INFOS-CLÉS | |
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| Origine | Algérie française (Birmandreis) | 
| Importance | ★★★★ | 
| Courants | Marxisme structuraliste | 
| Thèmes | idéologie, appareils idéologiques d'État, coupure épistémologique, surdétermination, structuralisme marxiste. | 
Louis Althusser demeure l’une des figures les plus controversées et influentes du marxisme contemporain, celui qui révolutionna la lecture de Marx en y introduisant les acquis du structuralisme et de la psychanalyse.
En raccourci
Louis Althusser naît en 1918 en Algérie française dans une famille de petits-bourgeois catholiques. Brillant élève, il intègre l’École normale supérieure en 1939 mais voit ses études interrompues par la guerre et cinq années de captivité en Allemagne.
Agrégé de philosophie en 1948, il devient l’une des figures majeures de l’École normale supérieure où il forme toute une génération d’intellectuels. Adhérent au Parti communiste français, il développe une lecture originale de Marx.
Ses œuvres « Pour Marx » (1965) et « Lire le Capital » (1965) révolutionnent l’interprétation marxiste en introduisant la notion de « coupure épistémologique » et en développant une conception structuraliste du matérialisme historique.
Sa théorie des « appareils idéologiques d’État » renouvelle l’analyse du pouvoir et de la domination sociale. Cette contribution influence durablement la sociologie politique et les sciences sociales.
Rongé par la maladie mentale, il sombre dans la folie et tue sa femme en 1980. Cette tragédie personnelle éclipse temporairement son œuvre avant que celle-ci ne connaisse une renaissance posthume.
Origines et formation dans l’Algérie coloniale
Naissance dans la petite bourgeoisie coloniale
Louis Pierre Althusser naît le 16 octobre 1918 à Birmandreis, près d’Alger, dans une famille de petits-bourgeois français installés en Algérie. Son père, Charles-Joseph Althusser, directeur de banque d’origine alsacienne, incarne l’establishment colonial français.
Cette origine coloniale marque profondément sa formation et explique en partie sa sensibilité ultérieure aux questions de domination et d’idéologie. L’expérience de la société coloniale lui révèle précocement les mécanismes de l’oppression sociale.
Sa mère, Lucienne Marthe Berger, institutrice, lui transmet le goût de l’étude et une éducation catholique stricte qui influence durablement sa formation morale. Cette double hérédité bourgeoise et religieuse structure sa personnalité.
Éducation catholique et éveil intellectuel
L’enfance d’Althusser se déroule dans un environnement catholique traditionaliste qui lui inculque une discipline morale rigoureuse. Cette formation religieuse marque profondément sa sensibilité et sa conception de l’engagement.
Élève brillant au lycée d’Alger, il révèle des aptitudes exceptionnelles pour la philosophie et les lettres. Ses professeurs reconnaissent rapidement ses dons et l’orientent vers les classes préparatoires parisiennes.
Son engagement dans le scoutisme catholique révèle sa quête d’idéal et son besoin d’appartenance communautaire. Cette expérience collective influence sa conception ultérieure de l’organisation militante.
Formation parisienne et découverte de la philosophie
En 1937, Althusser monte à Paris pour préparer le concours d’entrée à l’École normale supérieure au lycée du Parc à Lyon. Cette formation d’élite révèle l’ambition familiale et ses propres capacités intellectuelles.
Sa découverte de la philosophie moderne, notamment Hegel et Marx, ébranle progressivement ses convictions religieuses traditionnelles. Cette crise intellectuelle accompagne sa maturation politique.
L’admission à l’École normale supérieure en 1939 couronne sa réussite scolaire et lui ouvre les portes de l’élite intellectuelle française. Cette consécration sociale révèle ses exceptionnelles capacités.
Épreuve de la guerre et conversion politique
Mobilisation et captivité allemande
La déclaration de guerre interrompt brutalement ses études : mobilisé en 1939, Althusser est fait prisonnier en juin 1940 et passe cinq années dans les camps allemands. Cette épreuve transforme radicalement sa vision du monde.
La captivité lui révèle la brutalité des rapports de force et l’importance de la lutte des classes. Cette expérience concrète de l’oppression nourrit sa future réflexion politique et son adhésion au marxisme.
L’organisation de la résistance dans les camps lui enseigne les techniques de l’action clandestine et l’importance de la discipline collective. Cette formation pratique influence sa conception de la militance communiste.
Retour et achèvement des études
Libéré en 1945, Althusser reprend ses études à l’École normale supérieure dans une France transformée par la guerre et la Résistance. Cette période voit sa conversion progressive au communisme.
Sa rencontre avec les normaliens communistes, notamment Paul Veyne et Pierre Macherey, l’initie au marxisme et au matérialisme dialectique. Cette découverte oriente définitivement sa vocation philosophique.
L’obtention de l’agrégation de philosophie en 1948 lui ouvre une carrière universitaire prometteuse. Cette réussite confirme ses capacités intellectuelles et sa maîtrise des méthodes académiques.
Adhésion au Parti communiste français
En 1948, Althusser adhère au Parti communiste français et devient l’un des intellectuels les plus en vue du mouvement communiste. Cette conversion révèle sa quête d’engagement total.
Son militantisme communiste s’enracine dans une analyse rigoureuse du capitalisme et de ses contradictions. Cette conviction théorique authentique distingue son engagement des modes intellectuelles de l’époque.
L’articulation entre foi politique et rigueur intellectuelle caractérise dès lors toute sa démarche philosophique. Cette synthèse révèle l’originalité de sa position dans le champ intellectuel français.
Carrière à l’École normale supérieure
Nomination comme agrégé-répétiteur
En 1948, Althusser est nommé agrégé-répétiteur de philosophie à l’École normale supérieure, poste qu’il occupe jusqu’en 1980. Cette fonction lui permet de former toute une génération d’intellectuels français.
Son enseignement, réputé pour sa rigueur et son innovation, attire les meilleurs étudiants de sa génération. Cette influence pédagogique lui donne un rayonnement considérable dans l’université française.
L’École normale supérieure devient sous son impulsion un foyer de renouvellement de la pensée marxiste. Cette dynamique intellectuelle influence durablement la vie intellectuelle française.
Formation d’une école de pensée
Althusser forme autour de lui un groupe de disciples brillants : Jacques Rancière, Étienne Balibar, Pierre Macherey, Alain Badiou. Cette école révèle sa capacité à susciter la créativité intellectuelle.
Les séminaires qu’il dirige deviennent célèbres pour leur rigueur théorique et leur innovation conceptuelle. Cette méthode pédagogique révolutionnaire influence la pratique philosophique française.
L’émulation intellectuelle de ce groupe produit des œuvres marquantes qui renouvellent l’approche marxiste de nombreux domaines. Cette fécondité révèle la richesse de sa méthode.
Rayonnement international et reconnaissance
La réputation d’Althusser dépasse rapidement les frontières françaises pour s’étendre à l’ensemble du monde intellectuel occidental. Cette reconnaissance révèle l’originalité de sa contribution au marxisme.
Ses cours attirent des étudiants du monde entier qui diffusent ensuite ses idées dans leurs pays respectifs. Cette influence internationale révèle l’universalité de ses questionnements.
Les traductions de ses œuvres dans de nombreuses langues confirment son statut de théoricien marxiste majeur. Cette diffusion révèle l’impact de sa pensée sur la gauche intellectuelle mondiale.
Révolution théorique : « Pour Marx » et « Lire le Capital »
Théorie de la « coupure épistémologique »
Dans « Pour Marx » (1965), Althusser développe sa théorie de la « coupure épistémologique » qui distingue le jeune Marx humaniste du Marx scientifique du « Capital ». Cette thèse révolutionnaire renouvelle l’interprétation marxiste.
L’analyse révèle une rupture fondamentale vers 1845 qui fait passer Marx de l’idéologie à la science. Cette distinction révèle l’influence de l’épistémologie de Bachelard sur la pensée althussérienne.
Cette lecture structuraliste de Marx évacue l’humanisme traditionnel pour privilégier l’analyse scientifique des structures sociales. Cette approche révèle la modernité de son interprétation.
« Lire le Capital » et méthode structuraliste
« Lire le Capital » (1965), œuvre collective dirigée par Althusser, applique la méthode structuraliste à l’analyse de l’œuvre économique de Marx. Cette lecture révèle la complexité et la richesse du texte marxien.
L’analyse révèle les concepts fondamentaux du matérialisme historique : mode de production, formation sociale, surdétermination. Cette systématisation enrichit considérablement l’outillage théorique marxiste.
La méthode de « lecture symptomale » permet de déceler dans le texte marxien les concepts non explicités mais nécessaires à la cohérence théorique. Cette innovation herméneutique influence la pratique philosophique.
Concept de surdétermination
L’introduction du concept de « surdétermination », emprunté à la psychanalyse freudienne, permet d’analyser la complexité des formations sociales et d’éviter le réductionnisme économiste.
Cette notion révèle l’autonomie relative des différentes instances (économique, politique, idéologique) et leurs effets de retour sur la base économique. Cette complexification enrichit l’analyse marxiste.
L’application de ce concept à l’analyse des révolutions révèle l’importance des facteurs idéologiques et politiques dans les transformations sociales. Cette découverte renouvelle la théorie révolutionnaire.
Théorie de l’idéologie et des appareils d’État
Analyse des appareils idéologiques d’État
Dans « Idéologie et appareils idéologiques d’État » (1970), Althusser développe une théorie révolutionnaire du pouvoir qui complète l’analyse marxiste traditionnelle de l’État.
L’analyse distingue les appareils répressifs d’État (police, armée, justice) des appareils idéologiques (école, famille, médias, religion) qui assurent la reproduction des rapports de production.
Cette découverte révèle l’importance de l’idéologie dans la domination sociale et renouvelle la compréhension des mécanismes de reproduction du système capitaliste.
Théorie de l’interpellation idéologique
La théorie de l’interpellation explique comment l’idéologie constitue les individus en sujets en les « appelant » et en leur assignant une place dans l’ordre social.
Cette analyse révèle le caractère matériel de l’idéologie qui s’inscrit dans des pratiques concrètes et des rituels quotidiens. Cette matérialisation évite l’idéalisme traditionnel de l’analyse idéologique.
L’influence de la psychanalyse lacanienne enrichit cette théorie en révélant les mécanismes inconscients de la subjectivation idéologique. Cette synthèse révèle l’originalité de l’approche althussérienne.
Impact sur les sciences sociales
La théorie althussérienne de l’idéologie influence profondément le développement de la sociologie de l’éducation, notamment les travaux de Bourdieu et Passeron sur la reproduction scolaire.
L’analyse des médias et de la culture populaire s’enrichit des concepts althussériens pour comprendre les mécanismes de la domination symbolique.
L’influence sur les cultural studies anglo-saxonnes révèle la fécondité internationale de cette théorie pour analyser les phénomènes culturels contemporains.
Crise personnelle et tragédie
Troubles psychiques et fragilité mentale
Dès les années 1960, Althusser manifeste des signes de troubles psychiques qui s’aggravent progressivement. Cette maladie mentale, probablement bipolaire, affecte sa production intellectuelle et sa vie personnelle.
Les phases dépressives alternent avec des périodes d’hyperactivité créatrice qui produisent ses œuvres les plus marquantes. Cette cyclothymie révèle les liens complexes entre génie et folie.
L’aggravation de son état nécessite des hospitalisations répétées qui l’éloignent périodiquement de l’enseignement. Cette fragilité contraste avec sa stature intellectuelle publique.
Relation avec Hélène Rytmann
Sa relation passionnelle avec Hélène Rytmann, ancienne résistante et militante communiste, structure sa vie affective mais révèle également sa dépendance psychologique.
Cette union tumultueuse, marquée par la passion et les conflits, influence sa production théorique et nourrit sa réflexion sur les rapports de force interpersonnels.
La complexité de cette relation révèle la fragilité émotionnelle d’Althusser malgré son autorité intellectuelle. Cette contradiction humaine éclaire la tragédie ultérieure.
Drame de novembre 1980
Le 16 novembre 1980, dans un accès de folie, Althusser étrangle sa compagne Hélène Rytmann dans leur appartement de l’École normale supérieure. Ce geste inexplicable bouleverse le monde intellectuel français.
Sa prise en charge psychiatrique évite le procès pénal mais ruine définitivement sa carrière et sa réputation. Cette tragédie révèle l’ampleur de sa maladie mentale.
L’émotion suscitée par ce drame révèle l’affection que lui portaient ses collègues et disciples malgré ses difficultés personnelles. Cette compassion témoigne de sa humanité reconnue.
Dernières années et autobiographie
Internement et traitement psychiatrique
Interné en hôpital psychiatrique, Althusser subit un traitement lourd qui altère ses capacités intellectuelles. Cette déchéance contraste tragiquement avec son ancienne brillance.
Les soins psychiatriques permettent une stabilisation relative mais ne restaurent jamais complètement ses facultés créatrices. Cette limitation révèle l’ampleur des dégâts causés par la maladie.
L’isolement social qui accompagne cette période révèle la difficulté de maintenir les relations humaines dans de telles conditions. Cette solitude aggrave sa détresse psychologique.
Rédaction de l’autobiographie
Durant ses dernières années, Althusser rédige une autobiographie posthume, « L’Avenir dure longtemps », qui révèle avec une lucidité douloureuse les mécanismes de sa maladie et les circonstances du drame.
Ce témoignage exceptionnel éclaire les rapports complexes entre vie intellectuelle et souffrance psychique. Cette introspection révèle son courage face à la vérité de sa condition.
L’analyse de sa propre aliénation applique ironiquement ses concepts théoriques à sa situation personnelle. Cette réflexivité révèle la persistance de ses capacités analytiques.
Mort et reconnaissance posthume
Althusser s’éteint le 22 octobre 1990 dans l’indifférence relative, éclipsé par le scandale de 1980. Cette mort discrète contraste avec son ancienne notoriété intellectuelle.
Cependant, la publication posthume de ses textes inédits révèle la richesse de sa production tardive et renouvelle l’intérêt pour son œuvre théorique.
La redécouverte progressive de ses contributions révèle leur valeur durable au-delà des circonstances tragiques de sa fin. Cette réhabilitation révèle la qualité objective de sa pensée.
Héritage et influence contemporaine
Impact sur la théorie critique
L’œuvre d’Althusser influence durablement le développement de la théorie critique contemporaine, notamment les travaux de Judith Butler sur la performativité et la subjectivation.
Sa théorie de l’idéologie nourrit les analyses contemporaines du néolibéralisme et de ses mécanismes de subjectivation. Cette actualisation révèle la pertinence de ses intuitions.
L’influence sur les cultural studies et les postcolonial studies révèle la fécondité de ses concepts pour analyser les formes contemporaines de domination culturelle.
Renaissance dans les années 2000
La crise du capitalisme financier relance l’intérêt pour l’analyse marxiste et redonne actualité aux travaux d’Althusser sur la reproduction du système capitaliste.
Les nouveaux mouvements sociaux redécouvrent sa théorie des appareils idéologiques pour analyser le rôle des médias et des institutions dans la domination contemporaine.
Cette renaissance révèle la capacité de sa pensée à éclairer les enjeux contemporains au-delà des circonstances historiques de sa production.
Débats et controverses actuelles
Les débats contemporains sur sa responsabilité intellectuelle dans la violence révolutionnaire révèlent les tensions persistantes autour de son héritage.
La critique féministe de sa théorie de l’interpellation enrichit et complexifie sa compréhension des mécanismes de subjectivation. Cette évolution révèle la vitalité de sa pensée.
L’usage de ses concepts dans les analyses du capitalisme numérique révèle leur capacité d’adaptation aux transformations contemporaines du système économique.
Un penseur de la complexité sociale
Louis Althusser occupe une position unique dans l’histoire du marxisme comme théoricien de la complexité sociale et inventeur de concepts durables pour analyser les mécanismes de domination contemporains. Son génie consiste à avoir renouvelé l’outillage conceptuel marxiste en y intégrant les acquis des sciences humaines modernes.
L’actualité d’Althusser réside dans sa capacité d’éclairer les formes contemporaines de l’idéologie et de la reproduction sociale. Sa théorie des appareils idéologiques d’État offre des clés essentielles pour comprendre le fonctionnement du capitalisme néolibéral et de ses institutions.
Au-delà de la tragédie personnelle qui a marqué sa fin, Althusser demeure un penseur essentiel pour quiconque cherche à comprendre les mécanismes subtils de la domination sociale contemporaine. Son exigence théorique et sa rigueur conceptuelle constituent un modèle permanent pour la pensée critique, révélant les possibilités infinies d’une intelligence théorique mise au service de la transformation sociale.
Pour aller plus loin
- Louis Althusser, Pour Marx, 2005, La Découverte, coll. « Poche » (éd. de référence, articles 1960-1965)
 - Louis Althusser (dir.), Lire le Capital, 2011, PUF, coll. « Quadrige » (avec Étienne Balibar, Pierre Macherey, etc.)
 - Louis Althusser, Sur la reproduction, 2011, PUF, coll. « Quadrige » (texte posthume incluant l’essai sur les appareils idéologiques d’État)
 - Louis Althusser, L’Avenir dure longtemps. Autobiographie, 2011, Flammarion, coll. « Champs »
 - Yann Moulier-Boutang, Louis Althusser, 1992, Fayard (biographie de référence)
 










