Paul-Michel Foucault naît le 15 octobre 1926 à Poitiers dans une famille bourgeoise de notables provinciaux. Son père, Paul-André Foucault, est chirurgien réputé qui espère transmettre sa profession à son fils aîné. Sa mère, Anne Malapert, appartient à une dynastie de médecins poitevins. Cette double hérédité médicale marque profondément le futur philosophe qui conserve toute sa vie une fascination pour l’anatomie du corps social et les dispositifs de normalisation.
Élève brillant mais solitaire au collège Saint-Stanislas de Poitiers, puis au lycée Henri-IV à Paris, Michel découvre précocement sa différence dans une société qui réprouve l’homosexualité. Cette expérience de la marginalité, vécue dans la honte et la dissimulation, nourrit sa sensibilité ultérieure aux mécanismes d’exclusion et de stigmatisation sociale. Plusieurs tentatives de suicide à l’adolescence révèlent un mal-être profond qui trouve plus tard son sublimation intellectuelle.
Entré à l’École normale supérieure en 1946, il y côtoie une génération marquée par la guerre et l’effondrement des certitudes bourgeoises. Élève de Louis Althusser, il adhère brièvement au Parti communiste (1950-1953) avant de s’en éloigner, déçu par le dogmatisme stalinien et l’homophobie militante. Cette désillusion politique l’oriente vers une critique plus radicale des institutions et des discours de pouvoir.
Agrégé de philosophie en 1951, Foucault fuit l’enseignement secondaire français pour des postes à l’étranger : lecteur à Uppsala (1955-1958), directeur du centre culturel français à Varsovie (1958-1959), puis à Hambourg (1959-1960). Ces années nordiques, marquées par la découverte de Nietzsche et de la phénoménologie existentielle, le libèrent du carcan académique français et forgent son style philosophique inclassable.
Sa thèse de doctorat, « Folie et Déraison. Histoire de la folie à l’âge classique » (1961), révolutionne l’histoire des idées en montrant que la folie n’est pas une réalité naturelle mais une construction historique. L’âge classique invente l’internement comme dispositif de contrôle social, enfermant dans un même geste pauvres, vagabonds et insensés. Cette « archéologie » de l’exclusion révèle les mécanismes subtils par lesquels une société définit sa normalité en rejetant sa part maudite.
Professeur à Clermont-Ferrand (1963-1966), puis à Tunis (1966-1968), il développe sa méthode archéologique dans « Naissance de la clinique » (1963) et « Les Mots et les Choses » (1966). Ce dernier ouvrage, sous-titré « Une archéologie des sciences humaines », connaît un succès retentissant en révélant les mutations épistémiques qui scandent l’histoire occidentale. Chaque époque possède son « épistémè », configuration inconsciente qui détermine les conditions de possibilité du savoir.
Mai 68 le trouve à Tunis où il observe avec fascination la révolte étudiante tunisienne, réprimée dans le sang par le régime bourguibien. Cette expérience de la violence d’État l’amène à questionner les rapports entre savoir et pouvoir. Nommé professeur à Vincennes (1968-1970), université expérimentale née de Mai 68, il radicalise ses positions politiques et théoriques au contact de la génération contestataire.
« L’Archéologie du savoir » (1969) théorise sa méthode en révélant que les discours ne reflètent pas la réalité mais la constituent. Cette « analytique du discours » influence durablement les sciences humaines en montrant l’historicité radicale de nos évidences les plus tenaces. Contre l’humanisme traditionnel, Foucault annonce la « mort de l’homme » comme sujet souverain de l’histoire et de la connaissance.
Élu au Collège de France en 1970 à la chaire d' »Histoire des systèmes de pensée », il inaugure une nouvelle période de ses recherches centrée sur la « généalogie du pouvoir ». « Surveiller et punir » (1975) analyse la naissance de la prison moderne comme laboratoire de la société disciplinaire. Le panopticon de Bentham devient la métaphore d’un pouvoir qui contrôle les corps en prétendant les corriger.
Sa trilogie sur « L’Histoire de la sexualité » (1976-1984) révèle que la sexualité occidentale n’est pas libération d’un instinct naturel mais production historique d’un dispositif de pouvoir-savoir. Contre l’hypothèse répressive, Foucault montre que le pouvoir moderne incite à parler de sexe pour mieux contrôler les sujets. Cette « biopolitique » vise la gestion calculée de la vie des populations.
Ses dernières recherches sur l’Antiquité gréco-romaine, développées dans « L’Usage des plaisirs » et « Le Souci de soi », explorent les « techniques de soi » par lesquelles l’individu se constitue comme sujet éthique. Cette « esthétique de l’existence », alternative aux morales chrétiennes et modernes, propose de faire de sa vie une œuvre d’art par un travail constant sur soi-même.
Intellectuel engagé, Foucault participe aux luttes de son époque : réforme carcérale (Groupe d’information sur les prisons), droits des homosexuels, soutien aux dissidents de l’Est. Ses interventions publiques, d’une lucidité corrosive, démasquent les hypocrisies du pouvoir libéral et révèlent les continuités entre démocratie et totalitarisme.
Sa mort le 25 juin 1984 des suites du sida, maladie alors taboue, suscite polémiques et silences embarrassés. Cette disparition précoce interrompt une œuvre en plein renouvellement qui s’orientait vers une éthique de la liberté fondée sur la résistance créatrice aux pouvoirs normalisateurs.
Son influence transforme radicalement les sciences humaines contemporaines : histoire, sociologie, anthropologie, critique littéraire s’inspirent de ses méthodes généalogiques. Ses concepts (dispositif, biopolitique, gouvernementalité) nourrissent les analyses critiques de la modernité tardive et de la mondialisation néolibérale.
Foucault demeure le grand cartographe des transformations du pouvoir moderne, penseur qui révèle l’historicité de nos évidences et la contingence de nos servitudes. Son œuvre, qui unit rigueur érudite et passion critique, continue d’inspirer toutes les résistances aux nouvelles formes de domination dans nos sociétés de contrôle.