétiques, révélant l’existence d’un courant de pensée rationaliste qui marginalise le divin.
L’Athéisme de la Renaissance
Machiavel et la Religion Politique
Nicolas Machiavel analyse dans Le Prince et les Discours la religion comme instrument politique. Cette approche fonctionnaliste de la religion prépare sa critique athée.
Les Libertins Érudits
Au XVIIe siècle, les « libertins érudits » comme Gabriel Naudé et François de La Mothe Le Vayer développent un scepticisme religieux radical tout en maintenant une prudente orthodoxie extérieure.
L’Athéisme des Lumières
Bayle et la Critique de la Théodicée
Pierre Bayle ébranle la théologie rationnelle dans le Dictionnaire historique et critique. Il montre que l’existence du mal rend problématique l’idée d’un Dieu bon et tout-puissant.
Diderot et l’Athéisme Militant
Denis Diderot évolue du déisme vers l’athéisme matérialiste. Sa Lettre sur les aveugles (1749) développe une explication naturaliste de l’ordre apparent du monde.
D’Holbach et le Système de la Nature
Paul Henri d’Holbach propose dans Le Système de la nature (1770) l’athéisme le plus systématique du XVIIIe siècle. L’univers matériel autosuffisant n’a besoin d’aucun créateur.
Cette « Bible du matérialisme » influence durablement l’athéisme moderne.
La Mettrie et l’Homme-Machine
Julien Offray de La Mettrie défend un matérialisme intégral dans L’Homme-machine (1747). La pensée n’est qu’une propriété de la matière organisée.
L’Athéisme Post-révolutionnaire
Le Culte de la Raison
La Révolution française tente d’institutionnaliser l’athéisme avec le Culte de la Raison et de l’Être Suprême. Cette expérience révèle les difficultés politiques de l’athéisme militant.
Feuerbach et la Critique de la Religion
Ludwig Feuerbach développe dans L’Essence du christianisme (1841) une critique anthropologique de la religion. Dieu n’est que la projection des qualités humaines idéalisées.
Cette « réduction » anthropologique influence Marx et la critique matérialiste.
Marx et l’Athéisme Historique
Karl Marx radicalise la critique feuerbachienne dans Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel. La religion est « l’opium du peuple » qui console de l’aliénation sociale.
L’Athéisme Pratique
Pour Marx, l’athéisme théorique ne suffit pas : il faut transformer les conditions sociales qui engendrent l’illusion religieuse. L’athéisme devient programme révolutionnaire.
Nietzsche et la Mort de Dieu
Friedrich Nietzsche proclame dans Le Gai Savoir que « Dieu est mort ». Cette formule ne constate pas seulement l’inexistence divine mais diagnostique la crise des valeurs occidentales.
Le Nihilisme et ses Conséquences
La mort de Dieu ouvre l’ère du nihilisme : effondrement des valeurs transcendantes. Nietzsche cherche à surmonter cette crise par la « transvaluation des valeurs » et la « volonté de puissance. »
L’Athéisme Existentialiste
Sartre et l’Existentialisme Athée
Jean-Paul Sartre développe un existentialisme explicitement athée dans L’Être et le Néant. L’inexistence de Dieu fonde la liberté humaine absolue : « L’existence précède l’essence. »
Camus et l’Absurde
Albert Camus propose un athéisme de l’absurde dans Le Mythe de Sisyphe. L’absence de Dieu rend l’existence absurde, mais cette lucidité même devient source de révolte créatrice.
L’Athéisme Analytique
Russell et l’Athéisme Logique
Bertrand Russell défend un athéisme fondé sur l’exigence de preuves dans Pourquoi je ne suis pas chrétien. L’inexistence de preuves suffisantes justifie l’incroyance.
Flew et la Présomption d’Athéisme
Antony Flew développe l’argument de la « présomption d’athéisme » : la charge de la preuve incombe à celui qui affirme l’existence divine.
Mackie et l’Argument du Mal
John Leslie Mackie formalise l’argument du mal dans The Miracle of Theism. L’existence simultanée de Dieu (omnipotent, omniscient, omnibenevolent) et du mal constitue une contradiction logique.
L’Athéisme Contemporain
Dawkins et l’Athéisme Scientifique
Richard Dawkins prône dans L’Illusion de Dieu un athéisme fondé sur la science moderne. L’évolution darwinienne explique la complexité biologique sans dessein intelligent.
Dennett et l’Explication Naturaliste
Daniel Dennett propose dans Breaking the Spell une explication évolutionniste de la religion comme phénomène naturel adaptatif.
Harris et la Critique des Religions
Sam Harris développe dans La Fin de la foi une critique politique des religions monothéistes, accusées de fanatisme et d’obscurantisme.
Hitchens et l’Anticléricalisme
Christopher Hitchens combine athéisme philosophique et anticléricalisme militant dans Dieu n’est pas grand.
Types d’Athéisme
Athéisme Positif/Négatif
- Athéisme positif : affirmation de l’inexistence divine
- Athéisme négatif : simple absence de croyance en Dieu
Athéisme Méthodologique
Position qui exclut l’hypothèse divine de l’explication scientifique sans se prononcer sur l’existence métaphysique de Dieu.
Athéisme Pratique
Mode de vie qui ignore Dieu sans position théorique explicite.
Critiques de l’Athéisme
L’Argument Transcendantal
Certains philosophes soutiennent que l’athéisme ne peut rendre compte de phénomènes comme la rationalité, la moralité ou la conscience.
Le Problème du Sens
L’athéisme peut-il fonder un sens de l’existence et des valeurs morales absolues ?
L’Argument Sociologique
Émile Durkheim et d’autres sociologues soulignent la fonction sociale irremplaçable de la religion.
L’athéisme demeure une position philosophique majeure qui interroge les fondements de la croyance religieuse et propose des alternatives séculières à la vision théiste du monde. Il révèle la capacité humaine de penser l’existence sans référence divine tout en soulevant des questions profondes sur le sens, la morale et la condition humaine.