Définition et étymologie
Le Theravāda (pāli : थेरवाद, « doctrine des Anciens » ou « enseignement des Anciens ») désigne la plus ancienne école bouddhiste existante, considérée comme la branche conservatrice du bouddhisme primitif. Le terme se compose de thera (« ancien », « aîné ») et vāda (« doctrine », « parole »), soulignant la revendication de cette école à transmettre l’enseignement authentique du Buddha historique, Siddhārtha Gautama, sans ajouts ni modifications substantielles.
Cette école se distingue des autres branches du bouddhisme, notamment du Mahāyāna (« Grand Véhicule »), par son adhésion stricte au Canon pāli (Tipitaka), sa conception de l’arhat comme idéal spirituel, et son insistance sur la discipline monastique (vinaya). Géographiquement, le Theravāda s’est développé principalement au Sri Lanka, en Birmanie, en Thaïlande, au Laos et au Cambodge, où il demeure la forme dominante du bouddhisme.
Le Theravāda dans la philosophie bouddhiste
Le Theravāda représente une orientation philosophique distincte au sein du bouddhisme, fondée sur une analyse rigoureuse de l’expérience et une sotériologie centrée sur l’effort individuel. Contrairement au Mahāyāna qui valorise l’idéal du bodhisattva (l’être voué à l’éveil de tous les êtres), le Theravāda maintient que l’objectif spirituel suprême est l’état d’arhat, celui qui a éliminé toutes les impuretés mentales (kilesa) et atteint le nibbāna (sanskrit : nirvāṇa).
La philosophie theravādin s’articule autour des Quatre Nobles Vérités (cattāri ariyasaccāni) : la vérité de la souffrance (dukkha), de son origine (samudaya), de sa cessation (nirodha), et du chemin qui y mène (magga). Cette structure constitue le cadre analytique fondamental pour comprendre l’existence et la libération.
L’école développe une métaphysique anti-substantialiste rigoureuse, affirmant le caractère impermanent (anicca), insatisfaisant (dukkha), et impersonnel (anattā) de tous les phénomènes. Cette doctrine du anattā (« non-soi ») distingue radicalement le bouddhisme des systèmes philosophiques brahmaniques qui postulent un ātman éternel.
Doctrines et concepts fondamentaux
L’Abhidhamma (sanskrit : Abhidharma), le troisième « panier » du Canon pāli, expose la psychologie et la métaphysique theravādines avec une précision analytique remarquable. Il décompose l’expérience en dhammas (éléments ultimes de réalité), classés en catégories : conscience (citta), facteurs mentaux (cetasika), matière (rūpa), et nibbāna. Buddhaghosa (Ve siècle), dans son œuvre monumentale Visuddhimagga (« Chemin de la Purification »), systématise cette philosophie en un manuel complet de pratique et de doctrine.
La théorie de la production conditionnée (paṭiccasamuppāda) occupe une place centrale : elle explique comment l’ignorance (avijjā) engendre la soif (taṇhā), le devenir (bhava), et finalement la souffrance, formant une chaîne de douze facteurs interdépendants. Cette doctrine évite tant l’éternalisme que le nihilisme, proposant une voie médiane entre l’être et le non-être.
Le Theravāda distingue deux niveaux de vérité : la vérité conventionnelle (sammuti-sacca), qui reconnaît les désignations ordinaires, et la vérité ultime (paramattha-sacca), qui analyse la réalité en termes de dhammas ultimes. Cette distinction permet de concilier l’usage pragmatique du langage avec l’analyse philosophique rigoureuse.
Figures et textes majeurs
Buddhaghosa demeure le commentateur le plus influent du Theravāda. Son Visuddhimagga synthétise les enseignements du Tipitaka et des commentaires anciens, établissant le cadre orthodoxe de l’école. Il systématise les pratiques méditatives (samatha et vipassanā), les stades de purification (visuddhi), et les niveaux de réalisation spirituelle.
Dhammapāla (VIe siècle) composa des sous-commentaires (ṭīkā) approfondissant l’exégèse theravādine. Anuruddha (VIIIe-XIIe siècle) rédigea l’Abhidhammatthasaṅgaha (« Compendium de la philosophie »), manuel concis devenu texte de référence pour l’étude de l’Abhidhamma.
Le Milindapañha (« Questions du roi Milinda ») illustre la sophistication dialectique theravādine à travers les dialogues entre le moine Nāgasena et le roi indo-grec Ménandre Ier, abordant des questions métaphysiques comme l’identité personnelle à travers le temps et la nature du nibbāna.
Dans la période moderne, des maîtres comme Mahāsi Sayadaw (1904-1982) et Ajahn Chah (1918-1992) ont revitalisé la pratique theravādine, insistant sur l’expérience méditative directe (vipassanā) plutôt que sur l’érudition textuelle exclusive. Buddhadāsa Bhikkhu (1906-1993) proposa une réinterprétation moderniste du Theravāda, dégageant les enseignements du Buddha des accretions culturelles et rituelles.
Le Theravāda continue d’exercer une influence philosophique significative, notamment dans les études contemporaines sur la conscience, l’éthique et la phénoménologie bouddhiste, offrant une alternative rigoureuse aux conceptions substantialistes du soi et de la réalité.






