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|---|---|
| Nom d’origine | Zaraθuštra (avestique) – زرتشت (persan) |
| Nom anglais | Zoroaster |
| Origine | Iran oriental ou Bactriane (Afghanistan actuel) |
| Importance | ★★★★★ |
| Courants | Prophétisme iranien, mazdéisme |
| Thèmes | Ahura Mazda, dualisme cosmique, libre arbitre, jugement dernier, résurrection |
Figure majeure de l’histoire religieuse, Zoroastre demeure l’un des prophètes les plus énigmatiques de l’Antiquité.
En raccourci
Zoroastre apparaît dans l’histoire comme le fondateur d’une religion qui transforme la pensée iranienne. Selon la tradition, il naît dans l’est de l’Iran ou en Bactriane entre le XVe et le VIe siècle avant notre ère. Les sources divergent sur ces dates.
Formé comme prêtre dans la religion traditionnelle iranienne, il connaît vers l’âge de trente ans une série de visions où lui apparaît Ahura Mazda, le Seigneur Sage. Cette révélation le conduit à prêcher un monothéisme qui place ce dieu unique au sommet de la création et oppose l’esprit bénéfique à l’esprit destructeur dans un dualisme moral.
Après des années de prédication difficile, il trouve protection auprès du roi Vishtaspa qui se convertit et favorise la diffusion du zoroastrisme. Les hymnes composés par le prophète, les Gathas, constituent le noyau le plus ancien de l’Avesta et transmettent ses enseignements sur le libre arbitre, la responsabilité éthique et le jugement après la mort.
Son influence dépasse largement les frontières de l’Iran antique. Les concepts qu’il développe – jugement dernier, résurrection, paradis et enfer, combat entre le bien et le mal – imprègnent profondément le judaïsme pendant l’exil babylonien, puis le christianisme et l’islam. La pensée européenne le redécouvre au XVIIIe siècle grâce aux travaux d’Anquetil-Duperron.
Origines incertaines et formation sacerdotale
Un prophète entre mythe et histoire
L’existence même de Zoroastre a longtemps divisé les chercheurs. Les sources le concernant restent fragmentaires et souvent contradictoires. La tradition zoroastrienne situait sa vie au VIIe siècle avant notre ère, précisément entre 660 et 583 selon les calculs des prêtres parsis. Cette chronologie reposait sur un décompte générationnel remontant à partir d’Alexandre le Grand. Les auteurs grecs anciens, fascinés par ce personnage, le plaçaient tantôt « six mille ans avant Alexandre », créant une figure quasi mythologique, tantôt à des époques plus récentes.
Les travaux philologiques modernes bouleversent ces datations traditionnelles. L’analyse linguistique des Gathas, les hymnes attribués au prophète, montre un dialecte aussi archaïque que celui du Rig-Veda indien. Cette observation conduit plusieurs spécialistes à situer Zoroastre entre le XVe et le XIe siècle avant notre ère, soit presque un millénaire plus tôt que ne l’affirmait la tradition. L’incertitude demeure considérable et les dates proposées varient selon les hypothèses, certains chercheurs penchant pour une période comprise entre 1500 et 1000, d’autres maintenant les VIIe-VIe siècles.
Son lieu de naissance est tout aussi disputé. Les sources grecques l’appellent « le Bactrien », suggérant une origine dans la région correspondant au nord de l’Afghanistan actuel. D’autres traditions le font naître dans le nord-est de l’Iran, peut-être près de l’actuelle ville de Rhagès. Quoi qu’il en soit, le contexte géographique reste celui des steppes et plateaux de l’Iran oriental, loin des grands centres urbains de l’époque.
Formation dans la caste sacerdotale
Zoroastre appartenait à la famille Spitama. Son père Pourushaspa exerçait probablement les fonctions de prêtre, position sociale qui explique l’éducation religieuse approfondie reçue par le jeune homme. Sa mère portait le nom de Dughdova. Cette appartenance à une lignée sacerdotale détermine sa trajectoire initiale, les fils suivant généralement la profession paternelle dans les sociétés anciennes.
Formé dès l’adolescence aux pratiques rituelles, il devient prêtre à quinze ans. La religion iranienne primitive qu’il pratique alors s’organise autour d’un panthéon complexe de divinités, les daivas. Les célébrations comportent des sacrifices d’animaux, notamment de bovins, et l’utilisation du haoma, breuvage sacré aux propriétés enivrantes. Les prêtres, appelés karpans et kawis selon leur fonction, détiennent un pouvoir considérable dans ces sociétés pastorales et guerrières. Leurs sanctuaires, les temples du feu, accueillent les offrandes qui enrichissent progressivement la caste sacerdotale.
À vingt ans, Zoroastre quitte sa famille et sa région natale. Cette rupture initiale annonce déjà une trajectoire singulière, un parcours qui le mènera loin des sentiers tracés.
Révélation divine et rupture prophétique
La vision d’Ahura Mazda
Vers l’âge de trente ans survient l’événement fondateur de sa vie spirituelle. Zoroastre connaît une série de visions où lui apparaît Vohu Manah (la Bonne Pensée), qui le conduit devant Ahura Mazda, le Seigneur Sage. Cette première rencontre se prolonge en plusieurs entretiens visionnaires étalés sur une décennie. Dans les Gathas, le prophète évoque lui-même ces moments décisifs où le dieu suprême lui confie la mission de réformer la religion iranienne.
Ahura Mazda se révèle comme l’unique créateur, l’ordonnateur du chaos primordial, maître absolu de la création. Cette révélation monothéiste rompt avec le polythéisme ambiant. Autour du dieu suprême gravitent les Amesha Spenta (Immortels Bénéfiques), six entités divines personnifiant des vertus : la Bonne Pensée, la Rectitude, l’Empire Désirable, la Dévotion, l’Intégrité et l’Immortalité. Ces figures ne sont pas de simples abstractions mais des puissances dignes de culte.
La cosmologie zoroastrienne qui se dégage de ces révélations repose sur un dualisme éthique. Ahura Mazda a engendré deux esprits jumeaux : Spenta Mainyu (l’Esprit Bénéfique) et Angra Mainyu (l’Esprit Destructeur, plus tard appelé Ahriman). Le second a choisi librement le mensonge et la mort, s’opposant ainsi au premier qui incarne la vérité et la vie. Cette opposition ne résulte pas d’une nécessité ontologique mais d’un choix moral, introduisant le concept fondamental de libre arbitre dans l’univers créé.
Prédication et opposition
Fort de cette révélation, Zoroastre commence à prêcher. Son message bouscule l’ordre établi. Il élève Ahura Mazda au rang de dieu unique, reléguant les anciennes divinités au statut d’entités secondaires, voire de démons trompeurs. Il condamne les sacrifices sanglants de bovins, pratique centrale des rituels traditionnels, et critique l’usage orgiaque du haoma. À cette religion aristocratique et guerrière, il oppose une éthique fondée sur trois piliers : bonnes pensées, bonnes paroles, bonnes actions.
La réaction des autorités religieuses est violente. Les prêtres de l’ancien culte voient leur pouvoir menacé par ce réformateur qui dénonce leurs pratiques. Les Gathas témoignent des persécutions subies : « Vers quelle contrée irai-je avec mes sectateurs ? Nul ne m’honore, des tyrans dominent les contrées. Moi je suis faible et sans ressource au milieu d’hommes faibles. » Le prophète est contraint à l’exil, chassé de sa région natale par l’hostilité qu’il suscite.
Ses enseignements valorisent la vie sédentaire agricole face au nomadisme pastoral, le respect des animaux face aux sacrifices, la justice sociale face aux privilèges guerriers. Cette dimension éthique et sociale du message zoroastrien explique en partie la résistance des élites traditionnelles, peu disposées à abandonner leurs prérogatives.
Conversion royale et expansion
Le patronage de Vishtaspa
Après des années d’errance et de prédication infructueuse, Zoroastre trouve enfin un protecteur. Vers quarante-deux ans, il arrive en Bactriane à la cour du roi Vishtaspa (Hystaspès en grec), souverain d’un petit royaume aux confins orientaux du monde iranien. Les circonstances de cette rencontre restent enveloppées de légende, mais le résultat s’avère décisif pour l’avenir du zoroastrisme.
Selon la tradition rapportée dans les textes plus tardifs, le prophète guérit le cheval favori du roi, atteint d’une mystérieuse paralysie. Ce miracle ouvre les portes de la conversion. Vishtaspa et son épouse Hutaosa adoptent les enseignements zoroastriens et en font la religion officielle de leur royaume. Cette protection royale permet enfin au message prophétique de se diffuser sans entrave.
L’identification de ce Vishtaspa demeure controversée. Certains chercheurs ont voulu y voir le père de Darius Ier, ce qui daterait Zoroastre du VIe siècle. Cependant, l’inscription de Behistun, où Darius énumère ses ancêtres et ses hauts faits, ne mentionne aucun lien avec le prophète. Il s’agit plus vraisemblablement d’un homonyme, roi d’un territoire marginal bien éloigné des grandes dynasties achéménides qui domineront plus tard l’Iran.
Établissement d’une communauté
Sous la protection royale, Zoroastre organise sa communauté. Il épouse trois femmes successives : ses deux premières unions lui donnent trois fils (Isat Vastra, Urvatat-Nara et Hvare Chithra) et trois filles (Freni, Thriti et Pouruchista). Sa troisième épouse, Hvovi, reste sans enfant mais devient l’une de ses disciples les plus proches. Plusieurs membres de son entourage immédiat adoptent le nouveau culte : Frashaostra, son beau-père et ami fidèle, Jamaspa Hvogva qui épouse l’une de ses filles et devient ministre de Vishtaspa.
Les traditions font état de guerres religieuses menées par Vishtaspa pour imposer le zoroastrisme aux peuples vaincus. Ces récits épiques témoignent de la dimension politique que prend rapidement le mouvement religieux. La conversion d’un royaume, même modeste, offre au prophète les moyens matériels et l’autorité nécessaires pour consolider sa doctrine et former des disciples capables de poursuivre son œuvre.
Zoroastre vit jusqu’à un âge avancé, entre soixante-dix et quatre-vingts ans selon les sources. Sa mort reste entourée d’incertitude. La version la plus répandue raconte qu’un prêtre de l’ancien culte nommé Braderès l’assassine pendant qu’il célèbre un rituel devant un autel. D’autres traditions évoquent un soldat touranien ou une mort naturelle liée au grand âge.
Héritage textuel et doctrinal
Les Gathas et l’Avesta
L’essentiel de ce que nous savons de Zoroastre provient des Gathas, dix-sept hymnes composés en vieil-avestique, la langue la plus archaïque de l’Iran ancien. Ces poèmes liturgiques, intégrés au Yasna (partie centrale de l’Avesta), constituent le noyau originel du zoroastrisme. Leur style poétique dense, leurs allusions personnelles et leur langue difficile les distinguent nettement du reste du corpus avestique, confirmant leur ancienneté.
Dans ces textes, Zoroastre parle à la première personne, évoque ses difficultés, mentionne ses proches par leur nom. Cette dimension autobiographique tranche avec le caractère mythologique des récits ultérieurs. Les Gathas développent une pensée théologique cohérente autour d’Ahura Mazda, exposent le dualisme éthique, affirment la responsabilité morale de chaque humain.
L’Avesta dans son ensemble rassemble des textes d’époques différentes. Outre les Gathas, il comprend le Yasna Haptanghaiti (prose liturgique), les Yashts (hymnes aux divinités), le Vendidad (code de pureté rituelle) et d’autres sections. L’Avesta que nous connaissons aujourd’hui ne représente qu’une fraction de l’original. Alexandre le Grand, après sa conquête de la Perse, aurait ordonné la destruction des bibliothèques zoroastriennes, ne conservant que les traités scientifiques à traduire. Les Parthes puis les Sassanides entreprirent de reconstituer les textes à partir de traditions orales et de fragments épars.
La mise par écrit définitive date de l’époque sassanide (IIIe-VIIe siècles), moment où le zoroastrisme devient religion d’État de l’empire perse. La création de l’alphabet avestique permet enfin de fixer ces traditions millénaires dont la transmission orale avait assuré la survie pendant des siècles.
Concepts doctrinaux fondamentaux
La pensée zoroastrienne articule plusieurs concepts qui marqueront profondément l’histoire religieuse. Le monothéisme qu’elle proclame place Ahura Mazda en créateur unique, organisateur du cosmos, source de tout bien. Ce dieu transcendant reste accessible par la prière et l’éthique personnelle, établissant une relation directe entre le divin et l’humain.
Le dualisme zoroastrien oppose asha (vérité, ordre cosmique) à druj (mensonge, chaos). Cette opposition structure l’univers et la morale. Chaque être humain doit choisir son camp par ses pensées, paroles et actions. Cette doctrine du libre arbitre confère à l’humanité une dignité et une responsabilité considérables : l’homme participe activement au combat cosmique, il n’est pas simple spectateur d’un conflit qui le dépasse.
L’eschatologie zoroastrienne introduit des notions promises à une grande postérité. Après la mort, l’âme traverse le pont Chinvat qui sépare ce monde de l’au-delà. Le jugement individuel s’opère selon la balance des actes : les justes accèdent au paradis (Garothman, la Maison des Chants), les méchants tombent en enfer. Cette rétribution post-mortem s’inscrit dans une temporalité limitée – l’enfer n’est pas éternel car Ahura Mazda, infiniment bon, finira par racheter toutes les âmes.
Au-delà du jugement individuel, le zoroastrisme annonce une eschatologie collective. À la fin des temps, un sauveur (Saoshyant) présidera à la résurrection universelle des morts et à la transfiguration du monde. Le mal sera définitivement vaincu, l’univers matériel disparaîtra, remplacé par un royaume spirituel de pure lumière. Cette vision linéaire du temps, orientée vers un accomplissement final, rompt avec les conceptions cycliques dominantes dans les pensées anciennes.
Influence sur les religions abrahamiques
Contacts avec le judaïsme
L’influence du zoroastrisme sur le judaïsme s’exerce principalement pendant et après l’exil babylonien (597-538 av. J.-C.). Cyrus le Grand, empereur perse zoroastrien, libère les Juifs de Babylone en 539 et autorise la reconstruction du Second Temple de Jérusalem. Les textes bibliques gardent une image exceptionnellement positive de ce souverain, parfois qualifié de « messie » ou d’oint du Seigneur.
Pendant les deux siècles de domination perse achéménide sur la Judée, les contacts entre élites juives et pensée iranienne s’intensifient. Des concepts absents de la Bible hébraïque ancienne apparaissent dans les écrits postérieurs à l’exil : anges et démons organisés hiérarchiquement, Satan comme adversaire de Dieu, jugement dernier, résurrection des morts, paradis et enfer, messianisme eschatologique. Ces thèmes, centraux dans le zoroastrisme, imprègnent progressivement la littérature juive tardive, notamment les textes apocalyptiques et les manuscrits de Qumrân.
L’historien Geo Widengren et le spécialiste Jacques Duchesne-Guillemin, deux autorités du XXe siècle sur le zoroastrisme, ont documenté ces parallèles. Le cardinal Franz König, lors d’une conférence historique à Téhéran en 1976, reconnaissait officiellement que le christianisme avait « assimilé certains éléments des idées de Zoroastre à travers l’Ancien Testament ».
Transmission au christianisme et à l’islam
Le christianisme hérite du judaïsme ces concepts d’origine zoroastrienne. L’Évangile selon Matthieu rapporte la visite des « mages venus d’Orient » à l’enfant Jésus. Ces mages étaient vraisemblablement des prêtres zoroastriens, les mobads, reconnaissables à leur science astrologique. Cette scène symbolise peut-être l’allégeance de l’ancien monothéisme iranien au nouveau, suggérant une filiation spirituelle consciente.
Les similitudes théologiques entre zoroastrisme et christianisme frappent les observateurs : combat cosmique entre bien et mal, figure d’un rédempteur descendu sur terre pour sauver l’humanité, résurrection et transfiguration finale du monde, jugement dernier, rétribution posthume. Le culte du feu, la pratique de la confession, la réversibilité des mérites justifiant la prière pour les défunts : autant d’éléments communs aux deux religions.
L’islam, dernière venue des religions abrahamiques, porte aussi la marque de l’héritage zoroastrien. Les historiens musulmans médiévaux connaissaient Zoroastre et en parlaient avec respect, quoique critiquant certains aspects du mazdéisme. Les thèmes eschatologiques, l’angélologie, le dualisme moral trouvent dans l’islam des échos qui témoignent d’une influence indirecte mais réelle du prophète iranien.
Cette transmission ne signifie pas une simple copie. Chaque religion a transformé, réinterprété, approfondi les concepts hérités, les intégrant dans des systèmes théologiques originaux. Néanmoins, la dette envers la révélation zoroastrienne demeure considérable, même si longtemps méconnue ou niée.
Redécouverte européenne et postérité moderne
L’aventure d’Anquetil-Duperron
L’Europe médiévale et renaissante connaît Zoroastre par les auteurs grecs et latins, mais ignore tout de ses textes. La découverte en 1723 d’un manuscrit avestique à la bibliothèque bodléienne d’Oxford suscite un intérêt nouveau. Abraham-Hyacinthe Anquetil-Duperron (1731-1805) entreprend alors une aventure extraordinaire. À vingt-trois ans, refusant d’attendre des subsides hypothétiques, il s’engage comme soldat dans la Compagnie française des Indes et embarque pour l’Inde en 1755.
Pendant six années, il séjourne à Pondichéry et Surate, apprend le persan, le pehlevi et l’avestique auprès des prêtres parsis. Ces zoroastriens, descendants de Perses ayant fui la conquête arabe musulmane au VIIIe siècle, conservaient jalousement leurs manuscrits sacrés. Anquetil-Duperron réussit à gagner leur confiance et obtient l’accès aux textes, qu’il copie minutieusement avec l’aide des destours (prêtres érudits).
De retour en France en 1761, il dépose à la Bibliothèque royale près de cent quatre-vingts manuscrits. Sa traduction du Zend-Avesta paraît en 1771, événement majeur dans l’histoire de l’orientalisme. Cependant, la réception s’avère houleuse. Voltaire et d’autres philosophes des Lumières accablent le traducteur. Ils attendaient une sagesse déiste éclairée, un Zoroastre philosophe concurrent de Moïse. À la place, ils découvrent des rituels complexes, des prescriptions de pureté minutieuses, une démonologie élaborée. Voltaire qualifie le texte d’« abominable fatras » et accuse Anquetil d’imposture.
Cette déception initiale retarde la reconnaissance du travail d’Anquetil-Duperron. Il faudra attendre les années 1820 et les travaux du philologue danois Rasmus Rask pour que la fidélité de la traduction soit pleinement validée. Entre-temps, l’Avesta était devenu objet d’études philologiques rigoureuses, sortant du domaine de la spéculation philosophique pour entrer dans celui de la science.
Appropriations philosophiques et littéraires
Avant même la traduction d’Anquetil-Duperron, Zoroastre fascine les penseurs européens. Les francs-maçons du XVIIIe siècle y projettent leurs idéaux de sagesse et de raison. *Jean-Philippe Rameau compose en 1749 un opéra, Zoroastre**, où le prophète incarne la lutte de la lumière contre les ténèbres, thème central de la spiritualité maçonnique. Mozart reprend ce motif dans La Flûte enchantée (1791) avec le personnage de Sarastro, prêtre sage et bienveillant dont le nom dérive de Zoroastre.
Voltaire, dans son Essai sur les mœurs (1756), manifeste un intérêt stratégique pour le prophète iranien. La figure de Zoroastre permet de relativiser le monopole judéo-chrétien de la révélation monothéiste : Moïse n’est plus unique, la Bible perd son caractère exclusif de texte fondateur. Cette instrumentalisation philosophique survit à la déception causée par l’Avesta authentique.
Au XIXe siècle, Friedrich Nietzsche (1844-1900) s’empare du personnage pour en faire le héros de son œuvre maîtresse. Entre 1883 et 1885 paraissent les quatre parties d’Ainsi parlait Zarathoustra, sous-titré « Un livre pour tous et pour personne ». Le philosophe allemand, jeune étudiant passionné par les Gathas dans les années 1850-1860, a longuement médité sur le dualisme zoroastrien.
Le choix du prophète iranien revêt une ironie profonde. Zoroastre, créateur de la première grande morale dualiste opposant bien et mal, revient pour annoncer la mort de Dieu et la nécessité de dépasser les valeurs morales traditionnelles. Nietzsche fait proclamer à son Zarathoustra l’inverse du message historique : non plus la soumission à une loi divine transcendante, mais l’affirmation de la volonté de puissance, le surpassement de soi, l’amor fati. Cette réappropriation subversive témoigne de la plasticité du symbole zoroastrien dans l’imaginaire occidental.
L’influence du zoroastrisme sur la culture moderne ne se limite pas à ces figures célèbres. La communauté parsie en Inde, bien que numériquement modeste (environ deux cent cinquante mille fidèles), conserve la tradition vivante. En Iran, malgré quatorze siècles de domination islamique, des minorités zoroastriennes (les guèbres) maintiennent le culte du feu et les pratiques ancestrales. Depuis les années 1980, les conversions au zoroastrisme se multiplient, notamment parmi les Iraniens en diaspora désireux de renouer avec leur héritage préislamique.
Un legs philosophique et spirituel
La place de Zoroastre dans l’histoire de la pensée humaine dépasse largement celle d’un simple fondateur religieux. Premier prophète monothéiste selon nombre d’historiens, il inaugure une révolution spirituelle dont les ondes se propagent jusqu’à nous. L’affirmation d’un dieu unique, créateur et bon, l’instauration du libre arbitre comme fondement de l’éthique, la promesse d’une justice posthume et d’une transfiguration finale du monde : ces concepts façonnent encore notre horizon mental, même chez ceux qui ignorent tout du prophète iranien.
L’actualité de son message réside dans cette articulation subtile entre responsabilité individuelle et destin collectif. Chaque être humain, par ses choix quotidiens, contribue au combat cosmique. Cette éthique de l’engagement trouve des échos dans les préoccupations contemporaines : face au chaos, à l’injustice, à la destruction de l’environnement, la pensée zoroastrienne rappelle que nos actes comptent, que nos paroles et nos pensées pèsent dans la balance du monde.
Le zoroastrisme a irrigué souterrainement les trois grandes religions monothéistes sans jamais s’imposer politiquement hors de l’Iran. Cette discrétion même témoigne peut-être d’une force particulière : celle d’une pensée qui se diffuse par capillarité, qui imprègne sans conquérir, qui transforme en silence. Zoroastre demeure ainsi l’une des figures les plus influentes et les moins reconnues de notre héritage spirituel*, prophète d’une sagesse millénaire dont la lumière continue d’éclairer notre présent.









