Définition
L’analytique désigne une méthode de décomposition qui procède du complexe au simple, ou une proposition dont le prédicat est contenu dans le concept du sujet. Du grec analyein (délier, décomposer), cette notion traverse la logique, l’épistémologie et la méthodologie scientifique.
L’analytique s’oppose au synthétique et constitue l’un des modes fondamentaux de la connaissance rationnelle, révélant ce qui est déjà implicitement contenu dans nos concepts.
Aristote et l’Analyse Logique
Aristote développe la première théorie de l’analyse dans les Premiers Analytiques et Seconds Analytiques, qui forment le cœur de l’Organon.
Les Premiers Analytiques
Aristote y étudie le syllogisme comme forme pure du raisonnement déductif. L’analyse syllogistique décompose l’argumentation en prémisses et conclusion selon des règles formelles.
Exemple : « Tous les hommes sont mortels / Socrate est homme / Donc Socrate est mortel »
Les Seconds Analytiques
Ils traitent de la démonstration scientifique (apodeixis). L’analyse régressive remonte des conclusions aux principes premiers pour établir la science véritable.
La Méthode Analytique
Aristote distingue deux voies :
- Analyse : remontée de ce qui est à connaître vers les principes
- Synthèse : descente des principes vers les conclusions
La Géométrie et l’Analyse
Euclide et la Méthode Analytique
Bien qu’Euclide procède synthétiquement dans les Éléments, les géomètres grecs développent la méthode analytique qui part de ce qu’on cherche à démontrer pour remonter aux hypothèses.
Pappus et la Codification
Pappus d’Alexandrie (IVe siècle) codifie la distinction entre analyse et synthèse :
- Analyse : on suppose vrai ce qu’on cherche et on en tire les conséquences
- Synthèse : on part des principes établis pour déduire la conclusion
Descartes et l’Analyse Moderne
René Descartes révolutionne l’analyse dans le Discours de la méthode et les Règles pour la direction de l’esprit.
La Méthode Analytique
Descartes fait de l’analyse la seconde règle de sa méthode : « Diviser chacune des difficultés que j’examinerais en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre. »
L’Analyse Géométrique
Dans la Géométrie, Descartes développe l’analyse algébrique qui transforme les problèmes géométriques en équations, révolutionnant les mathématiques.
L’Analyse Métaphysique
Le doute méthodique procède analytiquement en décomposant toutes nos croyances pour atteindre le fondement indubitable du cogito.
Kant et la Distinction Analytique/Synthétique
Emmanuel Kant révolutionne la notion d’analytique dans la Critique de la raison pure en établissant la distinction fondamentale entre jugements analytiques et synthétiques.
Les Jugements Analytiques
Dans un jugement analytique, « le prédicat ne fait qu’expliciter ce qui était déjà pensé dans le concept du sujet, quoique moins clairement. »
Exemples :
- « Tous les célibataires sont non mariés »
- « Les corps sont étendus »
- « 7 + 5 = 12 » (selon Kant, controversé)
Caractères des Jugements Analytiques
- Explicatifs : ils clarifient sans étendre la connaissance
- A priori : leur vérité ne dépend pas de l’expérience
- Nécessaires : leur négation implique contradiction
- Universels : ils valent sans exception
L’Opposition au Synthétique
Les jugements synthétiques ajoutent au sujet un prédicat qui n’y était pas contenu :
- « Tous les corps sont pesants »
- « La ligne droite est la plus courte entre deux points »
L’Enjeu Épistémologique
Pour Kant, les jugements purement analytiques ne peuvent fonder la science qui requiert des jugements synthétiques a priori.
L’Idéalisme Allemand
Fichte et l’Analyse Transcendantale
Johann Gottlieb Fichte développe une analyse transcendantale qui décompose l’expérience pour révéler l’activité constituante du Moi.
Hegel et la Critique de l’Entendement Analytique
Georg Wilhelm Friedrich Hegel critique l’entendement analytique (Verstand) qui sépare et fixe les déterminations. La raison dialectique (Vernunft) dépasse cette limitation.
Mill et l’Empirisme Logique
John Stuart Mill conteste la distinction kantienne dans le Système de logique. Selon lui, même les mathématiques procèdent par généralisation inductive, non par analyse de concepts.
La Critique de l’A Priori
Mill soutient que les prétendues vérités analytiques (comme l’arithmétique) résultent en fait d’inductions très générales sur l’expérience.
Frege et l’Analyticité Logique
Gottlob Frege renouvelle l’analyticité dans les Fondements de l’arithmétique. Il tente de montrer que l’arithmétique est réductible à la logique pure.
L’Analyse Logique
Frege développe des outils logiques (quantificateurs, fonctions propositionnelles) qui permettent l’analyse rigoureuse des énoncés mathématiques.
Les Définitions Explicites
Une proposition est analytique si elle peut être réduite à une vérité logique par substitution de définitions explicites.
Russell et l’Analyse Philosophique
Bertrand Russell fait de l’analyse la méthode philosophique par excellence dans « De la dénotation » et les Principia Mathematica.
L’Analyse Logique
Russell analyse les expressions du langage ordinaire (descriptions définies, noms propres) pour révéler leur structure logique réelle.
Exemple : « L’actuel roi de France est chauve » s’analyse en : « Il existe un x tel que x est roi de France, x est unique, et x est chauve. »
L’Atomisme Logique
Russell propose de décomposer la réalité en « faits atomiques » correspondant aux propositions élémentaires de la logique.
Moore et l’Analyse du Sens Commun
George Edward Moore développe une méthode d’analyse philosophique dans « Principia Ethica » et « La Défense du sens commun ».
L’Analyse Conceptuelle
Moore analyse les concepts moraux (bien, devoir) pour révéler leurs composants et éviter le « sophisme naturaliste. »
La Méthode de l’Analyse
L’analyse philosophique décompose les concepts complexes en éléments simples sans prétendre découvrir des vérités empiriques nouvelles.
Wittgenstein et les Limites de l’Analyse
Ludwig Wittgenstein développe puis critique l’analyse logique entre le Tractus et les Recherches philosophiques.
Le Tractus et l’Analyse Complète
Dans le Tractus logico-philosophicus, Wittgenstein pense qu’on peut analyser complètement le langage jusqu’à atteindre des propositions simples qui décrivent directement la réalité. Chaque phrase complexe pourrait être décomposée en éléments de base.
Les Recherches et l’Abandon de l’Analyse
Dans les Recherches philosophiques, Wittgenstein change radicalement d’avis. Il découvre que les mots n’ont pas d’essence fixe à analyser, mais des usages multiples selon les contextes (« jeux de langage »). Les concepts sont liés par des « ressemblances de famille » plutôt que par des définitions analytiques précises.
Quine et la Critique de l’Analyticité
Willard Van Orman Quine ébranle la distinction analytique/synthétique dans « Deux dogmes de l’empirisme » (1951).
L’Argument de Quine
Quine soutient que la distinction repose sur des notions (synonymie, nécessité logique) qui sont elles-mêmes problématiques et circulaires.
L’Holisme Épistémologique
Nos croyances forment un « tissu » holiste face au tribunal de l’expérience. Même les « vérités analytiques » peuvent être révisées sous la pression empirique.
Les Conséquences
Cette critique remet en question l’idée d’une philosophie analytique pure séparée de la science empirique.
La Philosophie Analytique Contemporaine
Carnap et la Reconstruction Rationnelle
Rudolf Carnap développe l’analyse logique comme « reconstruction rationnelle » des concepts scientifiques dans Der logische Aufbau der Welt.
Grice et l’Analyse du Langage Ordinaire
Paul Grice analyse les implicatures conversationnelles, montrant la complexité de la signification au-delà de la vérité logique.
Kripke et les Vérités Nécessaires A Posteriori
Saul Kripke distingue analyticité (épistémologique) et nécessité (métaphysique), découvrant des vérités nécessaires a posteriori comme « L’eau est H2O. »
L’Analyse en Sciences
Méthode Analytique
Les sciences utilisent massivement la décomposition analytique : analyse chimique, analyse spectrale, analyse statistique.
Réductionnisme
L’idéal analytique inspire le réductionnisme scientifique qui explique le complexe par le simple.
Limites de l’Analyse
L’émergence et la complexité révèlent les limites de l’approche purement analytique en biologie et sciences humaines.
Types d’Analyse
Analyse Conceptuelle
Décomposition des concepts en éléments constitutifs.
Analyse Logique
Révélation de la structure logique sous-jacente aux énoncés.
Analyse Linguistique
Étude des usages ordinaires du langage.
Analyse Formelle
Formalisation mathématique des structures rationnelles.
L’analytique demeure une méthode fondamentale de la rationalité qui révèle les structures implicites de nos concepts et raisonnements. Bien que ses prétentions absolutistes aient été remises en question, elle conserve sa fécondité comme outil de clarification conceptuelle et d’analyse rigoureuse.