Définition et étymologie
Le Mahāyāna (sanskrit : महायान, « Grand Véhicule ») désigne l’une des deux branches majeures du bouddhisme, apparue vers le Ier siècle de notre ère. Le terme se compose de mahā (« grand ») et yāna (« véhicule », « moyen de transport »), métaphore évoquant un navire capable de transporter un grand nombre d’êtres vers l’éveil. Cette appellation contraste délibérément avec le terme polémique Hīnayāna (« Petit Véhicule ») que les mahāyānistes appliquèrent aux écoles anciennes, notamment au Theravāda.
Le Mahāyāna ne constitue pas une école unifiée mais un mouvement regroupant diverses traditions philosophiques et pratiques, partageant certains textes (sūtra mahāyāniques) et orientations doctrinales communes. Géographiquement, il s’est développé en Chine, au Japon, en Corée, au Tibet, au Vietnam et en Mongolie, donnant naissance à des traditions variées comme le Chan/Zen, la Terre Pure, le Vajrayāna tibétain, et le bouddhisme de Nichiren.
Émergence et caractéristiques philosophiques
Le Mahāyāna émergea comme mouvement réformateur au sein du bouddhisme indien, produisant de nouveaux textes présentés comme des enseignements authentiques du Buddha, révélés à des moments opportuns. Les Prajñāpāramitā Sūtra (« Sūtra de la Perfection de Sagesse ») figurent parmi les plus anciens, introduisant la doctrine de la vacuité (śūnyatā) et l’idéal du bodhisattva.
L’innovation philosophique majeure du Mahāyāna réside dans sa conception de l’idéal spirituel : plutôt que l’arhat qui atteint le nirvāṇa pour lui-même, le bodhisattva retarde sa libération finale par compassion (karuṇā), vouant d’innombrables vies à aider tous les êtres sensibles à atteindre l’éveil. Ce changement d’orientation reflète une philosophie sotériologique universaliste, affirmant que tous les êtres possèdent la nature de Buddha (tathāgatagarbha) et peuvent réaliser la bouddhéité complète.
Le Mahāyāna développe également une christologie bouddhique sophistiquée à travers la doctrine des trois corps (trikāya) : le dharmakāya (corps de vérité absolue), le sambhogakāya (corps de jouissance céleste), et le nirmāṇakāya (corps de manifestation terrestre). Cette théorie permet de concilier l’historicité du Buddha Śākyamuni avec sa dimension transcendante et métaphysique.
Doctrines et concepts fondamentaux
La doctrine de la vacuité (śūnyatā) constitue le pivot de la métaphysique mahāyānique. Elle affirme que tous les phénomènes sont dépourvus d’existence intrinsèque (svabhāva), existant uniquement par interdépendance (pratītyasamutpāda). Cette position radicale dépasse le simple anātman (non-soi personnel) du bouddhisme ancien pour affirmer le dharmanairātmya (absence de soi dans tous les phénomènes).
Le Prajñāpāramitāhṛdaya Sūtra (« Sūtra du Cœur ») résume cette vision : « La forme est vacuité, la vacuité est forme » (rūpaṃ śūnyatā śūnyataiva rūpam), identifiant le plan phénoménal (saṃsāra) et le plan absolu (nirvāṇa). Cette non-dualité fondamentale distingue le Mahāyāna des approches plus dualistes.
La voie du bodhisattva s’articule en dix étapes (bhūmi) et six perfections (pāramitā) : générosité (dāna), discipline éthique (śīla), patience (kṣānti), énergie (vīrya), méditation (dhyāna), et sagesse (prajñā). Cette dernière, la connaissance directe de la vacuité, occupe la position suprême, transcendant les autres vertus.
Écoles philosophiques majeures
L’école Mādhyamaka (« Voie médiane »), fondée par Nāgārjuna (IIe-IIIe siècle), représente la systématisation philosophique la plus influente de la doctrine de vacuité. Dans ses Mūlamadhyamakakārikā (« Stances fondamentales de la Voie médiane »), Nāgārjuna démontre par réduction à l’absurde (prasaṅga) l’impossibilité logique de l’existence inhérente, établissant la vacuité comme nature ultime du réel. Candrakīrti (VIIe siècle) consolida cette tradition, distinguant vérité conventionnelle (saṃvṛti-satya) et vérité ultime (paramārtha-satya).
L’école Yogācāra (« Pratique du yoga »), développée par Asaṅga et Vasubandhu (IVe-Ve siècle), propose une orientation idéaliste, affirmant que seule la conscience (vijñāna) possède une réalité véritable. La doctrine de vijñaptimātra (« rien que conscience ») analyse l’expérience en huit types de conscience, dont l’ālayavijñāna (conscience-réceptacle) stockant les semences karmiques. Cette école explore la phénoménologie de l’esprit avec une sophistication remarquable.
Le Laṅkāvatāra Sūtra introduit la notion de tathāgatagarbha (« matrice de l’Ainsi-Venu »), affirmant que tous les êtres possèdent intrinsèquement la nature de Buddha, bien qu’obscurcie par les souillures adventices. Cette doctrine, développée dans le Ratnagotravibhāga, influence profondément le bouddhisme d’Asie orientale, notamment les écoles Chan/Zen et Terre Pure.
Influence et développements
En Chine, le Mahāyāna prend une couleur chinoise à travers des figures comme Zhiyi (538-597), fondateur de l’école Tiantai, qui harmonisa les enseignements bouddhiques en système hiérarchique, et Fazang (643-712), architecte de la philosophie Huayan sur l’interpénétration universelle (shishi wuai). Le Chan, transmis légendairement par Bodhidharma, privilégie la réalisation directe au-delà des écritures.
Au Japon, Kūkai (774-835) introduisit le bouddhisme ésotérique Shingon, tandis que Dōgen (1200-1253) établit le Zen Sōtō, enseignant que la pratique assise (zazen) est elle-même l’éveil. Shinran (1173-1263) fonda la Vraie Terre Pure (Jōdo Shinshū), radicalisant la doctrine de la grâce du Buddha Amida.
Le Mahāyāna continue d’influencer la philosophie contemporaine, notamment dans les dialogues entre bouddhisme et phénoménologie (Nishida Kitarō), philosophie du processus, et études sur la conscience et la cognition.







