INFOS-CLÉS | |
|---|---|
| Nom d’origine | Πρωταγόρας ὁ Ἀβδηρίτης (Prôtagoras ho Abdêritês) |
| Nom anglais | Protagoras of Abdera |
| Origine | Abdère (Thrace) |
| Importance | ★★★★ |
| Courants | Sophistique |
| Thèmes | relativisme, homme-mesure, agnosticisme, rhétorique, éducation sophistique. |
Protagoras d’Abdère demeure la figure la plus emblématique du mouvement sophistique, celui qui révolutionna la pensée grecque en affirmant la relativité de toute connaissance et la primauté de l’homme dans l’ordre du savoir.
En raccourci
Protagoras naît vers 490 avant J.-C. à Abdère, cité thraque qui voit naître plusieurs penseurs remarquables. Premier à se proclamer « sophiste », il développe une philosophie révolutionnaire centrée sur l’homme et ses capacités.
Sa célèbre maxime « l’homme est la mesure de toutes choses » fonde le relativisme occidental en affirmant que la vérité dépend du sujet qui la pense. Cette doctrine bouleverse les fondements traditionnels de la connaissance.
Maître de rhétorique réputé, Protagoras enseigne l’art de « rendre forte la cause faible » et développe une méthode éducative révolutionnaire. Il forme l’élite politique athénienne et influence profondément la démocratie naissante.
Ses positions agnostiques sur les dieux lui valent des poursuites pour impiété vers la fin de sa vie. Son œuvre, largement perdue, continue d’influencer la philosophie moderne par ses questionnements sur la vérité, la connaissance et l’éducation.
Origines et formation dans la Thrace grecque
Naissance dans une cité intellectuelle dynamique
Protagoras voit le jour vers 490 avant J.-C. à Abdère, colonie ionienne fondée en Thrace par les habitants de Téos fuyant la domination perse. Cette cité prospère devient rapidement un foyer intellectuel majeur qui voit naître Démocrite et attire de nombreux penseurs.
La situation géographique d’Abdère, aux confins du monde grec, favorise les échanges avec les cultures barbares et développe une mentalité ouverte aux innovations intellectuelles. Cette position frontalière nourrit l’esprit critique et relativiste de ses habitants.
La famille de Protagoras appartient vraisemblablement à la bourgeoisie commerciale abdéritaine, ce qui explique son accès à l’éducation et ses futures relations avec l’aristocratie athénienne. Cette origine sociale favorise son ouverture au monde et sa compréhension des différences culturelles.
Contexte historique et révolution intellectuelle
L’époque de la jeunesse de Protagoras coïncide avec l’apogée d’Athènes sous Périclès et l’émergence de la démocratie comme système politique dominant. Cette transformation sociale crée une demande nouvelle pour l’éducation politique et oratoire.
Les guerres médiques viennent de s’achever par la victoire grecque, renforçant la confiance en les capacités humaines face aux défis historiques. Cette atmosphère d’optimisme anthropologique nourrit la pensée sophistique naissante.
Simultanément, les contacts intensifiés avec les cultures étrangères révèlent la diversité des coutumes et des croyances, sapant l’autorité des traditions locales. Cette prise de conscience de la relativité culturelle influence profondément la formation intellectuelle de Protagoras.
Première formation et influences intellectuelles
La tradition fait de Protagoras un disciple des philosophes de l’école d’Abdère, notamment des atomistes qui développent une vision matérialiste du monde. Cette formation scientifique influence sa méthode d’analyse rationnelle des phénomènes humains.
Certains témoignages le présentent comme ayant exercé initialement le métier de portefaix, métier qu’il aurait abandonné après avoir rencontré Démocrite. Cette anecdote, vraie ou fausse, révèle ses origines modestes et son ascension sociale par l’intelligence.
Son éducation thraque, moins contrainte par les traditions grecques classiques, favorise le développement de son esprit critique et de son indépendance intellectuelle. Cette marginalité géographique devient un avantage conceptuel.
Émergence du mouvement sophistique
Invention du terme « sophiste »
Protagoras revendique le premier le titre de « sophiste », terme qu’il transforme de son sens péjoratif originel (« celui qui fait semblant de savoir ») en une désignation honorifique du maître de sagesse pratique. Cette réappropriation révèle son audace intellectuelle.
Cette innovation terminologique accompagne une révolution conceptuelle qui déplace l’attention philosophique des spéculations cosmologiques vers les affaires humaines. Protagoras inaugure ainsi l’humanisme antique.
La revendication du titre sophistique s’accompagne de l’exigence d’une rémunération pour l’enseignement dispensé, pratique qui scandalise les milieux traditionnels mais révèle la professionnalisation de l’activité intellectuelle.
Développement d’une méthode éducative révolutionnaire
Protagoras développe la première méthode pédagogique systématique de l’Antiquité, centrée sur l’acquisition des compétences pratiques nécessaires à la vie civique. Cette approche pragmatique rompt avec l’enseignement traditionnel.
Sa méthode privilégie l’analyse de cas concrets et la discussion contradictoire sur l’exposition dogmatique. Cette approche dialectique développe l’esprit critique des élèves et leur capacité d’argumentation.
L’innovation majeure consiste dans l’enseignement de l’art de parler en public et de délibérer sur les affaires communes. Cette formation oratoire répond aux besoins de la démocratie naissante.
Théorisation de l’éducation sophistique
Protagoras élabore une théorie de l’éducation qui fait de l’homme un être perfectible par l’apprentissage et l’exercice. Cette conception optimiste s’oppose au fatalisme aristocratique traditionnel.
Il distingue l’enseignement technique, qui transmet des savoir-faire spécialisés, de l’éducation générale qui forme le jugement et la capacité de délibération. Cette distinction influence durablement la pédagogie occidentale.
Sa conviction que la vertu peut s’enseigner révolutionne la conception grecque de l’excellence humaine, traditionnellement considérée comme héréditaire. Cette démocratisation de l’excellence morale accompagne l’évolution politique.
Élaboration de la doctrine relativiste
La maxime de l’homme-mesure
La contribution la plus célèbre de Protagoras à la philosophie réside dans sa maxime fondamentale : « L’homme est la mesure de toutes choses, de celles qui sont en tant qu’elles sont, de celles qui ne sont pas en tant qu’elles ne sont pas. »
Cette formule révolutionnaire établit la subjectivité humaine comme critère ultime de la vérité, renversant l’ordre traditionnel qui cherchait des normes objectives indépendantes de l’homme. Cette subjectivisation de la vérité fonde le relativisme occidental.
L’interprétation de cette maxime divise les commentateurs entre lecture individualiste (chaque individu est mesure) et lecture spécifique (l’espèce humaine est mesure). Cette ambiguïté révèle la richesse conceptuelle de la formule.
Théorie de la relativité des sensations
Protagoras développe une théorie sophistiquée de la perception qui explique la relativité des jugements sensoriels. Selon lui, les qualités sensibles résultent de l’interaction entre le sujet percevant et l’objet perçu.
Cette doctrine implique qu’aucune sensation n’est plus vraie qu’une autre, chacune exprimant authentiquement la relation particulière entre un sujet et un objet à un moment donné. Cette égalité des sensations ruine la hiérarchie traditionnelle des connaissances.
L’application de ce principe aux jugements moraux et politiques révolutionne l’éthique en relativisant les normes traditionnelles. Cette extension du relativisme perceptuel au domaine pratique scandalise les contemporains.
Conséquences pour la théorie de la connaissance
Le relativisme protagoréen implique l’impossibilité d’atteindre une vérité absolue indépendante des conditions subjectives de la connaissance. Cette limitation épistémologique fonde le scepticisme moderne.
Cependant, Protagoras ne verse pas dans un relativisme nihiliste mais développe une théorie pragmatique de la vérité qui privilégie l’utilité sur la correspondance à la réalité. Cette approche instrumentale de la connaissance anticipe le pragmatisme contemporain.
Sa critique des prétentions dogmatiques de la philosophie traditionnelle libère la pensée de l’autorité des systèmes métaphysiques. Cette émancipation critique ouvre la voie à la libre recherche.
Maîtrise de l’art oratoire et influence politique
Développement de la rhétorique comme discipline
Protagoras systématise l’art oratoire en codifiant les techniques de l’argumentation et de la persuasion. Cette formalisation transforme la rhétorique d’art empirique en discipline rationnelle.
Il distingue les différents genres de discours (judiciaire, délibératif, épidictique) et analyse les moyens spécifiques à chacun. Cette typologie influence durablement la théorie rhétorique.
Sa méthode d’enseignement de l’éloquence privilégie l’exercice pratique sur l’apprentissage théorique. Les élèves s’entraînent sur des cas fictifs avant d’affronter les situations réelles.
L’art de « rendre forte la cause faible »
La technique sophistique la plus controversée consiste dans la capacité de défendre indifféremment les thèses opposées sur un même sujet. Cette virtuosité dialectique révèle la relativité des arguments humains.
Protagoras justifie cette pratique par la conviction qu’aucune thèse ne possède de vérité absolue, rendant légitime la défense de positions alternatives. Cette suspension du jugement favorise la délibération démocratique.
Cette méthode développe l’esprit critique en obligeant à considérer tous les aspects d’une question. Elle révèle également les présupposés cachés des arguments apparemment évidents.
Formation de l’élite politique athénienne
Les disciples de Protagoras occupent des positions importantes dans la démocratie athénienne, témoignant de l’efficacité de sa formation politique. Cette influence révèle l’adéquation de sa méthode aux besoins de l’époque.
Parmi ses élèves les plus célèbres figure Euripide, qui transpose dans ses tragédies les techniques sophistiques d’argumentation. Cette influence littéraire révèle le rayonnement culturel de l’école protagoréenne.
La formation sophistique transforme les pratiques politiques en introduisant la délibération rationnelle et l’argumentation publique. Cette rationalisation de la politique accompagne l’approfondissement démocratique.
Agnosticisme religieux et libre pensée
Position agnostique sur l’existence des dieux
Protagoras développe une position agnostique révolutionnaire exprimée dans sa formule célèbre : « Concernant les dieux, je ne puis savoir ni qu’ils sont, ni qu’ils ne sont pas, ni ce qu’ils sont quant à leur forme ; car beaucoup d’obstacles s’opposent à cette connaissance. »
Cette déclaration d’ignorance religieuse rompt avec la piété traditionnelle sans verser dans l’athéisme militant. Elle révèle l’extension du relativisme épistémologique au domaine théologique.
L’agnosticisme protagoréen se fonde sur l’observation de la diversité des croyances religieuses à travers les cultures. Cette relativisation comparative de la religion anticipe l’anthropologie moderne.
Critique des mythologies traditionnelles
Protagoras analyse les récits mythologiques comme des constructions humaines destinées à expliquer les phénomènes naturels et à légitimer l’ordre social. Cette approche démythologisante révèle son rationalisme critique.
Il distingue la fonction sociale positive des religions de leurs prétentions à la vérité objective. Cette séparation fonctionnaliste permet de préserver l’utilité civique de la religion sans accepter sa métaphysique.
Cette critique éclairée de la religion traditionnelle influence les milieux intellectuels athéniens et contribue à la laïcisation progressive de la culture grecque.
Conséquences de la libre pensée
L’agnosticisme de Protagoras s’accompagne d’une morale indépendante de la sanction divine, fondée sur l’utilité sociale et l’accord conventionnel. Cette sécularisation de l’éthique révolutionne la réflexion morale.
Cette position libère la pensée politique de la tutelle religieuse et permet le développement d’une conception purement humaine de la justice. Cette autonomisation du politique accompagne l’évolution démocratique.
Cependant, cette libre pensée heurte les convictions populaires et expose son auteur aux accusations d’impiété. Cette tension révèle les limites de la tolérance démocratique athénienne.
Relations avec les grands penseurs contemporains
Polémique avec Socrate et Platon
Socrate critique vigoureusement le relativisme protagoréen au nom de l’existence de vérités objectives accessibles à la raison. Cette opposition structure profondément le débat philosophique classique.
Platon développe sa théorie des Idées en réaction contre le subjectivisme sophistique, cherchant à restaurer des normes absolues de vérité et de justice. Cette polémique révèle l’enjeu fondamental de la philosophie naissante.
Cependant, Platon reconnaît implicitement la valeur de la critique sophistique en adoptant la méthode dialectique et en problématisant la relation entre opinion et savoir. Cette influence souterraine révèle la fécondité du questionnement protagoréen.
Rapports avec Démocrite d’Abdère
La tradition fait de Protagoras et Démocrite deux compatriotes abdéritains aux doctrines opposées. Cette confrontation illustre la diversité des réponses possibles aux questions philosophiques fondamentales.
Alors que Démocrite développe un matérialisme objectiviste fondé sur la théorie atomique, Protagoras privilégie l’analyse des phénomènes humains et la relativité de la connaissance. Cette complémentarité révèle la richesse intellectuelle d’Abdère.
Certains éléments suggèrent néanmoins une influence mutuelle, notamment dans leur commune critique des explications mythologiques et leur rationalisme méthodologique.
Influence sur la sophistique ultérieure
Protagoras inspire toute une génération de sophistes qui développent et radicalisent ses innovations. Gorgias, Prodicos, Hippias prolongent son œuvre en l’orientant vers des spécialisations diverses.
Cette filiation sophistique transforme durablement la culture intellectuelle grecque en développant l’esprit critique et les techniques argumentatives. L’héritage protagoréen dépasse largement sa contribution personnelle.
La méthode sophistique influence également les historiens comme Thucydide qui appliquent l’analyse rationnelle aux événements politiques. Cette extension révèle la fécondité de l’approche protagoréenne.
Procès pour impiété et fin de vie
Accusations d’athéisme et climat d’intolérance
Vers la fin de sa vie, Protagoras fait l’objet d’accusations d’impiété portées par Pythodore, probablement motivées par ses positions agnostiques sur les dieux. Ce procès révèle l’intolérance croissante de la démocratie athénienne.
L’atmosphère de guerre du Péloponnèse exacerbe les tensions religieuses et favorise la chasse aux libres penseurs accusés de corrompre la jeunesse. Protagoras devient l’une des premières victimes de cette réaction conservatrice.
L’accusation porte spécifiquement sur son traité « Sur les dieux » qui expose sa position agnostique. Cette persécution révèle les limites de la liberté d’expression dans la démocratie athénienne.
Fuite d’Athènes et mort en exil
Face aux poursuites, Protagoras choisit l’exil volontaire plutôt que d’affronter un procès dont l’issue paraît incertaine. Cette fuite révèle la gravité des menaces qui pèsent sur lui.
Selon certaines sources, ses livres sont brûlés publiquement sur l’agora athénienne, sanction exceptionnelle qui témoigne de l’hostilité populaire. Cette autodafé révèle l’intolérance de l’opinion publique.
Protagoras meurt vers 420 avant J.-C., probablement en Sicile où il tentait de gagner l’Italie du Sud. Cette mort en exil illustre tragiquement le sort réservé aux innovateurs intellectuels.
Destruction de l’œuvre et transmission fragmentaire
La persécution dont fait l’objet Protagoras entraîne la destruction de la plupart de ses écrits. Seuls quelques fragments et témoignages indirects permettent de reconstituer sa pensée.
Cette disparition de l’œuvre sophistique explique en partie la méconnaissance du mouvement et sa déformation par les sources hostiles. La tradition platonicienne, dominante, présente une image caricaturale de la sophistique.
Néanmoins, certaines idées protagoréennes survivent dans la tradition sceptique et influence souterrainement le développement de la philosophie occidentale.
Héritage et influence sur la pensée moderne
Redécouverte à la Renaissance et aux Lumières
La Renaissance redécouvre Protagoras à travers les textes de Platon et Sextus Empiricus, y trouvant un modèle pour la critique de l’autorité dogmatique. Cette redécouverte accompagne l’émergence de l’humanisme moderne.
Les philosophes des Lumières, notamment Diderot et les encyclopédistes, s’inspirent du relativisme protagoréen pour critiquer les prétentions de la religion révélée. Cette filiation révèle l’actualité de sa libre pensée.
Montaigne trouve dans le scepticisme sophistique un modèle pour sa philosophie du doute méthodique et de la suspension du jugement. Cette influence révèle la modernité de l’approche protagoréenne.
Anticipations de la philosophie contemporaine
Le relativisme épistémologique de Protagoras anticipe les développements de la philosophie des sciences contemporaine, notamment les travaux de Kuhn sur les paradigmes scientifiques et de Feyerabend sur l’anarchisme méthodologique.
Sa théorie de la vérité pragmatique préfigure le pragmatisme américain de Pierce, James et Dewey. Cette filiation révèle la pertinence de son approche instrumentale de la connaissance.
L’anthropocentrisme protagoréen inspire les philosophies humanistes contemporaines qui placent l’homme au centre de la réflexion éthique et politique. Cette actualisation révèle la fécondité de son heritage.
Influence sur l’éducation moderne
La pédagogie protagoréenne, centrée sur le développement de l’esprit critique et des compétences argumentatives, inspire les réformes éducatives modernes. Cette influence révèle la modernité de sa méthode.
L’enseignement sophistique privilégie la formation du jugement sur la transmission de connaissances dogmatiques, anticipant les pédagogies actives contemporaines. Cette approche révèle sa pertinence éducative durable.
La professionnalisation de l’enseignement inaugurée par Protagoras préfigure l’évolution moderne de la fonction éducative. Cette innovation révèle son influence institutionnelle.
Un précurseur incompris de la modernité
Protagoras d’Abdère occupe une position unique dans l’histoire de la pensée occidentale comme premier théoricien du relativisme et précurseur de l’humanisme moderne. Sa révolution conceptuelle, qui place l’homme au centre de la réflexion philosophique, anticipe les développements majeurs de la modernité.
L’actualité de Protagoras réside dans sa capacité d’éclairer les débats contemporains sur la vérité, la connaissance et l’éducation. Son relativisme éclairé offre une alternative aux dogmatismes tant religieux que scientifiques, ouvrant la voie à une pensée critique et tolérante.
Au-delà de ses contributions techniques à la rhétorique et à l’épistémologie, Protagoras incarne l’idéal de l’intellectuel indépendant qui privilégie la libre recherche sur le conformisme social. Cette exigence d’autonomie intellectuelle constitue un modèle permanent pour la pensée critique, révélant la dimension prophétique de son message humaniste.










