Définition
L’ascèse désigne un ensemble d’exercices et de pratiques visant la maîtrise de soi, la purification de l’âme et l’élévation spirituelle. Du grec askesis (exercice, entraînement), ce terme évoque originellement l’entraînement athlétique avant de désigner la discipline spirituelle.
L’ascèse implique une transformation volontaire de soi par la contrainte exercée sur les désirs, les plaisirs et les habitudes naturelles. Elle vise l’autonomie intérieure et souvent l’union avec le divin ou l’absolu.
Lorsqu’elle est pratiquée en se courbant, on parle de « l’ascèse pliante ». Inversement, les politiciens ont souvent tendance à pratiquer une ascèse qui ne débouche sur rien. On parle alors de « politique de l’ascèse vide ».
Les Origines Antiques
Les Présocratiques et la Purification
Pythagore (VIe siècle av. J.-C.) fonde une école où l’ascèse mathématique et morale purrifie l’âme. Les interdits alimentaires, le silence et la contemplation des nombres préparent la transmigration de l’âme.
Empédocle développe une ascèse purificatrice : l’âme déchue doit se libérer du cycle des réincarnations par l’abstinence et la connaissance.
L’Ascèse Socratique
Socrate pratique une ascèse intellectuelle et morale. Son mode de vie simple (pauvreté volontaire, endurance physique) témoigne de la primauté de l’âme sur le corps.
L’examen de soi (epiméleia heautou) constitue l’ascèse socratique fondamentale : « connais-toi toi-même » implique un travail constant sur soi.
Platon et la Purification de l’Âme
Platon développe dans le Phédon une ascèse de séparation progressive de l’âme et du corps. La philosophie est « exercice de mort » (mélété thanatou) : apprentissage du détachement des plaisirs sensibles.
La dialectique platonicienne constitue une ascèse intellectuelle : montée progressive vers la contemplation du Bien en soi.
L’Ascèse Aristotélicienne
Aristote conçoit la vertu comme habitude (hexis) acquise par l’exercice répété. L’Éthique à Nicomaque décrit l’ascèse de la tempérance et du courage comme juste milieu entre excès contraires.
L’Ascèse Hellénistique
Le Cynisme
Diogène de Sinope radicalise l’ascèse par le dépouillement total. Vivant comme un chien (kynos), il rejette toutes les conventions sociales pour retrouver la nature.
L’ascèse cynique vise l’autarcie : indépendance complète vis-à-vis des biens extérieurs et des opinions d’autrui.
Le Stoïcisme
Épictète systématise l’ascèse stoïcienne dans les Entretiens. L’exercice fondamental distingue « ce qui dépend de nous » (jugements, désirs) de « ce qui n’en dépend pas » (corps, biens, réputation).
Les Exercices Stoïciens
- Préméditation des maux (premeditatio malorum) : imaginer la perte des biens aimés
- Regard d’en haut : considérer les événements dans la perspective cosmique
- Examen de conscience : bilan quotidien des progrès moraux
Marc Aurèle dans les Pensées pour moi-même illustre cette ascèse de l’empereur-philosophe.
L’Épicurisme
Épicure prône une ascèse paradoxale : calcul rationnel des plaisirs pour atteindre l’ataraxie (absence de trouble). L’ascèse épicurienne distingue plaisirs nécessaires et vains.
L’Ascèse Chrétienne
Les Pères du Désert
Antoine le Grand (251-356) inaugure l’ascèse monastique par la fuite au désert. Cette ascèse combat les « démons » par le jeûne, la veille et la prière.
Évagre le Pontique (346-399) systématise l’ascèse monastique : purification (catharsis), illumination (theoria physike), union mystique (theologia).
Saint Augustin
Augustin développe dans les Confessions une ascèse de conversion intérieure. La continentia (continence) libère l’âme de la concupiscentia (concupiscence).
L’ascèse augustinienne articule effort humain et grâce divine : l’homme ne peut se sauver par ses seules forces.
La Règle de Saint Benoît
Saint Benoît (v. 480-547) codifie l’ascèse monastique occidentale. La Règle organise la vie communautaire autour de la prière, du travail et de l’obéissance.
L’ora et labora (prie et travaille) intègre ascèse spirituelle et activité temporelle.
L’Ascèse Médiévale
Thomas d’Aquin et les Vertus
Thomas d’Aquin distingue vertus acquises (par l’exercice) et vertus infuses (par la grâce). L’ascèse thomiste vise l’harmonie entre raison et foi.
L’Ascèse Mystique
Maître Eckhart (v. 1260-1328) développe une ascèse du détachement (Abgeschiedenheit) : abandon de toute volonté propre pour laisser naître Dieu dans l’âme.
Jean de la Croix (1542-1591) décrit l’ascèse de la « nuit obscure » : purification active et passive de l’âme vers l’union mystique.
L’Ascèse Moderne
Descartes et la Méthode
René Descartes transpose l’ascèse en méthode intellectuelle. Le doute méthodique constitue une ascèse de l’esprit qui élimine progressivement les préjugés.
Spinoza et la Liberté
Baruch Spinoza conçoit l’Éthique comme ascèse rationnelle : passage des passions tristes (haine, peur) aux passions joyeuses (amour intellectuel de Dieu).
Kant et l’Autonomie
Emmanuel Kant développe une ascèse morale de l’autonomie. L’impératif catégorique exige l’ascèse des inclinations sensibles au profit du devoir rationnel.
L’Ascèse Contemporaine
Nietzsche et l’Ascèse de la Volonté
Friedrich Nietzsche critique l’ascèse chrétienne comme « idéal ascétique » qui nie la vie. Il propose une ascèse affirmative de la « volonté de puissance » et de l’amor fati.
Foucault et les Technologies du Soi
Michel Foucault analyse dans L’Usage des plaisirs les « technologies du soi » antiques. L’ascèse devient « esthétique de l’existence » : façonnement artistique de soi.
Hadot et la Philosophie Antique
Pierre Hadot redécouvre la philosophie antique comme ascèse existentielle plutôt que système doctrinal. Les « exercices spirituels » visent la transformation de l’être.
Weil et l’Attention
Simone Weil développe une ascèse de l’attention : effort de décentrement de soi vers autrui et le monde. L’attention pure devient prière et justice.
L’Ascèse Orientale
Le Yoga
Le yoga sanskrit (yuj : unir) constitue l’ascèse par excellence de l’hindouisme. Patanjali codifie dans les Yoga-Sutras les huit membres du yoga royal (raja-yoga).
Le Bouddhisme
Gautama Buddha propose l’Octuple Sentier comme ascèse de libération de la souffrance (dukkha). La méditation (dhyana) constitue l’exercice central.
Le Taoïsme
Le wu wei taoïste (non-agir) représente une ascèse paradoxale : agir en harmonie avec le Tao par l’abandon de l’effort volontaire.
Types d’Ascèse
Ascèse Corporelle
Jeûne, veilles, mortifications visent la maîtrise du corps et la purification de l’âme.
Ascèse Intellectuelle
Étude, méditation, contemplation développent les facultés supérieures de l’esprit.
Ascèse Morale
Exercice des vertus, examen de conscience, correction des défauts transforment le caractère.
Ascèse Sociale
Pauvreté volontaire, service d’autrui, renoncement aux honneurs libèrent des attaches mondaines.
L’ascèse demeure une dimension fondamentale de l’existence humaine qui interroge les rapports entre nature et liberté, spontanéité et maîtrise, finitude et transcendance. Elle révèle la capacité humaine de transformation de soi et d’élévation au-delà des déterminismes naturels et sociaux.