Définition et origine
Le canon pali désigne l’ensemble des textes sacrés du bouddhisme theravāda, rédigés dans la langue pali, un idiome indo-aryen apparenté au sanskrit. Ce corpus scripturaire, également appelé Tipitaka (« les Trois Corbeilles » en pali), constitue la collection la plus ancienne et la plus complète des enseignements attribués au Bouddha historique, Siddhārtha Gautama.
Le terme « pali » signifie littéralement « ligne » ou « texte », désignant la langue dans laquelle ces écritures furent transmises oralement pendant plusieurs siècles avant d’être consignées par écrit au Sri Lanka, au Ier siècle avant notre ère. Le mot « canon » provient du grec kanôn (« règle », « norme »), soulignant la fonction normative de ces textes pour la communauté monastique et les pratiquants du bouddhisme theravāda.
Structure du Tipitaka
Le canon pali s’organise en trois grandes divisions ou « corbeilles » (pitaka), qui reflètent les aspects fondamentaux de la doctrine bouddhique :
Le Vinaya Pitaka (« Corbeille de la discipline ») contient les règles monastiques régissant la vie des moines et des moniales, incluant le Patimokkha (code disciplinaire détaillé) et les récits historiques expliquant l’origine de chaque règle.
Le Sutta Pitaka (« Corbeille des discours ») rassemble les enseignements doctrinaux du Bouddha sous forme de dialogues et de sermons. Cette section comprend cinq nikāya (collections) dont le Dīgha Nikāya (longs discours), le Majjhima Nikāya (discours moyens), le Saṃyutta Nikāya (discours groupés), l’Aṅguttara Nikāya (discours numériques) et le Khuddaka Nikāya (textes brefs), qui inclut des œuvres célèbres comme le Dhammapada et le Sutta Nipāta.
L’Abhidhamma Pitaka (« Corbeille de la doctrine supérieure ») présente une analyse systématique et philosophique des enseignements, décortiquant les phénomènes mentaux et physiques selon une méthodologie rigoureuse. Cette section, composée de sept traités, constitue une véritable psychologie et métaphysique bouddhiques.
Portée philosophique
Le canon pali renferme les fondements doctrinaux du bouddhisme primitif. Les Quatre Nobles Vérités (cattāri ariyasaccāni) y sont exposées : la vérité de la souffrance (dukkha), de son origine (le désir ou taṇhā), de sa cessation (nirodha) et du chemin menant à cette cessation (le Noble Sentier Octuple). Ce dernier comprend la vue juste, l’intention juste, la parole juste, l’action juste, les moyens d’existence justes, l’effort juste, l’attention juste et la concentration juste.
La doctrine de l’anattā (non-soi) constitue l’un des piliers philosophiques du canon. Contrairement aux systèmes védantiques qui postulent un ātman éternel, le Bouddha enseigne qu’aucune substance permanente ne sous-tend l’existence individuelle. L’être humain se compose de cinq agrégats (khandha) : forme matérielle, sensation, perception, formations mentales et conscience, tous impermanents et dépourvus de nature intrinsèque.
Le concept d’anicca (impermanence) parcourt l’ensemble du canon. Tous les phénomènes conditionnés (saṅkhāra) sont soumis au changement perpétuel, ce qui engendre inévitablement la souffrance lorsqu’on s’attache à eux. Cette compréhension mène à la doctrine de la coproduction conditionnée (paṭiccasamuppāda), qui explique l’enchaînement causal des phénomènes à travers douze liens interdépendants.
Usage et interprétation
Le canon pali sert de référence doctrinale pour le bouddhisme theravāda, pratiqué principalement au Sri Lanka, en Birmanie, en Thaïlande, au Laos et au Cambodge. Des érudits comme Buddhaghosa (Ve siècle) ont produit des commentaires (aṭṭhakathā) exhaustifs de ces textes, établissant une tradition exégétique sophistiquée.
Dans le champ des études bouddhiques modernes, des chercheurs comme Hermann Oldenberg, Thomas William Rhys Davids et Caroline Rhys Davids ont entrepris la traduction systématique du canon pali en langues occidentales dès le XIXe siècle. Plus récemment, des philosophes comme Edward Conze, Rupert Gethin et Bhikkhu Bodhi ont analysé les dimensions épistémologiques et métaphysiques de ces textes.
Le canon pali propose une voie de libération (magga) fondée sur la compréhension directe de la réalité plutôt que sur la spéculation métaphysique. Le Bouddha y refuse explicitement de répondre à quatorze questions considérées comme indéterminées (avyākata), telles que l’éternité ou la finitude du monde, privilégiant une approche pragmatique orientée vers la cessation de la souffrance.
Cette collection scripturaire demeure un document philosophique majeur, offrant une alternative aux conceptions substantialistes de l’être et proposant une analyse phénoménologique avant la lettre de l’expérience consciente et de ses conditionnements.








