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Michel de Montaigne (1533-1592) : L’inventeur de l’essai et peintre du moi

  • 05/09/2025
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Michel Eyquem naît le 28 février 1533 au château de Montaigne, en Périgord, dans une famille de riches négociants bordelais récemment anoblie. Son arrière-grand-père, Ramon Eyquem, marchand de poissons et de vins, a acquis la seigneurie en 1477, fondant une dynastie bourgeoise qui aspire à la noblesse par l’achat de terres et de charges. Son père, Pierre Eyquem, maire de Bordeaux et capitaine de Guyenne, incarne cet idéal d’ascension sociale par le service public et les armes.

Son éducation révolutionnaire, inspirée des théories humanistes, marque sa formation intellectuelle. Pierre Eyquem confie son fils à un précepteur allemand qui ne lui parle qu’en latin, faisant de cette langue morte sa langue maternelle avant même qu’il n’apprenne le français. Cette immersion précoce dans l’humanitas antique, complétée par un réveil au son du luth pour éviter tout trauma, forge un tempérament épicurien qui privilégie la douceur et la mesure en toute chose.

Élève au collège de Guyenne à Bordeaux, institution humaniste dirigée par André de Gouvéa, il y découvre le théâtre latin qu’il pratique avec passion. Cette formation rhétorique et littéraire développe son goût pour l’éloquence et la mise en scène de soi qui caractérise plus tard ses Essais. Les méthodes pédagogiques novatrices du collège, qui privilégient l’émulation sur la contrainte, correspondent parfaitement à son tempérament indépendant.

Ses études de droit, probablement à Toulouse, le préparent à la carrière parlementaire que son père a choisie pour lui. Nommé conseiller à la Cour des aides de Périgueux en 1554, puis au parlement de Bordeaux en 1557, il découvre les subtilités de la justice et de l’administration royale. Cette expérience de magistrat, qu’il exerce treize années durant, nourrit sa réflexion sur les lois humaines et leur relativité historique et géographique.

Sa rencontre avec Étienne de La Boétie vers 1558 bouleverse sa vie affective et intellectuelle. Cette amitié passionnée avec l’auteur du « Discours de la servitude volontaire » devient le modèle de toutes ses relations humaines et inspire ses plus belles pages sur l’amitié parfaite. « Parce que c’était lui, parce que c’était moi » : cette formule célèbre résume l’évidence immédiate d’une communion des âmes qui transcende toute explication rationnelle.

La mort prématurée de La Boétie en 1563, à trente-trois ans, plonge Montaigne dans un deuil qui oriente définitivement sa vocation littéraire. Pour honorer la mémoire de l’ami disparu, il entreprend de publier ses œuvres posthumes et commence à noter ses propres réflexions. Cette méditation sur la perte et la mort nourrit sa philosophie de l’acceptation stoïcienne qui caractérise la première période de sa pensée.

Son mariage en 1565 avec Françoise de La Chassaigne, fille du président au parlement de Bordeaux, relève davantage de la convenance sociale que de l’inclination personnelle. Cette union, qui lui donne six filles dont une seule survit, illustre sa conception pragmatique du mariage comme institution nécessaire mais distincte de l’amour véritable. Françoise demeure une épouse dévouée mais discrète, éclipsée par la gloire littéraire de son mari.

En 1571, à trente-huit ans, Montaigne vend sa charge de conseiller et se retire dans sa « librairie », bibliothèque circulaire aménagée dans la tour de son château. Cette retraite volontaire, inspirée de l’otium antique, lui permet de se consacrer entièrement à l’écriture. Les sentences latines qu’il fait graver sur les poutres de son cabinet révèlent un esprit nourri de sagesse antique et sceptique face aux certitudes humaines.

Les premiers Essais, publiés en 1580, révolutionnent la littérature française en créant un genre nouveau : l’essai, tentative de se peindre soi-même par touches successives et contradictoires. « Je suis moi-même la matière de mon livre » : cette déclaration liminaire inaugure l’autobiographie moderne et la littérature du moi. Montaigne invente une forme littéraire qui épouse les mouvements de la pensée vivante contre les systèmes figés de la scolastique.

Sa philosophie sceptique, résumée par la devise « Que sais-je ? », révèle l’incertitude fondamentale de toute connaissance humaine. Nourri de Sextus Empiricus et de la tradition pyrrhonienne, Montaigne développe un relativisme qui observe les mœurs et croyances avec la curiosité détachée de l’ethnographe. Cette suspension du jugement (epochè) libère l’esprit des dogmatismes et ouvre à la tolérance intellectuelle.

Son voyage en Italie (1580-1581), entrepris pour sa santé et sa curiosité, enrichit considérablement sa vision du monde. Son Journal de voyage, rédigé en partie en italien, révèle un observateur aigu des mœurs et institutions étrangères. La découverte des thermes romains pour soigner sa gravelle, l’audience pontificale, la visite des ruines antiques nourrissent sa méditation sur la vanité humaine et la relativité des cultures.

Rappelé de Rome pour exercer la mairie de Bordeaux (1581-1585), fonction héritée de son père, Montaigne fait preuve d’un sens politique remarquable durant les troubles de la Ligue. Sa modération catholique et son loyalisme monarchique en font un médiateur respecté entre les factions religieuses. Cette expérience du pouvoir tempère son scepticisme théorique par le pragmatisme de l’action publique.

Les éditions successives des Essais (1582, 1588, posthume de 1595) révèlent une pensée en perpétuel mouvement qui se corrige, s’enrichit et se nuance constamment. Montaigne invente ainsi une écriture de la durée qui épouse les transformations de la conscience vieillissante. « Je ne peins pas l’être, je peins le passage » : cette formule résume sa poétique du devenir contre toute métaphysique de l’essence.

Sa rencontre avec Marie de Gournay en 1588, jeune fille de vingt-quatre ans passionnée de littérature, lui révèle une « fille d’alliance » spirituelle qui perpétue son œuvre. Cette adoption intellectuelle d’une disciple lui permet de transmettre son héritage par-delà la mort. Marie de Gournay consacre sa vie à éditer et défendre les Essais, devenant la première femme de lettres professionnelle de France.

Ses dernières années sont assombries par la maladie de la pierre qui le fait cruellement souffrir, mais aussi illuminées par l’achèvement de son œuvre maîtresse. L’exemplaire de Bordeaux, couvert de ses additions manuscrites, témoigne d’un travail acharné pour perfectionner son autoportrait littéraire. Cette version définitive révèle un Montaigne apaisé qui a trouvé dans l’acceptation de soi la sagesse de vivre.

Il meurt le 13 septembre 1592 dans son château, assistant à la messe dans son lit selon ses dernières volontés. Cette mort paisible, conforme à sa philosophie de l’acceptation, clôt une existence consacrée à l’exploration de la condition humaine. Son cœur, selon la tradition familiale, est déposé dans l’église Saint-Michel de Bordeaux où une épitaphe latine célébre sa gloire littéraire.

Son influence sur la littérature française et européenne est considérable. Shakespeare puise dans Florio sa vision de la nature humaine, Pascal dialogue constamment avec lui, Rousseau s’inspire de ses Confessions. Les Essais inaugurent la modernité littéraire en révélant la complexité irréductible du moi et l’art de vivre dans l’incertitude.

Montaigne demeure l’inventeur de l’humanisme sceptique et de la sagesse relative, penseur qui réconcilie culture antique et expérience moderne dans une vision tolérante de la diversité humaine. Son génie consiste à avoir transformé les limites de la condition mortelle en source de beauté littéraire et de sagesse pratique.

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