INFOS-CLÉS | |
|---|---|
| Nom d’origine | Rāmānuja (रामानुज) | 
| Nom anglais | Ramanuja | 
| Origine | Inde (Tamil Nadu) | 
| Importance | ★★★★★ | 
| Courants | Hindouisme, Védanta, Vishishtadvaita | 
| Thèmes | Vishishtadvaita, Bhakti, Sri Vaishnavisme | 
En raccourci
Rāmānuja naît en 1017 à Sriperumbudur, dans le sud de l’Inde. Il devient une figure centrale de la tradition Sri Vaishnava, dédiée au dieu Vishnu. Sa vie est marquée par une double quête : intellectuelle et sociale.
Sur le plan philosophique, il s’oppose à l’Advaita Védanta de Shankara. Pour Shankara, seul l’Absolu (Brahman) est réel et le monde est illusion. Rāmānuja propose une voie médiane : le Vishishtadvaita, ou « non-dualisme qualifié ». Dans sa vision, l’Absolu est réel, mais les âmes individuelles et le monde matériel le sont aussi. Ils sont des attributs ou le « corps » de Dieu.
Sa pensée place la Bhakti, la dévotion amoureuse envers Dieu, au centre du chemin spirituel. La libération (Moksha) n’est pas une dissolution de soi, mais une communion éternelle avec Vishnu.
Rāmānuja est aussi un réformateur social. Il conteste certaines rigidités du système des castes, ouvrant l’accès aux temples et à la dévotion pour des groupes auparavant exclus. Forcé à l’exil par un roi hostile, il propage sa doctrine dans le Karnataka avant de finir ses jours à Srirangam, où il meurt en 1137.
Origines et formation
La pensée de Rāmānuja, qui allait redéfinir le Védanta, prend racine dans le contexte religieux et intellectuel du sud de l’Inde au 11ᵉ siècle.
Rāmānuja naît en 1017 à Sriperumbudur, près de l’actuelle Chennai, au sein d’une éminente famille de brahmanes. L’atmosphère de sa jeunesse est imprégnée par la tradition Sri Vaishnava. Fondée sur les écrits des saints poètes Alvars, cette tradition du sud de l’Inde met l’accent sur la dévotion (Bhakti) envers le dieu Vishnu.
Sa formation intellectuelle initiale se déroule à Kanchipuram. Il y étudie sous la direction d’un maître réputé, Yādava Prakāsha. Celui-ci enseigne une forme d’Advaita Védanta, la doctrine du non-dualisme strict popularisée par Shankara. Cette doctrine affirme l’identité absolue entre l’âme individuelle (Atman) et l’Absolu (Brahman), considérant le monde manifesté comme une illusion (Maya). Très vite, Rāmānuja éprouve des désaccords profonds avec son maître.
Les tensions éclatent lors de l’interprétation de passages clés des Upanishads. Rāmānuja refuse l’idée d’un Brahman indifférencié et sans attributs. Il y voit une contradiction avec les textes sacrés qui décrivent Dieu avec des qualités bienveillantes. Cette rupture intellectuelle est fondatrice. Elle le pousse à chercher une autre voie.
La rupture avec l’Advaita
Le conflit avec Yādava Prakāsha n’est pas une simple querelle académique. Il illustre l’opposition entre deux sensibilités spirituelles. Rāmānuja est incapable d’accepter une vision du divin qui annule la personnalité de Dieu et la réalité du dévot. La séparation devient inévitable.
Cet événement pousse Rāmānuja à développer sa propre herméneutique. Il cherche une synthèse qui respecte à la fois l’unité de l’Absolu et la réalité distincte des âmes et du monde. Il se tourne vers d’autres maîtres pour parfaire sa connaissance.
Il entend parler de Yamunacharya, le chef spirituel de la communauté Sri Vaishnava à Srirangam. Celui-ci cherche un successeur capable de donner une assise philosophique solide à la tradition Bhakti, face à la domination intellectuelle de l’Advaita. Yamunacharya voit en Rāmānuja le candidat idéal et l’invite. Malheureusement, lorsque Rāmānuja arrive enfin à Srirangam, le vieux maître vient de mourir.
L’héritage de Yamunacharya
Bien qu’ils ne se soient jamais rencontrés, Yamunacharya devient le guide posthume de Rāmānuja. La légende rapporte que Rāmānuja fait trois promesses devant la dépouille du maître. Il s’engage à écrire un commentaire sur les Brahma Sutras selon la perspective Sri Vaishnava. Il promet de perpétuer l’œuvre des Alvars. Il s’engage à honorer les grands penseurs de sa lignée.
Cette transmission symbolique le confirme dans sa mission. Rāmānuja s’installe à Srirangam, le centre névralgique du culte de Vishnu. Il prend la direction de la communauté. Il commence alors un long travail de maturation intellectuelle et spirituelle.
Il rassemble méthodiquement les enseignements de la tradition. Il étudie les textes sacrés, Védas et Upanishads, ainsi que les écrits en tamoul des Alvars. Son objectif est clair : structurer une doctrine cohérente qui fonde la dévotion sur une métaphysique rigoureuse. Il prépare le terrain pour son œuvre maîtresse, le Sri Bhashya.
L’exil et l’expansion
Son influence grandissante à Srirangam ne tarde pas à provoquer des résistances politiques et religieuses. Cet antagonisme le contraint à un long exil qui, paradoxalement, servira la diffusion de sa pensée.
L’autorité de Rāmānuja s’étend. Il réorganise l’administration du grand temple de Srirangam, en faisant un modèle de gestion et un centre d’étude. Cette montée en puissance déplaît au roi Chola de l’époque, souvent identifié comme Kulothunga Ier. Ce dernier est un adepte fervent du shivaïsme. Il voit d’un mauvais œil l’expansion de la foi vaishnava.
La persécution devient directe. Le roi exige que Rāmānuja signe une déclaration de suprématie de Shiva. Le philosophe refuse net. Menacé de mort, il est contraint de fuir Srirangam vers 1096.
Rāmānuja trouve refuge dans le royaume voisin du Hoysala, dans l’actuel Karnataka. Il s’installe à Melukote, où il passe près de douze années. Loin d’être une période d’inactivité, cet exil est très fécond. Il établit de nouveaux centres de culte. Son influence touche la cour royale. Il convertit le roi Bitti Deva, qui était jaïn, au vaishnavisme.
Le roi, prenant le nom de Vishnuvardhana, devient son protecteur. Cette alliance assure la diffusion durable des idées de Rāmānuja dans la région.
Le réformateur social
Durant cet exil, mais aussi tout au long de sa vie, Rāmānuja manifeste une ouverture sociale peu commune pour l’époque. Il conteste l’idée que l’accès au divin soit réservé aux hautes castes. Sa théologie de la Bhakti, fondée sur l’amour de Dieu, est universelle par nature. L’amour divin ne connaît pas les distinctions de naissance.
Il s’appuie sur l’exemple des Alvars, ces saints poètes dont certains venaient de basses castes, mais dont les hymnes sont considérés comme l’essence des Védas. Leur statut social importait peu face à leur piété. Rāmānuja intègre formellement leurs chants tamouls, le Divya Prabandham, dans la liturgie des temples, au même rang que les Védas en sanskrit. C’était une décision d’une grande portée symbolique.
À Melukote, il va plus loin. Il ouvre le temple de Cheluvanarayana Swamy aux Panchamas, les « hors-castes » ou intouchables. Il leur accorde un droit d’entrée plusieurs jours par an. Il les nomme Tirukkulattar, « ceux de la famille de la déesse ».
Ces actions montrent sa conviction. La dévotion sincère prime sur les rituels et l’orthodoxie brahmanique stricte. Rāmānuja ne cherche pas à abolir le système des castes dans ses fonctions sociales, mais il en brise l’exclusivité spirituelle.
L’œuvre majeure : Le Vishishtadvaita
Après la mort du roi Chola, Rāmānuja peut enfin retourner à Srirangam. Il consacre sa maturité à l’élaboration systématique de son système philosophique, le Vishishtadvaita.
C’est là qu’il rédige ses œuvres majeures. La plus importante est le Sri Bhashya, son grand commentaire des Brahma Sutras. Ce texte monumental est la réponse directe au commentaire de Shankara. Il y expose méthodiquement sa propre doctrine. Il écrit aussi le Vedartha Sangraha, une synthèse indépendante de la philosophie des Upanishads, et un commentaire influent sur la Bhagavad Gita.
Le terme Vishishtadvaita signifie « non-dualisme qualifié » ou « non-dualisme avec distinctions ». C’est une voie médiane. Elle se situe entre le dualisme strict, qui sépare radicalement Dieu et le monde, et le non-dualisme absolu, qui les fusionne en une seule réalité indifférenciée.
La métaphysique des trois réalités
La métaphysique de Rāmānuja repose sur le Tattva-Traya. C’est la reconnaissance de trois catégories de réel (Tattva) : Ishvara (Dieu, l’Être suprême), Chit (les âmes individuelles) et Achit (la matière inerte, le monde). Contrairement à Shankara, Rāmānuja affirme que Chit et Achit sont absolument réels. Ils ne sont pas une illusion (Maya) projetée par l’Absolu.
Quelle est alors leur relation avec Dieu ? Rāmānuja utilise une analogie centrale. C’est l’analogie du corps et de l’âme (Sharira-Sharirin). Les âmes et la matière constituent le « corps » de Dieu.
Dieu (Ishvara, identifié à Vishnu) est l’âme (Sharirin) qui contrôle, soutient et anime ce corps cosmique. Tout comme l’âme humaine habite et dirige le corps, Brahman habite et dirige l’univers. Les âmes et la matière sont distincts de Dieu, mais lui sont inséparablement liés. Ils dépendent totalement de lui pour leur existence même. Brahman est l’unique réalité, mais il est qualifié par ses attributs, qui sont les âmes et le monde.
Le chemin de la libération
Cette métaphysique a une conséquence directe sur le chemin du salut (Moksha). Si le monde et l’âme sont réels, le but n’est pas de s’en échapper comme d’une illusion. La libération n’est pas la fusion ou la dissolution de l’âme dans un Absolu indifférencié. Rāmānuja rejette cette idée qu’il trouve impersonnelle.
Le salut consiste à réaliser sa nature véritable. L’âme doit comprendre qu’elle est un attribut éternel de Dieu, un mode de son être. Elle doit se libérer du cycle des réincarnations (Samsara) causé par le Karma, fruit des actions passées.
La voie royale pour atteindre cet état est la Bhakti (dévotion). La Bhakti de Rāmānuja n’est pas une simple émotivité. C’est une forme supérieure de connaissance. Elle se définit comme une méditation continue et aimante sur les qualités parfaites de Dieu. Elle est nourrie par l’action désintéressée (Karma Yoga) et la connaissance des écritures (Jnana Yoga). La dévotion culmine dans une reddition totale et confiante (Prapatti).
Le but ultime est d’atteindre Vaikuntha, la demeure céleste de Vishnu. L’âme libérée y jouit d’une communion bienheureuse et éternelle avec Dieu. Elle conserve son individualité. Elle participe à la félicité divine, servant Dieu par amour pur.
Dernières années et postérité
Ayant solidement établi sa doctrine et réformé l’institution religieuse, Rāmānuja consacre ses dernières décennies à consolider son héritage.
Les dernières années de Rāmānuja, après son retour à Srirangam, sont paisibles et studieuses. Il continue d’enseigner, d’écrire et de diriger la communauté Sri Vaishnava. Il forme des disciples. Il veille à ce que les pratiques liturgiques qu’il a instituées soient maintenues. Il atteint un âge très avancé pour l’époque.
Il meurt en 1137, selon la tradition à l’âge exceptionnel de 120 ans. Il laisse derrière lui une communauté organisée. Il laisse surtout une œuvre philosophique qui allait marquer l’Inde pour les siècles à venir. Sa dépouille, préservée, est toujours vénérée dans le temple de Srirangam.
L’impact du Vishishtadvaita
L’influence de Rāmānuja est considérable. Il a offert une alternative intellectuellement robuste à l’Advaita de Shankara. Il a légitimé philosophiquement le mouvement de la Bhakti, qui allait déferler sur toute l’Inde dans les siècles suivants. Des penseurs ultérieurs comme Madhva (fondateur du dualisme) et les grands mouvements dévotionnels du nord de l’Inde s’inspireront de ses travaux. Il a réconcilié la philosophie abstraite du Védanta avec la piété personnelle du vaishnavisme.
Rāmānuja se dresse comme la figure qui a redonné sa place à un Dieu personnel et aimant au sein de la haute métaphysique hindoue. Sa contribution majeure est d’avoir affirmé la réalité du monde et de l’individu face à l’Absolu. En fondant la dévotion sur une base philosophique solide, il a profondément modelé le paysage religieux de l’Inde. Son œuvre demeure une référence pour ceux qui cherchent une voie spirituelle alliant rigueur intellectuelle et ferveur du cœur.









