Définition
L’anarchisme est une philosophie politique qui prône l’abolition de toute forme d’autorité imposée et de gouvernement coercitif. Du grec anarchia (absence de commandement), l’anarchisme rejette l’État, considéré comme source d’oppression, au profit d’une organisation sociale basée sur la libre association, l’entraide mutuelle et l’autogestion.
L’anarchisme ne se réduit pas au chaos ou au désordre : il aspire à un ordre social spontané, non hiérarchique, fondé sur la coopération volontaire et la responsabilité individuelle.
Les Précurseurs
Étienne de La Boétie
Dans le Discours de la servitude volontaire (1548), Étienne de La Boétie analyse les mécanismes de la domination politique. Il montre que le pouvoir des tyrans repose sur la soumission volontaire des peuples : « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. »
Cette analyse préfigure la critique anarchiste de la légitimité étatique : le pouvoir n’existe que par l’obéissance qu’on lui accorde.
William Godwin
William Godwin formule dans Enquiry Concerning Political Justice (1793) la première théorie anarchiste systématique. Il critique l’État comme source d’injustice et prône une société basée sur la raison et la justice naturelle.
Godwin défend l’abolition progressive du gouvernement au profit d’associations volontaires guidées par la raison éclairée.
Proudhon et l’Anarchisme Moderne
Pierre-Joseph Proudhon forge le terme « anarchie » comme idéal politique positif. Dans Qu’est-ce que la propriété ? (1840), il répond : « La propriété, c’est le vol ! » et propose l’anarchie comme « ordre sans pouvoir ».
Le Fédéralisme
Proudhon développe une théorie fédéraliste : la société s’organise par contrats libres entre individus et groupes, sans autorité supérieure. Ce fédéralisme « de bas en haut » s’oppose au centralisme étatique.
Le Mutuellisme
L’économie proudhonienne repose sur le mutuellisme : échange équitable fondé sur la réciprocité, crédit gratuit et propriété d’usage (non d’exploitation). Cette « synthèse » dépasse capitalisme et socialisme d’État.
Bakounine et l’Anarchisme Révolutionnaire
Mikhaïl Bakounine radicalise l’anarchisme en le liant à la révolution sociale. Dans Dieu et l’État, il formule le principe fondamental : « Ni Dieu ni maître ! »
Critique de l’Autorité
Bakounine étend la critique anarchiste à toutes les formes d’autorité : religieuse, politique, économique. « L’instinct de révolte » constitue l’essence de l’humanité contre toute oppression.
Collectivisme Anarchiste
Bakounine prône la collectivisation des moyens de production et l’organisation fédérale des communes libres. Sa rupture avec Marx porte sur le refus de l’État « transitoire » : « Aucun État, fût-il le plus républicain et le plus démocratique […] ne pourra donner au peuple ce dont il a besoin. »
Kropotkine et l’Anarchisme Scientifique
Pierre Kropotkine fonde l’anarchisme sur l’observation scientifique dans L’Entraide. Contre le darwinisme social, il montre que la coopération, non la concurrence, constitue le facteur principal de l’évolution.
Le Communisme Anarchiste
Kropotkine dépasse le collectivisme bakouninien : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. » La société future sera communiste (biens communs) et anarchiste (sans État).
La Géographie et l’Anarchisme
Géographe reconnu, Kropotkine lie organisation sociale et environnement : la décentralisation anarchiste correspond aux nécessités écologiques et humaines.
Stirner et l’Anarchisme Individualiste
Max Stirner développe dans L’Unique et sa Propriété (1845) un anarchisme individualiste radical. Il critique toutes les « essences supérieures » (État, société, humanité) qui aliènent l’individu concret.
L’Égotisme
Stirner revendique l’égoïsme comme libération : l’individu ne doit obéir qu’à lui-même. Cette position influence l’anarchisme individualiste américain (Benjamin Tucker) et certains courants libertariens.
Malatesta et l’Anarchisme Organisateur
Errico Malatesta développe un anarchisme pragmatique centré sur l’organisation. Dans L’Anarchie, il montre que l’anarchisme n’exclut pas l’organisation mais seulement l’autorité imposée.
Malatesta insiste sur la méthode anarchiste : les moyens doivent être cohérents avec les fins. On ne peut construire la liberté par l’autoritarisme.
L’Anarcho-syndicalisme
Le mouvement anarcho-syndicaliste (CGT française, CNT espagnole) applique les principes anarchistes à l’organisation ouvrière. Le syndicat devient l’embryon de la société future : autogestion, fédéralisme, action directe.
Pelloutier et les Bourses du Travail
Fernand Pelloutier théorise les Bourses du Travail comme institutions d’éducation ouvrière et de préfiguration sociale. L’émancipation passe par l’auto-organisation prolétarienne.
Anarchisme et Arts
L’anarchisme influence profondément la création artistique : théâtre de contestation (Octave Mirbeau), littérature sociale (Élisée Reclus), peinture révolutionnaire (Camille Pissarro). L’art anarchiste vise l’émancipation esthétique et sociale.
Critiques de l’Anarchisme
La Critique Marxiste
Les marxistes reprochent à l’anarchisme son « utopisme » : refuser l’État révolutionnaire condamne à l’impuissance face à la bourgeoisie organisée. Vladimir Lénine critique l’anarchisme comme « maladie infantile du communisme ».
La Critique Libérale
Les libéraux soulignent les risques de chaos et de tyrannie locale dans une société sans État central. Robert Nozick défend l’État minimal contre l’anarchisme comme protection des droits individuels.
Weber et l’Anarchisme
Max Weber montre que l’État moderne monopolise légitimement la violence. L’anarchisme méconnaîtrait la nécessité de l’organisation rationnelle-légale dans les sociétés complexes.
Anarchisme Contemporain
Chomsky et l’Anarcho-syndicalisme
Noam Chomsky renouvelle l’anarchisme par sa critique des médias et de la « fabrication du consentement ». Il défend un anarcho-syndicalisme démocratique adapté aux sociétés post-industrielles.
L’Anarchisme Post-moderne
Des penseurs comme Hakim Bey développent des concepts comme la « Zone Autonome Temporaire » : espaces-temps de liberté dans le système dominant, préfigurant d’autres possibles.
Écologie et Anarchisme
L’anarchisme vert (Murray Bookchin, éco-socialisme) lie critique de l’État et critique de la domination sur la nature. La décentralisation anarchiste correspond aux impératifs écologiques.
L’anarchisme demeure une critique radicale de toute domination institutionnalisée. Il questionne la légitimité de l’autorité et explore les possibilités d’organisation sociale non hiérarchique, inspirant les mouvements d’émancipation contemporains.