Définition et étymologie
Allah est le nom propre de Dieu dans la tradition islamique, désignant l’être suprême unique, créateur et souverain de l’univers. Le terme provient de l’arabe classique « Allāh » (الله), résultant de la contraction de « al-ilāh » (الإله), signifiant littéralement « le Dieu » ou « la Divinité ». Cette étymologie révèle l’affirmation du monothéisme radical : il n’existe qu’un seul Dieu, absolu et transcendant. Le mot « ilāh » partage une racine sémitique commune avec l’hébreu « Elohim » et l’araméen « Alaha« , témoignant de l’héritage abrahamique partagé. Dans la conception islamique, Allah possède quatre-vingt-dix-neuf noms ou attributs (al-asmā’ al-husnā, les « plus beaux noms »), chacun révélant une facette de sa nature divine : le Miséricordieux (ar-Rahmān), le Juste (al-‘Adl), l’Omniscient (al-‘Alīm), le Créateur (al-Khāliq).
Usage philosophique dans la tradition islamique
La notion d’Allah constitue le fondement de la philosophie islamique classique, donnant naissance à des débats métaphysiques d’une rare profondeur. Les philosophes musulmans médiévaux, ou falāsifa, ont élaboré des systèmes complexes pour penser rationnellement l’être divin. Avicenne (Ibn Sīnā, 980-1037) développe une théologie rationnelle où Allah est conçu comme l’Être nécessaire (wājib al-wujūd), dont l’essence est identique à l’existence. Cette distinction entre être nécessaire et être contingent devient centrale : Allah existe nécessairement par lui-même, tandis que toute création n’existe que par participation à cette nécessité première. Cette conceptualisation influence durablement la scolastique chrétienne, notamment Thomas d’Aquin.
Averroès (Ibn Rushd, 1126-1198) approfondit la réflexion sur les attributs divins en tentant de concilier la révélation coranique avec la philosophie aristotélicienne. Il défend l’idée qu’Allah, en tant qu’intellect pur, se pense lui-même et que cette auto-contemplation constitue la béatitude suprême. Sa théorie de l’intellect agent unique suscite des controverses majeures, car elle semble mettre en tension l’unicité divine avec la multiplicité des intellects humains.
Les théologiens du Kalām et les débats sur les attributs
Les mutakallimūn, théologiens rationalistes du Kalām, engagent des controverses subtiles sur la nature des attributs divins. La question centrale oppose deux écoles : les Mu’tazilites, défenseurs d’un rationalisme strict, affirment que les attributs d’Allah ne sont pas distincts de son essence, évitant ainsi tout risque de multiplicité dans l’Un. Les Ash’arites, plus orthodoxes, maintiennent que les attributs sont réels tout en préservant l’unicité divine, développant une théologie de la coexistence mystérieuse entre unité et diversité attributive.
Al-Ghazali (1058-1111) représente un tournant critique. Dans sa « Réfutation des philosophes » (Tahāfut al-Falāsifa), il conteste les prétentions rationalistes excessives concernant la connaissance d’Allah. Il critique notamment l’idée averroïste selon laquelle Dieu ne connaîtrait que les universaux et non les particuliers, affirmant au contraire qu’Allah possède une connaissance absolue et détaillée de toute création. Pour al-Ghazali, la compréhension d’Allah nécessite non seulement la raison mais aussi l’expérience mystique directe.
Questions métaphysiques fondamentales
La conception d’Allah soulève des problématiques philosophiques essentielles. La question de la causalité divine interroge : si Allah est cause première absolue, quelle autonomie reste-t-il aux causes secondes ? Les occasionalistes comme al-Ghazali nient toute causalité naturelle, affirmant qu’Allah crée directement chaque événement à chaque instant. Cette position influence les débats ultérieurs sur le déterminisme et le libre arbitre.
Le problème du mal constitue un défi majeur : comment concilier l’omnipotence et la bonté d’Allah avec l’existence du mal ? Les Mu’tazilites développent une théodicée fondée sur la justice divine obligatoire, tandis que les Ash’arites insistent sur la transcendance absolue d’Allah, dont la volonté définit le bien et le mal sans être soumise à une norme externe.
La transcendance divine (tanzīh) s’oppose au risque d’anthropomorphisme. Les philosophes musulmans élaborent une théologie négative : on ne peut dire ce qu’Allah est, seulement ce qu’il n’est pas. Cette apophatisme rappelle les traditions néoplatoniciennes et influencera Maïmonide dans la pensée juive.
Pertinence pour la philosophie contemporaine
Dans les débats contemporains de philosophie de la religion, la conception islamique d’Allah offre des perspectives distinctes sur le théisme classique. Les discussions sur l’immuabilité divine, la simplicité divine et la théologie du processus trouvent dans la tradition islamique des arguments nuancés. La notion d’un Dieu radicalement un, sans incarnation ni trinité, représente une forme pure de monothéisme philosophique dont l’examen enrichit la réflexion comparative sur les conceptions du divin.








