Définition et étymologie
Le Sāmaveda (sanskrit : सामवेद, sāmaveda) désigne le troisième des quatre Védas, les textes sacrés fondateurs de l’hindouisme, consacré essentiellement aux mélodies et aux chants liturgiques utilisés lors des rituels sacrificiels védiques. Le terme se compose de sāman (« mélodie », « chant », « hymne chanté ») et veda (« connaissance », « savoir sacré »), signifiant littéralement « le Veda des mélodies » ou « la connaissance des chants ». Le mot sāman dérive de la racine sā-, évoquant l’idée d’apaiser, pacifier ou honorer par le chant, soulignant la fonction propitiatoire de ces hymnes mélodiques.
Le Sāmaveda constitue le recueil des formules mélodiques destinées à être chantées pendant les cérémonies sacrificielles, particulièrement lors du rituel solennel du soma, où une boisson sacrée fermentée était offerte aux divinités. Contrairement au Ṛgveda, qui contient les hymnes sous forme récitée, le Sāmaveda réorganise une large partie de ce matériel hymnique (environ 75% de ses versets proviennent du Ṛgveda) en fonction de leur adaptation musicale et liturgique. Cette réélaboration transforme la parole poétique en performance sonore rituellement efficace.
Structure et contenu
Le Sāmaveda comprend deux parties principales : l’Ārcika (ou Pūrvārcika et Uttarārcika), collection de 1 549 stances poétiques servant de base textuelle, et le Gāna (Gānārcika), qui présente ces mêmes textes avec leurs notations mélodiques et leurs modifications phonétiques nécessaires à l’exécution chantée. Cette seconde partie contient les instructions pour l’adaptation musicale des hymnes, incluant des syllabes sans signification sémantique (stobha) comme hum, hāu, vāg, insérées pour des raisons rythmiques et mélodiques.
Les hymnes du Sāmaveda sont majoritairement adressés aux divinités centrales du panthéon védique : Indra (le roi des dieux, guerrier cosmique), Agni (le feu sacrificiel, médiateur entre les mondes humain et divin), et Soma (la plante sacrée divinisée et son jus rituellement pressé). Le texte privilégie particulièrement Soma, reflétant l’importance centrale du rituel soma dans la religion védique. Ces hymnes exaltent la puissance des dieux, sollicitent leur protection, leur prospérité et leur assistance, tout en célébrant l’ordre cosmique (ṛta) que maintiennent conjointement les divinités et les rituels correctement exécutés.
Le rôle liturgique et les udgātṛ
Le Sāmaveda était la responsabilité spécifique des prêtres chanteurs appelés udgātṛ (udgātā au singulier), l’une des quatre catégories de prêtres védiques. Tandis que les hotṛ récitaient les hymnes du Ṛgveda, que les adhvaryu accomplissaient les actes rituels prescrits par le Yajurveda, et que les brahman supervisaient l’ensemble en référence à l’Atharvaveda, les udgātṛ avaient pour fonction d’exécuter les chants mélodiques durant les phases cruciales du sacrifice, notamment lors des libations de soma.
L’exécution des sāman requérait une formation technique considérable. Les mélodies védiques (gāna) utilisaient un système musical complexe basé sur trois notes principales (svara) : udātta (élevée), anudātta (basse) et svarita (moyenne ou descendante). Les textes annexes du Sāmaveda, appelés Gānagātha, transmettaient oralement les traditions mélodiques de différentes écoles (śākhā), chacune préservant ses propres variantes d’exécution. Cette diversité reflète la nature décentralisée de la tradition védique, où différentes lignées brahmaniques maintenaient leurs propres corpus et pratiques.
Dimension cosmologique et symbolique
Au-delà de sa fonction liturgique immédiate, le Sāmaveda acquiert dans les Brāhmaṇas (textes rituels exégétiques) et les Upanishads une dimension cosmologique et mystique. Le chant sacré (sāman) est identifié au souffle vital (prāṇa), au soleil, à la parole créatrice (vāc), et ultimement au Brahman lui-même. La Chāndogya Upanishad, l’une des plus anciennes et importantes Upanishads rattachée au Sāmaveda, consacre ses premiers chapitres à l’exploration symbolique du udgītha (le chant sacré OM ou le sāman lui-même).
Dans cette Upanishad, l’udgītha est médité comme l’essence de toute existence : « Le soleil là-haut est l’udgītha, l’OM est l’udgītha. » Cette identification établit une correspondance entre le macrocosme (l’univers) et le microcosme (l’individu, le rituel). La méditation (upāsana) sur le sāman devient une voie de connaissance spirituelle : comprendre les correspondances secrètes entre les éléments du chant et les principes cosmiques confère pouvoir et réalisation. Le passage célèbre « Tat tvam asi » (« Tu es cela »), proclamant l’identité entre l’Ātman et le Brahman, apparaît précisément dans cette Upanishad du Sāmaveda.
Place dans l’histoire de la pensée indienne
La Chāndogya Upanishad, associée au Sāmaveda, contient certains des enseignements philosophiques les plus profonds et influents de toute la littérature upanishadique. Le dialogue entre le sage Uddālaka Āruṇi et son fils Śvetaketu y développe une cosmogonie moniste où tout l’univers émane du Sat (l’Être pur) : « En vérité, au commencement, il n’y avait que l’Être, un sans second. » Cette vision influence directement le développement ultérieur du Vedānta, particulièrement l’Advaita.
La Kena Upanishad, également rattachée au Sāmaveda, explore la nature du Brahman comme ce qui « fait entendre l’oreille, penser le mental », soulignant que l’Absolu transcende les facultés cognitives tout en les rendant possibles. Cette réflexion épistémologique subtile anticipe les débats philosophiques ultérieurs sur les limites de la connaissance conceptuelle.
Transmission et influence culturelle
Le Sāmaveda représente l’une des plus anciennes traditions musicales documentées au monde. Bien que les mélodies exactes soient sujettes à débat en raison de la transmission orale et des variations régionales, la tradition du chant védique (vedapāṭha) persiste encore aujourd’hui dans certaines communautés brahmaniques, particulièrement en Inde du Sud. L’UNESCO a reconnu en 2003 la tradition du chant védique comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité, soulignant l’importance historique de cette transmission millénaire.
Dans la pensée indienne classique, le Sāmaveda occupe une place symbolique particulière. La Bhagavad-Gītā fait déclarer à Krishna : « Parmi les Védas, je suis le Sāmaveda » (10.22), suggérant une prééminence due à la dimension esthétique et émotionnelle du chant, qui touche le cœur plus directement que la simple récitation. Cette valorisation du sāman comme forme supérieure d’expression sacrée reflète la reconnaissance indienne de la musique et du son (nāda) comme manifestations privilégiées du divin, préfigurant le développement ultérieur de doctrines tantriques où le son primordial structure la réalité elle-même.









